Surnommée « Madame Oui » par les médias et appelée par son prénom comme une amie par tout le monde dans l’entreprise, Rachel Picard est une femme directe et dynamique, qui témoigne d’un parcours professionnel impressionnant, alors notre première question, ce fût :
Pour vous, Rachel, quels sont les « ingrédients » de la réussite ?
Il n’y a pas de recette unique. Chacun·e compose la sienne en y mettant les ingrédients qui donnent du sel à sa vie. Ma recette à moi, c’est faire ce que j’aime, ce en quoi je crois.
Ce que j’aime, c’est les voyages et j’ai toujours voulu travailler dans le tourisme. Les voyages, les vacances, c’est quelque chose de très important dans la vie des gens, avec une forte dimension émotionnelle, beaucoup d’engagement des clients et d’engagement de l’entreprise.
Alors, même si, quand je suis sortie d’HEC, on m’a dit qu’il fallait que j’aille faire du conseil ou de la banque si je voulais réussir, je n’ai pas lâché mon envie de départ… Dans le tourisme, avec ou sans diplôme, le passage par la vente est indispensable. J’ai donc commencé par les ventes. Puis, je suis partie en Amérique latine travailler pour une station de ski. Là encore, on m’a dit que ce n’était pas une très bonne idée, que là-bas personne ne me connaissait, qu’il faudrait repartir de zéro. Mais j’avais envie de cette aventure. La réussite, c’est aller de l’avant, c’est ne pas aller à la facilité, ne jamais s’asseoir et se contenter, mais se lancer dans l’étape d’après et embarquer les autres.
Vous avez été pionnière, dès les années 1990, dans la digitalisation de l’expérience clients. Qu’est-ce qui vous a si précocement sensibilisée à ce qui allait devenir un incontournable de nos économies et de nos sociétés ?
C’est Disney (ndlr : Rachel Picard a exercé au poste de directrice des ventes au lancement d’Eurodisney), où on utilisait le mail interne dès 1992, qui m’a mis la puce à l’oreille. Ensuite, j’étais chez Frantour, à la direction marketing, quand Internet est apparu, en 1996. J’ai immédiatement perçu la révolution que ça allait être. On ne savait pas où ça irait, mais on devinait l’immensité de l’univers à défricher. J’avais l’intuition que le digital allait permettre de mettre en cohérence toute l’activité d’une entreprise de tourisme en partant du client. Ce qu’on a fait en lançant le premier site du groupe Accor (qui avait absorbé Frantour).
Après Accor, j’ai voulu vivre pleinement l’expérience du digital, en faisant de la start-up, chez un incubateur. Puis la bulle a explosé… Mais j’ai poursuivi mon aventure digitale, aux éditions Atlas puis à partir de 2004 chez Voyages-SNCF.com.
Pensez-vous que le digital soit l’avenir de l’égalité professionnelle ?
Pour arriver à l’égalité professionnelle, il faudra plus que le digital. Le digital, c’est un moyen, il faut y mettre le fond et la volonté. Surtout pour une question aussi importante que l’égalité entre les femmes et les hommes.
Ce qui est vrai, c’est qu’avec le digital, on a des solutions pour lutter contre toute une série de freins culturels à la participation pleine et entière des femmes au monde du travail, à leur visibilité, à la mise en œuvre des moyens de leur projet professionnel. Le digital permet notamment de lutter contre le présentéisme. Un défaut majeur de notre culture française, qui ne fait de bien à personne mais nuit particulièrement à la carrière des femmes.
En 2001, j’ai changé de boulot et à cette occasion, j’ai répondu à une interview dans laquelle j’ai dit que je ne voulais plus rentrer chez moi à pas d’heure, pétrie de culpabilité parce que je libérais la nounou en retard sans pour autant avoir fini mon travail, et que tout le monde à la maison était trop fatigué et trop énervé pour qu’on puisse envisager de passer de bons moments en famille… Alors, désormais, c’était décidé, je ne prendrai plus aucune réunion après 18h30. Je n’ai jamais reçu autant de courriers de félicitations et d’encouragements de toute ma carrière.
Je constate néanmoins que près de 20 ans après, les mères sont encore trop souvent dans cette situation de courir tout le temps, alors que les outils digitaux devraient permettre à tou·te·s de travailler de façon beaucoup plus flexible. Mais il y a une sorte de présentéisme digital, aussi… Parce que l’outil ne suffit pas à changer la culture. Il faut aussi créer la culture qui va installer les bons usages : à ce titre, je défends à fond le droit à la déconnexion. C’est un devoir vis-à-vis de nos salarié·e·s.
Vous soutenez depuis ses débuts le réseau SNCF au Féminin. Selon vous, que représente ce réseau pour l’entreprise ?
Le réseau SNCF au Féminin est formidable. Ça devient banal de le dire, mais je le dis et le redirai, avec sincérité, aussi longtemps qu’il fera ce remarquable travail à la fois sur la place des femmes dans l’entreprise et sur la transformation de l’entreprise. Les deux vont ensemble, et c’est la grande force de ce réseau de s’être, dès ses débuts, positionné en force de transformation des individus et de l’organisation. Cela l’autorise à adresser une multitude de sujets, sans jamais être emprisonné dans la seule question de la condition des femmes et sans jamais être dogmatique. Le réseau contribue clairement à travailler le regard, à faire changer de lunettes celles et ceux qui se sont habitués à ce qui est inacceptable. Je pense en particulier aux agissements sexistes, un sujet sur lequel notre Président, Guillaume Pepy, est très exigeant et donne clairement le ton.
En mai 2019, le réseau SNCF au Féminin lance son nouveau site et en juin, le train SNCF au Féminin va aller à la rencontre des membres actifs, dormants ou futurs. En quoi ces deux temps forts peuvent être des leviers de développement du réseau ?
Le réseau est fort de son nombre important de membres, mais ce qui compte le plus, c’est l’engagement de ces membres. Plus on est dedans, plus il est riche. Plus vous lui donnez, plus il vous apporte. Il apporte, avec sa plateforme de contenus et de networking et dans quelques semaines son train expo dédié à la culture de l’égalité, de multiples opportunités de se nourrir, de se confronter, de s’inspirer, de solliciter du soutien, de tester ses idées… Vous savez, ce que j’aime aussi dans le digital, c’est le côté éphémère des certitudes. Il faut avoir des valeurs et des convictions, mais il faut savoir aussi accepter la remise en question et se donner le droit à l’erreur. Je retrouve cet esprit fait à la fois d’audace et d’humilité dans le réseau SNCF au Féminin. Comme j’y retrouve la culture du « test & learn », portée notamment par les groupes experts et le programme d’intrapreneuriat. Ce réseau est décidément dans son temps !
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le réseau SNCF au Féminin et le webmagazine EVE