Marlène Schiappa a fondé et préside Maman Travaille, un immense réseau de femmes (et d’hommes) engagé-es en faveur d’un meilleur partage des responsabilités à la maison comme au travail.
Le blog EVE l’a rencontrée et a décidé qu’une vie aussi riche que la sienne méritait au minimum un portrait.
Elle est entre deux trains. Entre deux villes, entre Paris où elle court de rendez-vous en rendez-vous, du Ministère des Droits des Femmes au siège de quelque grande entreprise en passant par les studios d’une radio ; et Le Mans où elle est a récemment choisi de s’installer avec conjoint et enfants. Entre deux trains, entre deux villes, Marlène Schiappa est cependant au coeur de la vie, au coeur de toutes ses vies : mère épanouie de deux filles, responsable associative, blogueuse star de la mummosphère, auteure prolifique, femme d’affaires… Et cette année, candidate aux municipales !
Une animée, pas une agitée ; une éclairée, pas une allumée ; une combattante, pas une guerrière…
Contre tout ce qu’on pourrait supposer une fois qu’on a listé ses multiples casquettes et jeté un coup d’oeil sur son agenda plein à craquer, elle affiche un calme superbe. Marlène Schiappa est une animée, pas une agitée. Une éclairée, pas une allumée. Une combattive, pas une guerrière.
Le grand combat qu’elle mène, pour une conciliation des temps de vie équilibrée et derrière cela, pour l’égalité femmes/hommes à la maison et au travail, elle le sert avec un style unique, bien à elle : du franc-parler dans la courtoisie, de l’ambition dans la modestie, de la détermination dans la délicatesse.
Déterminée, elle l’est, résolument, à faire entendre aux pouvoirs publics, aux entreprises, voire à la société toute entière, que les femmes travaillent et n’ont aucune raison ni de s’en excuser, ni d’accepter des conditions au rabais, ni de se cogner la fameuse « double journée » pour s’arranger avec le sentiment de culpabilité qui pèse sur elles.
Maman Travaille, un lobby assumé
Alors, son association, Maman Travaille (on ne saurait faire plus limpide), elle l’a d’emblée conçue comme un « petit lobby à notre échelle« … Avant de finalement « retirer « petit » et « à notre échelle »… » , parce qu’après tout, appelons un chat un chat, un problème un problème et les moyens pour le résoudre comme tels. Donc, oui, son association est là, pour « faire pression parce que ce n’est pas en clignant des yeux qu’on fait avancer un sujet comme celui-ci qui brasse en même temps de l’économique, du politique, du social, du culturel« .
Décomplexée de l’engagement, elle se dit aussi « décomplexée aujourd’hui du féminisme« . Comme une Marie-Laure Sauty de Chalon dont nous brossions récemment le portrait, elle n’entend pas de « gros mot » dans ce terme-là : « en fait, c’est juste vouloir l’égalité femmes/hommes, hein!… Il n’y a pas lieu de paniquer « .
Elle confesse cependant ne pas accorder trop d’importance aux débats théoriques « sur lesquels toute la documentation est désormais disponible sur le net : essentialisme, différentialisme, première, deuxième, troisième génération, chacun-e peut se renseigner, se faire son idée et si nécessaire, choisir son parti... » Sa posture est donc plutôt celle d’un pragmatisme éclairé : maîtriser des éléments de langage et de compréhension du fait social pour agir directement sur les leviers de la réalité.
