Mélange, égalité des chances, parité, égalité et/ou diversité ?
Via un sondage sur LinkedIn, nous vous avons posé la question « que représente d’abord pour vous la mixité ? ». Et vous aviez tou·te·s raison ! Car si aujourd’hui, quand on parle de mixité, on comprend d’emblée que l’on parle d’équilibre des genres, il faut savoir que les connotations du terme ont varié au cours de l’histoire récente, notamment en fonction des contextes socio-politiques et des enjeux collectifs. Tour d’horizon.
Le temps de la mixité connotée « diversité ethnique »
Dans les années 1950-1960, la mixité faisait davantage écho au métissage. Il faut se souvenir qu’à cette époque, on est d’une part face à l’enjeu crucial de la décolonisation et d’autre part face aux défis économiques des Trente Glorieuses.
La décolonisation amène à concevoir une autre relation avec les populations de l’ex-Empire. Au temps de la domination doit succéder celui de l’altérité, semblent vouloir dire les pouvoirs politiques. Toute la littérature post-coloniale révèle toutefois que cette problématique n’est pas soluble dans des éléments de langage.
Il y a à la même période le défi que représente la forte croissance économique qui demande de plus en plus de main d’œuvre. On fait appel à l’immigration. Mais tandis que les employeurs ont besoin des immigrés pour que tournent les usines, la société dont les esprits ne sont pas tout à fait décolonisés est traversée par des réflexes de repli identitaire. On promeut alors la mixité comme une forme de vivre-ensemble, tolérant, anti-raciste, ouvert au mélange fertile des cultures. Ce discours volontariste sur une mixité créatrice d’enrichissement est corrélé à un discours sur l’intégration, voire l’assimilation, des populations immigrées. C’est une sorte de paradoxe puisqu’en prétendant effacer les marqueurs culturels des personnes issues de l’immigration pour les dissoudre dans la norme du pays d’accueil, l’intégration vise plutôt à éviter le mixage !
Le temps de la « mixité sociale »
Après le premier choc pétrolier dans les années 1970 et la succession des crises économiques dans les années 1980-1990, la question des inégalités sociales se pose avec une nouvelle acuité. La ségrégation sociogéographique qui se lit dans l’urbanisme et l’habitat comme dans les conditions d’éducation, les écarts d’accès à l’emploi, la panne de « l’ascenseur social » et l’appauvrissement des classes moyennes, l’accroissement des inégalités de richesse, les fractures socio-culturelles au sein de la société font remonter la question de l’égalité des chances dans l’agenda.
Alors, le mot « mixité » devient synonyme de mixité sociale. L’école est particulièrement attendue sur l’objectif de mise à niveau d’une même classe d’âge, quelles que soient les origines sociales et les conditions familiales des élèves. La carte scolaire est questionnée et les établissements qui accueillent principalement les enfants des familles aisées sont appelés à œuvrer à la mixité sociale en ouvrant leurs classes à des élèves de milieux divers. L’habitat est un point nodal, tandis que les quartiers les plus nantis restent inaccessibles aux populations les moins privilégiées et que l’on observe par ailleurs des phénomènes de gentrification qui chassent les familles populaires des centres-villes. Les politiques publiques promettent de juguler ces phénomènes de scission-ségrégation en promouvant la mixité sociale. Les entreprises s’emparent aussi de ce motif, notamment quand elles rencontrent des difficultés de recrutement.
Le temps de la « mixité-parité »
C’est à la fin des années 1990 et au tournant des années 2000 que le mot « mixité » prend le sens premier de mixité de genre. Le mouvement féministe l’a jusqu’ici peut employé, lui préférant sensiblement celui d’égalité. Il faut dire que la mixité ne promet pas d’emblée que femmes et hommes vont accéder aux mêmes emplois et fonctions, aux mêmes rémunérations. Ça, c’est ce que promet la parité, portée par les quotas d’abord en politique puis dans le monde économique. La mixité engage seulement à la représentation des genres dans les espaces et fonctions réputés universels : le travail, le leadership, les tâches domestiques, le « care » etc. n’ayant pas de genre, il n’y a pas de raison pour que certains soient « réservés » aux hommes et d’autres aux femmes.
Quoiqu’a priori relativement peu engageante, la mixité devient comme une porte d’entrée consensuelle vers les sujets d’égalité. On comprend par exemple que si l’on veut augmenter la part des femmes dans les métiers masculinisés, il faut interroger les codes de ces métiers, s’attaquer aux stéréotypes et dévoiler les rapports de domination dont ils sont porteurs. En miroir, on se rend à l’évidence que pour attirer des hommes vers les métiers féminisés, il faut bien se pencher sur la question de la dégradation de la reconnaissance sociale et l’affaissement des rémunérations de ces métiers à mesure qu’ils se sont féminisés (les cas des juges, des médecins ou des enseignant·es étant symptomatiques).
Vers le temps d’une mixité toutes diversités ?
Les années 2010 voient le triomphe de l’objectivation du lien entre mixité et performance. Mais d’où vient que mélanger les genres favorise la santé économique ? On répond à cette question en convoquant la puissance de l’intelligence collective : la variété des points de vue, des expériences, des perceptions et des cultures. Cela ne vaut pas que pour la « diversité des genres » mais embrasse aussi l’intergénérationnel, l’interculturel, les origines sociales, les différences psychocognitives…
L’idée de mixité reviendrait donc à son étymologie mixtus qui signifie mélanger. En ce sens, la mixité n’est pas une coexistence dans les espaces et les fonctions mais bien une dynamique… Celle de l’inclusion !
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE