« J’encourage les jeunes femmes à se rêver et à passer du stade de rêve à l’action », rencontre avec Chékéba Hachemi 

Elise Assibat

Pour le magazine EVE

15 décembre 2025

La rubrique « Pratiquer » de votre newsletter poursuit les festivités des 15 ans du Programme EVE avec une nouvelle figure emblématique du leadership féminin. Qui sont ces femmes qui ont bousculé le paysage entrepreneurial, culturel ou politique, et comment ont-elles éclairé la voie pour celles qui souhaitent oser ?  

 

Pour cette nouvelle mise en lumière, nous avons rencontré Chékéba Hachemi, autrice franco-afghane, intervenante pour le Programme EVE et autrice de L’Insolente de Kaboul (Éditions Anne Carrière, 2011). 

 

 

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en 15 ans du programme EVE ? 

Chékéba Hachemi : Ce qui m'a toujours frappée au séminaire EVE, c'est l'ouverture d’esprit et la diversité. Il y a beaucoup de forums où l'on reste un peu dans l'entre-soi d'un milieu donné. Ce qui est intéressant avec EVE, c'est d’entendre l’intervenante indienne venir nous parler de son projet en Inde, ou l’intervenante marocaine de l'entrepreneuriat dans son pays. Il est essentiel de sortir de notre microcosme français, même avec des centaines de participants issus de grandes entreprises.  

 

Le Programme EVE est un formidable moyen de rencontrer des personnes qu'on n'a pas l'occasion de côtoyer au quotidien. J'y ai découvert des femmes formidables qui, par leur parcours, sont de véritables rôles modèles. Aussi bien du côté des intervenantes que des participantes !  

 

 

À quel moment avez-vous pris conscience de votre capacité à devenir un rôle modèle pour les autres, de votre capacité à inspirer ? 

Chékéba Hachemi : Je n'ai pas vraiment pris conscience de ma capacité à être un rôle modèle et je ne le réalise toujours pas à bientôt 52 ans. En revanche, je me rends compte que mon livre est étudié par des élèves. Depuis la sortie de L'Insolente de Kaboul, j’ai commencé à recevoir des demandes pour venir parler de ma vie dans les écoles, dans les universités, à la demande des étudiants. C'est à partir de ce moment-là que j'ai réalisé que j'avais un devoir de transmission, qu’il fallait raconter mon histoire pour donner envie aux autres de s'engager. 

 

 

Comment inspirez-vous les autres à oser sortir des sentiers battus ? 

Chékéba Hachemi : Je pense que nos sociétés, y compris occidentales et en France, poussent moins les jeunes femmes à s'exprimer pleinement. Alors j’essaye comme je peux de les encourager à se mettre en avant, à parler, à avancer, à se rêver et à passer du stade de rêve à l’action. 

 

Il ne faut pas avoir peur de l'échec. Au pire, on se trompe. Au pire, on recommence autre chose. C'est quelque chose que je dis à ma fille de 16 ans, mais aussi à toutes ces jeunes femmes qui m'entourent et qui font un travail exceptionnel, tout en ayant du mal à se mettre en valeur. Et justement parce que ce n’est pas automatique pour elles, je pense que c’est à nous, les plus âgées, les plus expérimentées, de faire preuve de sororité et d'essayer de partager cette dynamique le plus largement possible. Les nouvelles générations ne doivent pas être perçues comme des menaces, au contraire ! C'est ensemble que l'on peut avancer.  

 

 

Comment on continue de se réinventer quand on devient soi-même un rôle modèle ? 

Chékéba Hachemi : On nous dit qu’il faut bouger pour entretenir notre corps après 50 ans. C'est pareil pour l'engagement : il faut continuellement s'intéresser et apprendre. C’est important d’être toujours à l'écoute de l'autre, de regarder ce qui se passe dans le monde pour être rester en éveil.   

 

J'ai aussi un parcours particulier. Le fait de venir du "mauvais côté" de la planète étant enfant, puis de se retrouver du "bon côté" me fait dire chaque jour : « Est-ce que cette journée a été utile ? Est-ce que ça valait la peine d'être vivante et de faire quelque chose ? » Même si nous avons des problématiques en France pour lesquelles il ne faut pas baisser les bras, nous avons la possibilité de nous exprimer, d'être debout et de ne pas lâcher. Il y fait bon vivre. Alors quand je pense aux femmes afghanes qui n'ont même pas le droit à la parole, il y a aussi cet aspect plus psychologique qui m’impose : maintenant que tu es là, au moins que ça serve à quelque chose.  

 

 

Un dernier conseil pratique que vous auriez envie de partager avec la communauté EVE ?  

Chékéba Hachemi :  Je dirais : engagez-vous, intéressez-vous à ce qui vous entoure, à ce qui se passe à l'autre bout de la planète e Et cela se passe à tous les niveaux ! En s'impliquant dans son entreprise, dans une fondation, dans son quartier... C'est un vrai enjeu pour les femmes, car s'engager demande du temps, et on leur demande aussi de faire des enfants, de s'occuper de la maison... Mais il faut les pousser à oser entreprendre au-delà de leur vie professionnelle. Notre vie est plus riche au quotidien en s'impliquant dans de nouvelles actions. C’est ce qui nous porte et nous fait grandir.  

 

 

Alors engagez-vous, intéressez-vous à ce qui vous entoure, à ce qui se passe à l'autre bout de la planète et ne vous laissez pas envahir par les diktats. On est quand même très influencé aujourd’hui par les phénomènes de mode, de zapping, de réseaux sociaux. On s'habille comme tout le monde, on pense comme tout le monde, il y a une espèce d'uniformité.  

Il ne faut pas craindre d'être différente, parce qu'à la longue c’est une vraie force, surtout pour une femme. Nous avons une énergie incroyable, ne la mettons pas en sourdine en se disant : « Je fais déjà ça, c'est pas mal. » Soyons en mouvement, en action, avec l'autre, vers l'autre. Toujours être ouvert et engagé, voilà le moteur que je veux véhiculer ! 

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