Tombée dans la marmite des idées engagées
Les éléments de langage et de compréhension du fait social, elle est pour ainsi dire, tombée dedans quand elle était petite : fille d’une enseignante politisée et d’un historien spécialiste du babouvisme et de façon plus large, de toutes les figures et tous les courants de la libre-pensée, elle a baigné dès son plus jeune âge dans la culture du « sociétal », pourvu qu’on ose l’anachronisme. Elle a participé aussi, juchée sur les épaules de ses parents, aux grandes manifs des années 1980 : pour la laïcité, contre la fermeture du service de gynécologie de l’hôpital de son quartier, pour les droits des femmes, des immigré-es…
Avec un pareil pedigree d’enfant de la balle socio-éduquée, on la devinerait volontiers bachelière mention très-bien puis sciences-potarde, suivant la voie toute tracée. Ca la fait rire : « J’ai eu le bac, mais c’était pas au programme! J’étais un cancre, voilà. Je séchais les cours au lycée. Je ne pouvais pas passer des heures assises à écouter des gens me parler de trucs qui me parlaient pas, je n’y arrivais pas. »
Un prof de sciences économiques et sociales, cependant, la rattrape par le col, alors qu’elle n’a pas mis les pieds au lycée depuis plusieurs semaines : « Il m’a écrit une lettre de trois pages, qui disait en substance « Marlène, arrêtez de vous saborder, revenez en cours, vous avez un avenir, moi, je crois en vous ». » La confiance qu’il place en elle la motive. Elle se rassied derrière son pupitre et cartonne dans la matière (notamment en rendant une brillante dissert’ sur… Tiens, tiens, la situation des familles monoparentales!), sans s’imaginer cependant que c’est ce qui sauvera son bac. Du coup, persuadée qu’elle échouera, elle ne prend pas la peine de s’inscrire en fac.
Marre des discours sur la prétendue inéluctable reproduction des élites
Avec en poche un bac imprévu mais pas de projet d’études défini, elle file en Corse, l’île de ses origines, le temps d’une année sabbatique où elle vit de petits boulots (« j’ai toujours été financièrement indépendante, du jour de mes 18 ans jusqu’à aujourd’hui, et le serai encore demain » précise-t-elle avec une légitime fierté).
A son retour de l’Île de Beauté, elle s’inscrit en fac de géo, espérant y trouver le « concret » qu’elle attend et qu’on lui tienne la promesse « d’une vraie réflexion sur la façon dont l’humain travaille son environnement« . Manque de bol : au premier cours, le prof fait du Bourdieu à la truelle, « il explique qu’en bas de la pyramide, il y a les femmes de ménage et les ouvriers et qu’en haut, il y a lui, le prof d’université et quelques énarques, et que tout ça, ça va continuer pendant des siècles et des siècles, parce que c’est la re-pro-duction. Je trouve ça hyper violent, je le prends personnellement. Je ne me vois pas passer plus de temps avec ces gens qui regardent tout ça en considérant que c’est acquis, que ça changera pas, et qui font semblant de s’en désoler alors qu’ils se flattent au fond, d’être au bon endroit, dans le schéma« .
Rebelle, elle tourne les talons, laissant le prestigieux bâtiment de la Sorbonne derrière elle. Et prend le premier job qui se présente : standardiste dans un cabinet de recrutement. Elle y fait la connaissance de son conjoint. Au cours de leurs premières vacances ensemble, il la questionne « Alors, tu vas faire quoi, l’an prochain?« . La question la prend au dépourvu. Il insiste : « Marlène, tu vas pas rester derrière ce comptoir toute ta vie!« . Et la convainc de reprendre des études. Oui, mais alors, des études appliquées, hein! Banco pour une école de communication.
Derrière, elle est embauchée comme assistante nouveaux médias dans une agence récemment rachetée par Euro-RSCG. Elle y gravit rapidement les échelons, n’hésitant pas « à harceler son patron pour qu’il la promeuve » puisque c’est bien connu, qui ne demande rien n’a rien, et les femmes ont de toute façon toujours tendance à demander trop peu. Elle passe bientôt directrice éditoriale et… Peu après, attend son premier enfant.
Premier enfant et double-déclic : ça ne peut pas continuer comme ça!
Double-déclic au moment de la naissance de sa fille. Le premier, c’est que « bosser avec un enfant en bas âge quand t’as pas un salaire mirobolant, c’est hyper galère. Si je veux être à la crèche, qui est à une heure de mon bureau, à 17 heures 45 dernier carat, je dois décoller à 16 heures 30. Tu vois la tête du patron à qui tu annonces ça! Ou alors, je me mets à temps partiel et là, je travaille à perte« .
