La France devenait pionnière en 2011 en se dotant de la loi Copé-Zimmermann instaurant des quotas dans les conseils d’administration des entreprises. Dix ans après, le Sénat a entrepris d’en dresser le bilan, dans un rapport publié en juillet 2021. Le Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes (HCE) soulignait déjà en 2019 l’impact positif des quotas dans les conseils d’administration, tout en proposant des pistes pour améliorer l’accès des femmes aux positions de pouvoir. Constat partagé par le Sénat, qui propose une évaluation systématique de la loi. S’il souligne les énormes avancées permises par celle-ci, il en montre également les lacunes, et formule des recommandations pour aller plus loin. Forte de ce constat, la Présidente de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, Marie-Pierre Rixain, a déposé une proposition de loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, adoptée en première lecture à l’Assemblée en mai 2021.
Les quotas, ça marche !
La politique des quotas a bien eu l’effet attendu : c’est le premier constat du Sénat. Un seul indicateur permet d’illustrer cette performance : la France, avec désormais 46% de femmes dans ses conseils d’administration, se hisse au premier rang mondial des pays ayant féminisé les conseils d’administration des grandes entreprises cotées. Un constat particulièrement vrai dans les entreprises du CAC 40, et au-delà, parmi les 80 valeurs des 200 premières capitalisations boursières. L’hexagone se situe loin devant la Norvège, l’Italie, la Suède, la Finlande, l’Allemagne et les États Unis. C’est bien le dispositif législatif qui a entraîné cette évolution à marche forcée, puisqu’en dix ans, cette proportion a plus que triplé. C’est également vrai ailleurs : les progrès les plus importants ont eu lieu dans les pays qui ont instauré des quotas, comme la Norvège dès 2003, l’Italie en 2011, et la Californie depuis 2018.
Avec le recul, le Sénat considère que cibler les conseils d’administration était une bonne chose, dans la mesure où c’est là que se décident les grandes lignes de conduites de l’entreprise. Le risque de sanction a évidemment pesé, de même que les questions d’image, les progrès de chaque grande entreprise ayant été particulièrement scrutés par les analystes financiers.
Quels effets sur la gouvernance des entreprises ?
La loi a entraîné de profonds changements dans la gouvernance même des entreprises, ce qui était aussi l’un des effets escomptés, que ce soit dans la prise de décision, l’adaptation aux clients, la créativité… Auditionnée par le Sénat, Laurence Parisot, ancienne présidente du Medef, parle de changements de « style », puis dans un deuxième temps, d’une vraie influence des femmes dans la vie de l’entreprise, jusqu’au processus de décision : « Un conseil d’administration mixte introduit une forme de modestie et empêche toute dérive de puissance. »
Autre impact positif, la loi a permis une professionnalisation des conseils d’administration. Les femmes titulaires de mandats ont en effet suivi des formations spécifiques. L’institut français des administrateurs a par exemple proposé très tôt des formations aux femmes et aux hommes. Avec des conséquences en termes de gouvernance durable pour l’entreprise, selon une étude réalisée par Ethics and Boards publiée en mars 2021. La prise en compte de l’impact environnemental, de la RSE étant nettement plus élevée dans des entreprises dirigées par des femmes.
Les limites de la loi : le plafond de verre et les directions opérationnelles, les autres entreprises
Malgré ses effets positifs, la loi montre ses limites en matière de ruissellement dans l’ensemble du tissu économique. il n’y a pas assez de femmes dans les entreprises hors grandes capitalisations boursières. Dans les entreprises à faible capitalisation, les femmes ne sont qu’un tiers à la table des conseils d’administration. Les entreprises non cotées, de 500 salariés et plus et d’au moins 500 millions d’euros de chiffre d’affaires ont moins de 25 % de femmes au sein de leur conseil d’administration. Dans les PME, où la loi ne s’applique pas, les femmes sont représentées à hauteur de 18 %.
