"Je pense que ça ne marche qu'en restant soi-même", interviw de Véronique Penchienati-Bosetta

Elise Assibat

Pour le magazine EVE

25 novembre 2025

Qui sont ces femmes qui ont bousculé le paysage entrepreneurial, culturel ou politique, et comment ont-elles éclairé la voie pour celles qui souhaitent oser ?

Pour cette quatrième édition, nous avons rencontré Véronique Penchienati-Bosetta, Deputy CEO du Groupe Danone depuis 2023. Entretien. 

 

Quels changements avez-vous vus s’opérer en 15 années d’EVE ?
 

Ma première fois à EVE, c’était à l’occasion de la toute première session. J’y étais alors en tant qu’invitée, pas en tant que speaker. Je me souviens encore de ce moment incroyable, comme d’une bulle qui offrait la possibilité de se poser, de réfléchir à soi, et dont on revient véritablement transformé.

J’ai eu la chance d’y retourner il y a deux ans, en tant qu’intervenante pour témoigner, et j’ai ressenti la même chose. Bien sûr, le programme a pris une ampleur incroyable depuis. Entre-temps, il y a eu l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine qui s’ouvre en février... Mais même si ça s’est énormément déployé en termes de taille et d’impact, j’ai vraiment eu la sensation de retrouver le cœur d’EVE.

Cette proximité, ce cocon collectif et individuel, cette bienveillance, cette inspiration... tout cela n’a pas changé. Déjà à l’époque, quand peu de place était accordée aux sujets liés à la diversité et à l’inclusion, on retrouvait cette liberté de parole, d’action, qui embarque les autres. Et cette liberté perdure encore aujourd’hui !

 

À quel moment avez-vous pris conscience de votre capacité à inspirer ?
 

Il est vrai que dès que l’on commence à avoir un poste à responsabilité en entreprise, on commence à être observé. À ce moment-là, on essaye de faire ce que l'on peut.

Pour ma part, je pense notamment à deux moments de bascule qui ont fait la différence. Le premier s'est produit quand je suis devenue Directrice Générale et que j’ai repris un business très compliqué. Plutôt que de limiter mon champ d’action, j’ai eu envie de me projeter, de créer, d’embarquer les équipes afin que l'on puisse transformer ensemble. J’ai associé à mes réflexions l’ensemble des salariés, des commerciaux aux représentants du personnel. Cinq ans plus tard, quand je suis partie, j’ai senti l’impact de cette expérience collective pour les équipes. C’était très touchant.

Le deuxième moment fut lorsque j’ai été nommée du jour au lendemain CEO du Groupe par intérim, en plein plan de restructuration et dans le chaos médiatique. Ce jour-là, les équipes m’ont impressionnée : il y a eu un tel élan collectif de solidarité et tellement de bienveillance à mon égard. J’ai pris conscience du rôle important que j’avais dans un moment extrêmement perturbé, et j’ai eu envie d’être à la hauteur.

 

Comment un rôle modèle peut-il inspirer les autres à oser sortir des sentiers battus ?
 

Je vais reprendre une phrase que j’aime beaucoup : les deux choses qu’on doit donner à ses enfants, ce sont des racines et des ailes. Et je pense que ça fonctionne aussi bien pour un leader inspirant.

Avoir des racines, c'est ne jamais oublier la culture de l'entreprise et les gens qui l'ont construite. Chez Danone, par exemple, cela va au-delà de la performance économique, il y a une portée sociale et sociétale très forte qu’il faut préserver. Avoir des ailes, c’est être capable d’entraîner les autres vers le renouveau, de s’adapter et d’innover. C’est ainsi que j’essaye de pousser mes équipes : respecter l’ADN du Groupe tout en innovant.

Ce qui est important, c’est aussi d’encourager les autres à savoir ce qu’ils veulent et à oser le dire. Quand on ose, on s’expose, on prend une part de risque. Et je pense qu’il y a encore un frein, en particulier chez les femmes, à ne pas exprimer de façon claire et ancrée ses désirs. Si je suis restée si longtemps chez Danone et si j’ai pu m’épanouir, c’est parce que j’ai été capable de prendre le temps de me poser, de réfléchir à ce qui me convenait, pour faire un choix sans frustration et l’assumer. J’essaye de pousser mes collaborateurs à avoir cette liberté d’être qui ils sont, de dire ce qu’ils veulent et de challenger.

 

Comment continue-t-on à se réinventer lorsqu’on devient un rôle modèle ?
 

Je pense que c'est en se confrontant à des expériences et à des situations que l’on n'a jamais vécues, en manageant des personnalités que l'on n'a pas l’habitude d’accompagner, qu’on se réinvente perpétuellement ! Mais attention, les valeurs, elles, ne changent jamais. La colonne vertébrale reste la même. On grandit juste en enrichissant son panorama d’expériences.

De plus, il est crucial, à mon sens, de se confronter aux plus jeunes. Les nouvelles générations ne sont pas les mêmes que lorsque l’on a démarré, quand nous étions focalisés sur nos carrières. Le monde a changé, les mentalités sont différentes. J’aime passer du temps avec des jeunes salariés ou des étudiants qui se posent des questions. On leur apporte de l’expérience, mais ils nous apportent beaucoup aussi. Aujourd'hui, j’interviens au sein de Conseils d’Administration : c’est aussi un angle différent qui modifie la posture et la perception. Tout cela est très stimulant, et j’ai l’impression que j’arrive bien à me renouveler.

C’est cette conviction que tout le monde doit avoir : que l’on peut progresser, se réinventer, être performant en restant qui on est, authentique, et en harmonie avec ses priorités. En tout cas, c’est un moteur important dans ma vie. Je pense que ça ne marche qu’en restant soi-même.

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