Le second déclic, c’est que « j’ai une fille. Ce qui signifie que si rien ne bouge dans les 20 prochaines années, elle aura les mêmes galères que moi, elle sera moins payée, elle aura moins d’opportunités pour progresser, moins, moins, moins…. Quand tu mets au monde un enfant, c’est juste inadmissible de penser qu’il aura moins malgré tout l’infini de ce que tu t’apprêtes à lui donner. »
Des passionnarias.com (un « Causette avant la lettre ») au Neuilly Bondy blog (par une « bilingue caillera-bourge »)
L’idée germe alors en elle de créer un média sur le thème de l’égalité femmes/hommes : les passionnarias.com « Une sorte de Causette avant la lettre, dont la baseline est « le premier féminin sans pub, sans régime et sans Paris Hilton ». » La presse et la blogosphère adorent, qui saluent l’intention et le ton de ce webzine d’un autre genre. En revanche, « c’est une cata en termes de rentabilité : la vraie baseline, en fait, c’est « site à business model pourri ». Pour résumer : personne ne comprend le nom ni se sait l’orthographier dans un moteur de recherche, j’écris comme pour la presse papier et le référencement est zéro, j’ai pas des « thèmes à clic », j’ai pas prévu de mécanique pour financer ne serait-ce que les coûts techniques, j’écoute l’avis de tout le monde et je fais tout ça avec un nourrisson qui pleure dans la pièce. Bonjour, les conditions de travail! »
Donc, lespassionnarias.com s’arrête. Mais pas le désir d’écrire de Marlène qui crée avec deux autres personnes une petite agence de production de contenus et s’est par ailleurs fait repérer par le Bondy Blog. Parce qu’elle est « bilingue caillera-bourge » (de l’intérêt d’avoir grandi dans une cité ouvrière), on lui confie la rédaction en chef du Neuilly-Bondy Blog puis du Business Bondy Blog. Entrée comme bénévole, elle en sortira associée. Entre temps, elle s’éclate, apprend à manager une équipe, fait des centaines de rencontres, affûte sa plume et cerne toujours plus précisément ses sujets de prédilection.
Maman Travaille : un tel besoin qu’un blog ne suffira pas… Ou le démarrage en fanfare d’un immense réseau!
Le sujet qui s’impose bientôt, c’est la conciliation vie privée/vie pro. Elle ouvre le blog Maman Travaille. Lequel rencontre l’écho que l’on sait : « C‘est hallucinant, toutes les femmes, de tous les milieux ont des choses à dire sur le sujet, elles en ont parfois gros sur la patate, ou bien elles ont besoin urgemment d’une réponse pratique, d’une solution concrète – un baby-sitting, des conseils pour un entretien de boulot, un point de droit à éclaircir – ou bien des anecdotes de « mère indigne » à partager pour en rire plutôt qu’en pleurer. »
Le blog ne suffira pas : les Mamans qui Travaillent, c’est en réalité une immense communauté à qui il va falloir donner un cadre (ce sera une association), proposer des rencontres (ce sera des conférences ou des événements nationaux comme la Journée Maman Travaille, à partir de 2011), offrir des moyens d’agir (de former, de sensibiliser, de faire pression sur les décideur-es).
Avant d’être dépassée par l’ampleur de ce qu’elle a soulevé, Marlène qui a bien compris que « ce sera du plein temps« , clarifie les choses, fait la part du bénévolat dans ses activités pour Maman Travaille (l’organisation des grandes manifestations, l’animation de la communauté, le lobbying auprès des pouvoirs publics) et de ce qui relève de l’activité professionnelle dont il est légitime qu’elle vive (les prestations de conseil et de formation aux entreprises). Les éditeurs aussi lui font appel pour écrire une série de guides bien troussés aux titres éloquents : Je reprends le travail après bébé, Maman Travaille le guide, Les 200 astuces de Maman Travaille, Le dictionnaire déjanté de la maternité et, à paraître, Le guide de grossesse de Maman Travaille…
Comme toutes les Mamans de son réseau, Marlène Travaille, et pas qu’un peu!
Influenceuse…
Encore d’autant plus que Maman Travaille devient incontournable sur un sujet qui, selon ses propres mots lui valait il y a 5 ans « des réactions du type : mouais, mouais, c’est pas inintéressant, mais c’est un peu des affaires de bonnes femmes » et qu’aujourd’hui elle a, sur cette question, l’oreille très attentive des grand-es dirigeant-es du monde économique et politique. Résultat : en 2013, Marlène entre dans le classement des « 100 influenceurs qui font le web français ».