Par ailleurs, il existe encore des entraves au sein même des entreprises ayant fait le plus d’efforts. « La loi s’est arrêtée aux portes du pouvoir » déclarait le HCE en 2019. C’est l’une des principales limites dix ans après : les instances décisionnaires telles que les comités de direction (Codir) ou comités exécutifs (Comex), n’entrant pas dans le champ d’application de la loi, elles ne se sont pas ouvertes partout à la mixité.
Autre effet pervers, à l’intérieur même des conseils d’administration appliquant la loi, un « plafond de verre » est apparu. C’est une autre limite mise en évidence par les économistes Sophie Harnay et Antoine Rébérioux. La loi a certes permis de faire tomber les barrières à l’entrée des conseils d’administration, mais pas celles qui se sont érigées à l’intérieur. L’accès des femmes aux comités les plus stratégiques et les mieux rémunérés au sein même des CA reste problématique. C’est simple, seulement 26 % des femmes font partie des comités stratégiques comme l’audit ou le choix du directeur général.
Extension des obligations … les recommandations du Sénat et de la loi de 2021
Pour avancer, le Sénat recommande d’étendre les obligations paritaires d’abord en élargissant le champ des entreprises concernées : PME, mais aussi en abaissant encore le seuil de 250 salariés comme le proposait déjà le HCE en 2019, pour arriver progressivement à une obligation de parité de 20 pour cent en 2023 partout et de 40 % en 2025.
Autre recommandation, celle d’élargir au sein même de l’entreprise l’accès des femmes non plus seulement au sein des conseils d’administration, où les recrutements se font à l’extérieur, avec des femmes n’exerçant pas de fonction dans l’entreprise, mais aux comités de direction et aux comités exécutifs. L’idée serait ainsi de pouvoir promouvoir des femmes en interne. Le Sénat ne souhaite néanmoins pas de stricte obligation fixée par la loi comme en 2011, pour ne pas créer d’effets pervers en excluant des hommes employés dans ces mêmes entreprises qui y auraient accès. Il s’appuie sur la loi du 23 mars 2021, qui propose de mesurer la proportion de femmes et d’hommes aux postes à responsabilité (cadres dirigeants et cadres membres des instances dirigeantes) dans les entreprises de plus de 1000 salariés. Avec comme objectif d’atteindre 30 % d’ici 2027 et 40 % d’ici 2030.
Parce que le vivier de femmes compétentes pour siéger dans de telles instances est avéré, le Sénat recommande également de limiter à trois au lieu de cinq actuellement, le nombre de mandats d’administrateur pouvant être simultanément exercés par une même personne. Afin de libérer des places pour les femmes. C’était une proposition qui avait déjà été formulée lors de l’examen de la loi Copé – Zimmermann il y a… dix ans.
Le Sénat et la loi de 2021 proposent également d’étendre ces obligations à la création d’entreprise, en fixant à Bpifrance et aux fonds d’investissement des objectifs de mixité. Le Sénat suggère en outre de mettre en place un fonds dédié au financement de l’entreprenauriat féminin au sein de Bpifrance afin de leur faciliter l’accès au crédit, une piste prise au sérieux par le ministre Alain Griset lors de ses récentes auditions.
Ainsi, la création de quotas dans les comités exécutifs et comités de direction semble bien être la prochaine étape pour continuer ce que la loi votée il y a 10 ans a permis d’accomplir. Cela permettrait de créer un « escalier intérieur » pour les femmes, selon l’expression de la députée Marie-Pierre Rixain. La proposition de loi de cette députée doit désormais être adoptée définitivement, la majorité espérant un vote final d’ici fin 2021. Reste aussi à appliquer davantage de transparence en matière de données genrées, par des déclarations systématiques via Infogreffe par exemple. Enfin, pour que les femmes soient les premiers moteurs à faire avancer la cause de l’égalité, le Sénat insiste également sur l’utilité de développer les réseaux et forums féminins existants.