« L’entrepreneuriat social a des cartes à jouer pour l’égalité »

bargeo Responsabilité Sociale

Rencontre avec Leila Hoballah, Présidente de MakeSense & CommonsSense

Eve le blog : Bonjour Leila. C’est une tradition sur le blog EVE : comme nous voulons présenter des rôles modèles diversifiés, nous demandons à nos interviewé.es de nous raconter leur parcours. Acceptez-vous de retracer le vôtre pour nos lectrices et lecteurs?

Leila Hoballah : Ce qui définit en premier mon parcours, c’est la mutliculturalité : je suis née d’une mère colombienne et d’un père libanais issu de la diaspora sénégalaise. J’ai grandi au Yemen, en France et en Grèce. Je vis aujourd’hui à Hong Kong, après avoir travaillé aux Philippines, en Inde, à San Francisco… Je reconnais comme une chance d’avoir toujours eu un rapport très naturel à la diversité des cultures, des religions, des sociétés.

J’ai aussi dans mon ADN le sens de l’engagement. Et j’ai eu en 2001, à l’époque où j’étais lycéenne et avais organisé les manifs contre la guerre en Afghanistan et en Irak, une vraie révélation : mon prof d’histoire m’avait alors dit « Si tu veux  changer les choses, il faut agir de l’intérieur« . Cet homme avait aussi pressenti, il y a quinze ans, que beaucoup d’évolutions à venir viendraient du monde de l’entreprise. Et il m’a encouragée à aller à la rencontre de ce monde, pour y trouver ma place en tant qu’actrice du changement.

C’est ce qui a motivé mon choix de préparer les concours d’école de commerce. J’ai été reçue à HEC mais ai préféré l’ESCP. Pour l’anecdote, j’ai reçu un coup de fil me disant « Mademoiselle, vous avez du vous tromper« . Mais pas du tout, je savais ce que je faisais : j’ai opté pour l’ESCP parce que l’école est en ville, au coeur de la société, parce qu’elle était déjà à l’époque très européenne et ouverte sur l’international et plus généralement, parce que je me sens plus à ma place du côté des challengers que de celui des champions!

Eve le blog : Avez-vous, pendant vos études en école de commerce, poursuivi vos activités militantes?

Leila Hoballah : Bien sûr! On ne se refait pas! J’ai co-créé 3 associations pendant ma scolarité à l’ESCP.

J’y ai aussi vu croître l’intérêt de l’école pour l’entrepreneuriat social, avec la création d’une majeure dédiée. Que je n’ai cependant pas choisie, car tout en sachant déjà que c’était ce vers quoi j’allais m’orienter, je sentais que j’aurais besoin d’une boîte à outils sur l’entrepreneuriat (tout court) pour avoir le plus possibles de visions des modèles économiques avant de m’engager sur le terrain.

Ce que j’ai fait dès mon premier stage, aux Philippines, dans une grande ONG oeuvrant à l’éradication des bidonvilles.

Eve le blog : Et puis, vous avez rencontré la route d’Olivier Maurel, à l’époque à la tête de danone.communities (ndlr : aujourd’hui directeur de l’Open Innovation de Danone). Racontez-nous…

Leila Hoballah : En 2009, j’ai lu dans la presse un grand article consacré à Grameen Danone. J’ai eu le coup de foudre et je me suis dit « Je ne perds rien à envoyer un message à ce Monsieur Maurel. Il ne me répondra peut-être pas, mais je veux juste lui dire que je trouve ça génial!« . Il me répond dans l’heure en m’invitant à une conférence organisée par danone.communities le lendemain. Là-dessus, il me propose un stage!

Je suis fière d’avoir été la première stagaire de danone.communities et je n’oublierai jamais cettte expérience de 6 mois aux côtés de l’equipe. Tout ce qui m’intéressait et en quoi je croyais y était mis en oeuvre : le support aux communautés, la micro-finance, l’empowerment par l’entrepreneuriat, l’usage des nouvelles technologies pour faciliter et accélérer le développement économique et social des populations défavorisées..

Eve le blog : Diriez-vous que c’est à ce moment que l’idée de MakeSense a germé en vous?

Leila Hoballah : Le projet MakeSense s’est nourri de toutes mes expériences ainsi que de mes rencontres et de mes travaux de recherche (j’ai terminé mes études par un mémoire sur les différences et les points de contact entre l’entreprise sociale et l’entreprise classique sur les stratégies à la base de la pyramide).

Avoir croisé la route d’Olivier Maurel a bien sûr été essentiel, puis j’ai rencontré Christian Vanizette, qui avait aussi plusieurs expériences de social business (en tant qu’étudiant volontaire du projet Ethomed, puis membre actif d’Entrepeneurs sans Frontières…) et qui travaillait dans un incubateur de projets d’innovation business.

