J’ai longtemps grandi avec une certaine image élitiste de l’aventure, en noir et blanc, incarnée par des explorateurs virils souvent issus de bonne famille, et souvent barbus aussi à la fin de leur périple. Peu ou pas de femmes sur le cliché. J’ai ensuite côtoyé beaucoup d’explorateurs de près, sur tous les continents, du pôle Nord au pôle Sud géographique.
Et puis j’ai découvert mille autres visages de l’aventure, plus rayonnants encore, plus féminins aussi. Des startupers qui créent, des managers qui gèrent de nouveaux projets, des parents qui répondent inlassablement aux questions de leurs enfants, des professeurs qui enseignent autant qu’ils apprennent eux-mêmes au contact des plus jeunes, des sportives et sportifs qui se lancent de nouveaux défis. Ce sont eux aussi les visages de l’aventure, et je les ai rencontrés nombreux en bas de chez moi, dans les espaces de coworking et en entreprise, bien plus que dans les contrées lointaines.
Chaque aventure est singulière, personnelle, relative, mais les aventures qui permettent à ceux qui les vivent de s’accomplir pleinement, ici ou ailleurs, ont toutes un dénominateur commun : le fait de sortir de sa zone de confort, pour cheminer vers son désir d’être, et laisser ainsi la vie prendre forme à travers les obstacles surmontés, les hauts et les bas, dans l’expérience du changement.
L’aventure est la clé du bonheur
Dans tous les domaines dans lesquels j’ai évolué, sans aucune exception, j’ai côtoyé la perte de sens ou le mal-être de ceux qui n’osent pas aller vers le changement, qui ont perdu leur âme d’aventurier, y compris dans le domaine de l’exploration, le domaine du sport également, trop souvent idéalisés.
Le bonheur ne se trouve pas dans une activité plus que dans une autre, et surtout pas dans celles dont on ne voit que les avantages en occultant les inconvénients. Il n’est pas dans l’idéalisation de l’exploration sans contrainte, dans l’idéalisation de l’entrepreneuriat sans subordination, ni dans toute autre forme d’idéal. Il n’est pas enfermé dans une case prédéfinie, réservée à certains. Il n’est pas limité par ce que l’on possède ou ce que l’on ne possède pas. Il ne se cache pas non plus derrière l’objectif que l’on cherche à atteindre, ou dans la vie rêvée des autres.
Le bonheur est enfoui précieusement dans la réalisation de soi, dans l’accomplissement de son désir d’être. Dans l’escalier monumental de la vie, le sentiment de plénitude est alors ce palier où le corps et l’âme réconciliés viennent se poser en paix après s’être élevés de marche en marche, par-delà les obstacles, au gré des aventures qui donnent un sens à la vie.
Quelques tips pour se lancer dans l’aventure
- Se faire confiance
Les objectifs que nous nous fixons sont rarement fonction de ce que nous sommes à un moment donné. Ils dépendent davantage de l’image que nous avons de nous-mêmes, de la confiance en notre capacité de dépassement de soi, cette capacité qui nous permettra de parcourir la distance et franchir la ligne d’arrivée quel que soit le point de départ, même si cela doit prendre plus de temps.
- Accepter de se mettre à nu
Il y a dans la capitalisation des expériences vécues une forme de capitulation avec soi-même. La peur de perdre le bénéfice des expériences passées, le bénéfice de ce qui a été construit et accumulé, occulte parfois le risque plus grave encore de ne pas vivre pleinement sa vie. À l’instar de celui qui accumule les sommets sans jamais oser réaliser son rêve de prendre la mer.
Pas simple toutefois de se dévêtir ainsi, de se remettre à nu pour mieux se parer d’une nouvelle expérience. Car cela implique non seulement de se détacher du désir illusoire de reconnaissance, mais cela implique aussi, parfois, d’accepter de déplaire, d’être pris pour un fou. Il me semble nécessaire pour y parvenir de puiser dans son vécu les ressources suffisantes pour faire preuve d’indépendance d’esprit et d’apprendre aussi à apprécier la réussite des autres, c’est-à-dire leur singularité, pour pouvoir s’en inspirer.
- Faire le premier pas
Souvent les murs des prisons se dressent immatériels jusque dans nos têtes, sournoisement. Ce sont eux qui nous enferment, immobiles, et nous empêchent de faire le premier pas vers un changement. Le premier pas, c’est la décision d’y aller, de s’engager vers autre chose. Le point de départ est le même pour tous, quel que soit le changement projeté. Une discussion avec soi-même, face à l’inconnu, le dos tourné à la norme, entre la peur et le doute, quatre murs d’une prison nommée immobilisme ou conformisme dont il n’est jamais simple de s’extraire.
Inutile d’attendre en espérant pouvoir faire tomber tous ces murs. Attente mortelle. Le seul moyen d’en sortir consiste à faire le premier pas, à se mettre en mouvement vers l’inconnu, en portant ses peurs et ses doutes, en s’éloignant de la norme autant qu’il le faut. En faisant de chacun d’eux une force ou une source d’énergie supplémentaire.
- Rester toujours optimiste
Parce qu’il permet de voir les opportunités qui se cachent derrière chaque difficulté, l’optimisme embellit assurément le chemin. Lorsqu’un obstacle se dresse sur le chemin, on peut décider d’en voir le côté négatif ou le côté positif, y voir un frein ou une force.
On m’a souvent demandé après mon expédition à travers l’Antarctique ce que je ferais différemment si je pouvais tout recommencer. Je ne changerais rien. Je garderais chaque instant, y compris les plus durs, ceux qui m’ont le plus éprouvée. J’ai toujours pensé que l’accomplissement ressenti était à la hauteur des obstacles surmontés. Après 2.045 kilomètres parcourus à travers l’Antarctique, 74 jours d’expédition, par -50 °C, après une dernière longue journée de marche pendant plus de seize heures, après avoir franchi les ultimes crevasses, les deux genoux sur la glace, j’en étais plus convaincue encore.
De la banlieue toulousaine à Paris, des bancs d’une prépa et d’une Grande Ecole (HEC 2006) au chemin périlleux des expéditions polaires, jusqu’aux extrémités glacées de la planète, des cabinets d’avocats sur les Champs-Elysées aux sentiers d’ultra-trail et conférences à travers le monde, il n’y pas qu’un pas. Stéphanie Gicquel fait partie de la poignée d’explorateurs à avoir foulé à la fois le pôle Nord et le pôle Sud géographiques. Sportive de l’extrême, elle pratique la course à pied sur ultra-distance (150 à 200 km) et réalise des expéditions sportives engagées, principalement en Arctique et Antarctique. Première Française à courir un marathon autour du pôle Nord géographique par -30°C, elle a également traversé l’Antarctique à pied via le pôle Sud sur 2.045 kilomètres en 74 jours par -50°C (Guinness World Records). Auteure des livres « Expédition Across Antarctica » (Vilo Edigroup, Préface de Nicolas Vanier, Prix littéraire René Caillié 2016) et « On naît tous aventurier » (Ramsay Edigroup, mai 2018), Stéphanie Gicquel intervient régulièrement en entreprise et dans les médias sur le changement, l’audace, l’adaptation, la persévérance et le dépassement de soi.