L’info n’échappe pas au localier du Maine Libre, alors qu’elle vient de poser ses valises au Mans… Elle fait la Une du quotidien régional. Dans la foulée, le téléphone sonne : « Madame Schiappa, Monsieur le Maire veut vous parler« . Ah? C’est qu’il la verrait bien sur sa liste pour le scrutin de mars 2014, cette femme de 32 ans à l’énergie débordante, qui fourmille d’idées, n’a pas la langue dans sa poche, maîtrise déjà un agenda digne de celui d’un-e ministre et sait parler à autant d’acteurs aussi divers que les politiques, les entreprises, le monde associatif, les adeptes du social web et les médias.
« Comme dire je ne respire pas »
Avant d’accepter, Marlène se met au clair, avec elle-même comme avec la communauté Maman Travaille : dans une note de blog remarquable, intitulée « Comme dire je ne respire pas« , elle réitère son intention de s’adresser à tous et toutes, sur l’ensemble de l’échiquier politique et de tenir l’association en dehors de toute dialectique partisane.
Elle s’engage au passage à mettre à profit cette nouvelle expérience pour porter via de nouvelles voies le discours sur l’équilibre des responsabilités entre femmes et hommes, partout, y compris en politique, désormais…
… Et assume, oui, son « goût pour l’action« , qui est bien « le versant le plus enthousiasmant du pouvoir, non? « .
Marie Donzel, pour le blog EVE
Romancière, une nouvelle casquette pour Marlène
Quand Marlène Schiappa n’est pas en rendez-vous avec nous, avec un-e Ministre ou un DRH, avec des habitant-es du Mans, avec l’instit’ de ses filles ni avec ses followers sur Twitter, vous savez ce qu’elle fait? Elle écrit… Son premier roman paraîtra chez Stock au mois de mai. Ca parlera de femmes, de mères, de bosseuses et de celles qui sont tout cela à la fois. Ca traitera aussi d’amitié… Et de secrets de famille!
Un alléchant menu littéraire qu’elle a composé en s’autorisant pour une fois d’écrire sans se justifier autrement que par sa propre imagination, ses propres émotions, ses propres convictions. « Dans un guide pratique ou même dans un essai, il faut tout justifier. Dans mon essai sur la place de l’enfant dans la société actuelle, Eloge de l’enfant roi, chaque bas de page comporte environ 2 ou 3 références à des études sociologiques ou scientifiques, l’éditrice n’arrêtait pas de me supplier d’en retirer. Dans une fiction, on peut défier les statistiques.« , jubile-t-elle.
On peut aussi raconter le cocasse sans qu’il soit anecdotique et lui rendre ainsi toute sa puissance symbolique : « dans mon roman, il y a des scènes à la CAF, à la crèche, en entretiens d’embauche, il y a des malentendus et des dialogues entre collègues qui vont sembler délirants mais qui sont inspirés de faits réels. » Les raconter avec dérision,c’est pour cette lectrice (dans le désordre) de Raymond Radiguet, Justine Lévy, André Breton, Eliette Abécassis, Gabriel Garcia Marquez et toute la série des Bridget Jones et autres Confessions d’une accro du shopping, s’offrir un vrai temps de recul, un vrai temps pour soi… Même si de l’aveu de l’auteure, ce temps-là, chez un jeune parent hyperactif qui de surcroît écrit, est souvent volé à la nuit.
D’ailleurs, le roman devrait s’appeler Pas plus de quatre heures de sommeil.
A suivre…
Lire aussi :
– Notre portrait d’Olivia Moore, une « mère indigne » qui en fait tout un (hilarant) one-woman-show
– Notre interview avec Antoine de Gabrielli, président-fondateur de l’association Mercredi-C-Papa et de Happy Men, projet visant au partage des responsabilités au boulot comme au foyer
– Notre portrait de Sylvie Bernard-Curie, DRH de KPMG qui porte le projet VP2 (vie privée/vie pro) dans son entreprise
– Notre analyse de la récente étude de l’INSEE sur les femmes au foyer et notre lecture du rapport Fleischman-Hilard sur l’articulation des temps de vie au féminin
– Nos billets consacrés aux « papas d’Orange » qui ont fait le choix du congé parental
– Notre interview de Moïra Taillefer, une L’Oréalienne qui a imaginé une solution à mi-chemin entre expatriation et télé-travail pour concilier tous ses choix de vie