Nos visions se rejoignaient parfaitement : permettre à chacun.e d’accéder aux outils de sa propre autonomie pour résoudre les problèmes qui touchent sa communauté, et cela par la voie de l’entrepreneuriat parce qu’il est l’un des plus puissants leviers d’empowerment. Et nous avons imaginé ensemble MakeSense.

Eve le blog : Alors, concrètement, qu’est-ce que MakeSense?

Leila Hoballah : MakeSense offre à chacun.e les moyens de s’engager pour accélerer l’impact des entreprises sociales. Pour cela, MakeSense rassemble une communauté de plus de 500 membres actifs dans une centaine de villes du monde et qui a déjà mobilisé 25 000 citoyen.nes.

MakeSense repose sur deux piliers: les événements et les défis.

Les événements sont organisés partout dans le monde, par la communauté, ils sont gratuits, ouverts à tous et participatifs. Ils permettent de partager la réflexion, les pratiques, les idées et de faire dialoguer des univers différents (des entrepreneurs qui travaillent sur le handicap – ndlr : comme Audrey Sovignet, dont le blog EVE a récemment brossé le portrait), sur l’environnement, sur l’agriculture, sur l’éducation, sur l’intergénérationnel, sur la paix et les droits humains…).

Le second pilier, ce sont les défis : nous proposons aux entrepreneur.es de soumettre à la communauté les challenges qu’il ont à relever pour faire aboutir leur projet. Elles et ils présentent le projet et leur défi sur notre plateforme web et chacun.e peut contribuer, via un « mur d’inspiration » à apporter des idées, des solutions techniques, des retours d’expérience, des bonnes pratiques… Au-delà de cet aspect virtuel, chaque défi donne lieu à ce que nous appelons un « hold-up » : c’est un atelier créatif où l’on brainstorme à 10-20 personnes, dans une ambiance de « fun » où le plaisir est la seule règle d’un jeu qui doit déboucher, au bout de 2 heures, sur l’élaboration de 3 solutions concrètes pour faire avancer le projet.

Eve le blog : Après MakeSense, vous avez lancé CommonSense. De quoi s’agit-il?

Leila Hoballah : CommonsSense est une offre aux entreprises engagées dans un mouvement de transformation et d’innovation et à qui nous proposons d’appliquer l’esprit et la méthodologie de MakeSense.

L’intérêt porté à MakeSense par les grandes organisations nous a évidemment confirmé que le besoin de sens est aujourd’hui partagé par absolument tout le monde, que l’on soit start-upper de 25 ans ou bien salarié.e, manager ou dirigeant.e d’une grande entreprise.

La différence, c’est que le start-upper commence à écrire son histoire aujourd’hui, crée ses règles du jeu et a naturellement une grande agilité. La grande entreprise se confronte à des tensions entre ce qu’elle a été, ce qu’elle est et ce qu’elle veut devenir ; elle a une culture et une histoire dont elle ne peut, ni ne doit forcément faire table rase et enfin, elle doit embarquer une population de plusieurs milliers de personnes dans le mouvement de changement. La question du « comment faire » lui est cruciale.

CommonsSense est là pour y apporter des réponses, à la fois en partageant des bonnes pratiques créées par MakeSense qui peuvent être directement dupliquées et en créant des solutions sur mesure qui vont impulser des dynamiques innovantes. Pour Danone Mexique, par exemple, nous avons fait un « MakeSense » en interne, en associant Danone Ecosystème, danone.communities, la RSE et le business.

Eve le blog : Pour finir, comme nous sommes sur le blog EVE, pourrions-nous zommer un instant sur la question de l’empowerment et du leadership des femmes dans l’entrepreneuriat social?

(c) danone.communities

Leila Hoballah : La thématique des femmes dans l’entrepreneuriat social m’est très chère. Et je tiens à ce qu’on l’aborde avec enthousiasme et aussi avec détermination.

Avec enthousiasme, car il y a dans l’entrepreneuriat social, une vraie voie pour l’empowerment des femmes : on constate qu’elles y sont très nombreuses et que la logique même de l’entrepreneuriat social qui place  l’autonomisation en son centre fabrique tous les jours des leaders spontanées.

Maintenant, je parle aussi de détermination, car il ne faut pas se voiler la face sur des défauts de mixité que l’on voit se reproduire dans l’entrepreneuriat social comme ailleurs : par exemple, nous manquons, nous aussi, de start-uppeuses dans le digital ; nous observons par ailleurs que si nous baissons notre seuil de vigilance sur la mixité de la gouvernance, nous manquons, comme les autres, de femmes dans les cercles de responsabilités.

L’entrepreneuriat social a de vraies cartes en main pour l’inclusion et l’égalité, mais il faut les jouer!

 

 

Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE. Avec la complicité d’Anne Thevenet-Abitbol, Valérie Amalou, Noémie Messéan et les équipes de danone.communities.