Interview avec Bénédicte Tilloy

Elise Assibat

Pour le magazine EVE

24 septembre 2025

« Auparavant, être la seule femme exigeait de porter le genre entier sur ses épaules », Bénédicte Tilloy

Les 15 ans du Programme EVE, ça se fête ! La rubrique “Pratiquer” de votre newsletter célèbre cet anniversaire en vous présentant chaque mois une figure emblématique du leadership féminin. Qui sont ces femmes qui ont bousculé le paysage entrepreneurial, culturel ou politique, et comment ont-elles éclairé la voie pour celles qui souhaitent oser ? Pour cette première édition, nous avons rencontré Bénédicte Tilloy, ex D-G de SNCF Transilien, conférencière et peintre. Entretien.

Quels changements avez-vous vus dans le leadership des femmes depuis que vous êtes intervenue au programme EVE en 2014 ?

Bénédicte Tilloy : Le contexte a profondément évolué en dix ans. La cause des femmes est désormais écoutée, les femmes osent davantage être elles-mêmes dans les postes de direction. Auparavant, être la seule femme exigeait de porter le genre entier sur ses épaules. Aujourd’hui la pluralité permet désormais à chacune d'affirmer son identité sans être ramenée à « son hystérie » ou à un cliché. C’est plus facile d’oser être soi quand le collectif a gagné le droit d’exister.

Toutefois et malgré tous les progrès, il reste du chemin à parcourir. Les grands groupes investissent de plus en plus pour faire accéder les femmes aux postes de responsabilité, mais les petites structures ou les start-ups qui n’ont pas les moyens d’avoir des grandes politiques de développement sont encore très marquées par les stéréotypes. Or, ce sont justement ces représentations genrées qui assignent les femmes à des fonctions de marketing ou de communication, tandis que les fonctions clés comme le développement ou la finance restent majoritairement masculines. Il faut encore que ça bouge !

Quelles sont les qualités d’un rôle modèle féminin pour vous ?

Bénédicte Tilloy : La qualité la plus importante à mes yeux, mais aussi la plus délicate, est cette capacité d’équilibriste à naviguer entre l'infiniment grand et l'infiniment petit en même temps. Et je pense, en tant que dirigeante, avoir réussi à accorder de l’attention et de l’écoute pour chaque individu, tout en conservant une vision d'ensemble.

J'ai aussi cherché à autoriser plutôt qu'à interdire, en montrant que des portes étaient ouvertes là où l'on pensait que tout était fermé. On pense à tort que le rôle d’un dirigeant est d’interdire mais bien au contraire, il s’agit d‘accompagner les gens à oser, puis à réussir. Moi-même j’ai l’impression d’avoir tracé ma route avec cet état d’esprit, y compris quand celle-ci sortait des sentiers battus. Ce n’était pas anodin de quitter la SNCF à 55 ans, d’avoir voulu être start-uppeuse, de devenir peintre et de le raconter sur les réseaux sociaux... Mais je me suis autorisée chacune de ces trajectoires et je pense que j’ai réussi à autoriser à mon tour. Aujourd’hui, quand je rencontre d’anciens employés qui me remercient d’avoir cru en eux, ça me rend fière.

Enfin, une dernière qualité essentielle à mes yeux : le courage. J'ai dû affronter des situations de crise d'une intensité rare, et j'ai appris en les traversant qu’il ne servait à rien de se blinder. Il faut plutôt conserver son humanité coûte que coûte. Je me souviens encore de scènes qui me suivront toutes ma vie. De rencontre avec des familles après des accidents terribles, de ce contrôleur, entre la vie et la mort après s’être fait poignarder dans un train, et de sa femme qui prend ma main lors du procès face à son agresseur... Ce jour-là, elle m’a reconnu en tant que personne et pas juste en tant que représentante de l’entreprise, et ça je ne l’oublierai jamais.

Quels conseils pratiques auriez-vous envie de partager à la communauté EVE ?

Bénédicte Tilloy : Premièrement, n'attendez pas d'avoir besoin d'un réseau pour le construire. Contrairement aux hommes qui baignent littéralement dans des réseaux depuis leur naissance, les femmes doivent activement développer le leur. Et ce en dehors de l'entreprise. Participez à des conférences ou des événements qui vous intéressent car c'est là que les opportunités et les rencontres se font. Certes, c’est un travail à part entière mais il apporte du pouvoir et une véritable influence.

Deuxièmement, quand vous prenez du galon, ne tirez pas l'échelle derrière vous. Il est vital de protéger et d'encourager les autres femmes à monter, plutôt que de céder à la peur d'avoir été choisie par « discrimination positive ». Et pour faire suite à mon précédent point, acceptez de ne pas vous durcir pour rester à l'écoute et diriger avec humanité. Gardez à la fois votre hauteur de vue stratégique et votre empathie pour les individus. C’est cette capacité à allier l'intellectuel et l'émotionnel qui vous permettra d'être un leader impactant.

Enfin, ne cherchez pas à vous conformer pour plaire ou correspondre à ce que vous imaginez devoir incarner. On vous a justement choisit pour que vous fassiez les choses différemment ! Alors n’attendez pas d’être validé pour enfin oser être vous, parce que c’est en étant soi-même que l’on est validé.

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