Les EVEsien·ne·s ont la chance de connaître la Communication NonViolente (CNV) grâce aux conférences et ateliers de Thomas d’Ansembourg, qui chaque année font un tabac au séminaire. Mais c’est quoi au juste, cette communication consciente qui initierait « une forme de citoyenneté pacifiée et activement pacifiante » ?
La rédaction du webmagazine EVE a passé le concept à la loupe.
Une communication naturellement violente ?
Et si nos conflits (aussi bien pro que perso) n’étaient pas tant dus à des divergences d’opinion ou à des intérêts inconciliables, qu’à notre façon de communiquer ? C’est quoi communiquer, d’ailleurs ? A priori, c’est une alternance entre l’« écouter » et l’« exprimer ». Ce qui paraît si simple en apparence ne le serait finalement pas tant que ça. Il se pourrait en effet qu’une forme de violence larvée se glisse dans nos échanges, et qu’à l’origine de nombreuses eng***ades se trouvent, indépendamment de la substance réelle des conflits, un « mal-exprimé » et un « mal-écouté » !
Où, quand on veut exprimer un besoin, trop souvent on positionne plutôt un reproche : « Tu ne m’écoutes pas ! », « Tu me prends pour un·e imbécile ? », « Tu aurais dû me dire que tu ne t’en sortais pas avec ce dossier ! », « On ne peut pas te faire confiance ! »… Comment s’attendre, dès lors, à ce que l’autre décèle le besoin inexprimé ? Face à ce type de phrases qui agressent plus qu’elles n’adressent, il y a plus de chances que l’on se braque plutôt que l’on écoute, que l’on prépare sa défense (ou sa contre-attaque) plutôt que chercher à donner des réponses.
Faire « naître » la Communication NonViolente
Le père de la CNV, Marshall Rosenberg, est né dans l’Ohio en 1934. C’est en faisant l’expérience de l’antisémitisme dans ses jeunes années que le futur psychologue se découvre une vocation de pacificateur. Soucieux de la souffrance éprouvée par les âmes malmenées par l’intolérance humaine, le jeune Rosenberg trouve son inspiration en la personne du psychologue Carl Rogers. Ce dernier a développé un courant de psychothérapie relevant de la psychologie humaine existentielle, dénommé « approche centrée sur la personne », que l’on retrouve notamment dans l’ouvrage qui le fera connaître, On becoming a person, publié en 1961.
Puisque l’on puise rarement son inspiration dans une source unique, le pape de la CNV se nourrit aussi des analyses de l’économiste et environnementaliste chilien Manfred Max-Neef sur les besoins humains fondamentaux, ainsi que du parcours et des discours de grandes figures pacifistes à l’instar de Gandhi, qui inspire la dimension « non-violente » de sa doctrine.
Un PhD en psychologie clinique et quelques années de pratique plus tard, notamment en tant que médiateur dans des écoles américaines sujettes à des problématiques de racisme, Marshall Rosenberg éprouve son processus. Il s’éteint en 2015, après avoir essaimé son approche dans plus de 60 pays.
Une entreprise pacificatrice pérenne…
L’héritage de Marshall Rosenberg n’est pas des moindres : il laisse notamment derrière lui un Centre de la Communication NonViolente (CNVC), fondé en 1984, ainsi que de nombreux ouvrages dont celui publié en 1999, « NonViolent Communication : a language of compassion », considéré comme la bible de la CNV… Et bien sûr, de très nombreux disciples à travers le monde, qui se chargent aujourd’hui de pérenniser son œuvre.
En Europe, c’est notamment l’ancien avocat Thomas d’Ansembourg qui s’attache à introduire et à démocratiser l’approche en Europe. Encore inconnue en France au début des années 1990, la CNV devient incontournable dès le milieu des années 2000.
À partir du CNVC s’est en effet constitué un véritable réseau d’acteurs et d’actrices qui se donnent la mission de promouvoir la discipline à travers le monde en se portant garant de l’intégrité du processus CNV.
Une démarche individuelle visant l’impact collectif
En prônant l’empathie, l’écoute, l’accueil de l’autre, le processus CNV ambitionne de pacifier d’abord notre monde intérieur. Car comme dirait Marc-Aurèle : « Qui vit en paix avec lui-même vit en paix avec l’univers » ! Pour écouter, nous dit Marshall Rosenberg, il faut d’abord être à l’écoute de ses propres besoins. Cela demande une action introspective qui s’inscrit totalement dans une démarche de développement personnel.
Quand on est réaligné·e avec soi, on peut être en mesure d’écouter l’autre sans projeter sur lui ses fantasmes, ses jugements et ses attentes. Une fois pacifié intérieurement, l’individu peut tisser, entretenir et faire grandir des relations positives avec son écosystème.
Le langage du cœur : un outil pour pacifier le dialogue
Ces relations positives passent par le fait de traduire son intentionnalité en impact, ce qui requiert trois piliers fondamentaux : empathie, authenticité et responsabilité. Et c’est par une méthode en 4 étapes, connue sous l’acronyme OSBD, que l’on forge et consolide ces piliers :
- Observation: Faire une description de la situation sans la teinter de jugement. Qu’est-ce qui, dans l’exposé factuel des faits, provoque chez moi une forme de mal-être vis-à-vis de l’autre ?
- Sentiment : Exprimer son ressenti en prenant soin de ne pas attaquer l’autre. Qu’est-ce que je ressens, au fond de moi ? Est-ce de la colère (je me sens agacé·e, troublé·e, rancunier·e ?), ou bien de la fatigue (je me sens épuisé·e, démuni·e, impuissant·e ?) ou peut-être encore de la tristesse (décu·e, desespéré·e, honteux·se ?) ou alors de la peur (inquiet·e, choqué·e, bouleversé·e) ?
- Besoin: Identifier et verbaliser son besoin sous-jacent. Ai-je besoin d’autonomie (pouvoir faire un choix, disposer d’un espace de liberté), d’intégrité (respect, authenticité, confiance…), d’affection (appartenance, liens, tendresse) ?
- Demande: formuler une demande visant à satisfaire ce besoin, qui respecte les critères : réalisable, concret, précis et positif.
Concrètement, cela donne donc des phrases du type « Quand je vois / j’entends (Observation), je me sens (Sentiment). J’aurais besoin de (Besoin)… Est-ce tu serais d’accord pour … (Demande) ? Par exemple :
« Quand tu me confies un dossier et que tu le modifies sans me concerter avant de le communiquer aux équipes (Observation), je me sens frustré·e (Sentiment) car j’ai Besoin que mon travail soit reconnu. Pourrait-on à l’avenir, prendre le temps en amont de la réunion de nous réunir pour partager nos impressions sur ce que j’ai préparé (Demande) ? »
Attention, gare au « faux sentiments », et à la possible dérive passive-agressive dans l’expression de son ressenti : lorsque l’on se dit par exemple « incompris·e », « abandonné·e », « négligé·e » ou encore « trahi·e », nous dérivons vers des interprétations qui nous font basculer du côté sombre du jugement, du reproche, voire de la manipulation. « Je me sens ignorée », par exemple, est un faux « JE » qui cache bien un de ces « TU » qui « TUE » (sous-tendu : tu m’ignores !).
De l’importance d’être « vrai·e » avant tout (y compris avant de chercher à être gentil·le, pour paraphraser le titre du best-seller de Thomas d’Ansembourg) quand on pratique la CNV.
Valentine Poisson & Marie Donzel pour le webmagazine EVE