L’intelligence collective ne peut pas se passer de la mixité

Eve, Le Blog Actualité Leave a Comment

Difficile de parler d’intelligence sans parler du collectif. Et pour cause, pour le professeur Émile Servan-Schreiber, les deux sont liés : « Aujourd’hui il n’existe pas d’intelligence qui ne soit pas organisée sur la base d’un collectif, affirme l’expert. Qu’il s’agisse de votre cerveau qui est un collectif de 80 milliards de neurones qui collaborent pour produire quelque chose d’intelligent, ou de chat GPT qui regroupe l’ensemble des savoirs produits par les individus de manière à être exploitable pour et par tous. » Pour autant, et parce que la nature du collectif est de verser assez rapidement dans le conformisme principalement par souci d’acceptation par les pairs, il est nécessaire que ce dernier soit le plus diversifié possible. En termes d’âge, de métiers… Et évidemment de genre. Mais quel bénéfice tirer de l’intelligence collective couplée à de la mixité ?

La mixité comme facteur d’intelligence et levier de performance   

Les chiffres sont formels. Selon une étude scientifique menée par le MIT et l’université de Carnegie Mellon sur le “QI de groupe“ en 2010, les groupes les plus “intelligents” sont ceux avec une majorité de femmes en leur sein. Les chercheur·euses à l’origine de l’étude ont établi des facteurs bien précis : les groupes avec un pourcentage de femmes plus élevé connaissent une meilleure distribution du temps de parole ainsi qu’une meilleure qualité d’écoute. « Ce dernier élément est plus que crucial, puisqu’il ne sert à rien que tout le monde puisse tirer profit de son temps de parole si personne n’écoute quand les autres parlent », note Emile Servan-Schreiber. Cette sensibilité sociale va même plus loin puisque statistiquement et probablement par construction sociale, les femmes auraient une plus grande capacité à discerner les signaux non verbaux pour déduire l’émotion vécue par la personne.

La taille des cerveaux en présence ne fait pas tout. Ce qui compte surtout, c’est la communication : « Les groupes les plus intelligents sont ceux dans lesquels il y a la meilleure bande passante entre les cerveaux disponibles. » Autrement dit, l’intelligence collective va moins dépendre du quotient intellectuel que du quotient émotionnel de chacun·e dans le groupe. Par sa capacité à fonctionner avec les autres, à les laisser parler et à les écouter. « Or les groupes plus féminisés maîtrisent objectivement davantage ces deux faces de la communication essentielles à l’intelligence collective », affirme l’expert. Un constat qui se vérifie notamment dans les classements des entreprises cotées en bourse. « L’Observatoire de la féminisation des entreprises traque régulièrement les meilleures performances des entreprises du CAC 40, et ces dernières se révèlent à chaque fois être en majorité les plus paritaires. », complète Émile Servan-Schreiber. Et pour cause, de cette communication optimisée découle une meilleure performance au sein des organisations… Qui font preuve de plus d’innovation.

La mixité au service de la créativité et de l’innovation 

« Plus les profils vont varier, plus les idées vont être innovantes », reprend Emile Servan-Schreiber. Car la diversité cognitive propre à l’individualité et au vécu de chacun permet une pluralité d’approches d’une même situation notamment par ce que des opinions contrastées poussent au challenge et à la réflexion. « Au fil des discussions, les zones d’ombres et les biais vont s’annuler mutuellement tandis que les parts de vérités exprimées par chacun vont se compléter à la manière d’un puzzle », décrit Émile Servan-Schreiber. La diversité permet alors de recouvrir l’ensemble des enjeux et des risques à envisager, mais aussi de former une réflexion plus large enrichie par les visions des un·es et des autres qui viennent compléter, contredire ou questionner les idées partagées. Alexandre Gallard, faciliteur d’ateliers d’intelligence collective, en atteste : « Si l’on a uniquement les mêmes profils autour de la table, on va tourner en rond et ne pas se poser les bonnes questions puisque les participants risquent d’avoir la même approche et de tomber d’accord trop rapidement. Pour ouvrir les voies et innover, il faut penser ensemble différemment. » En somme, plus le problème est difficile à résoudre, plus il exige une pluralité de perceptions pour y répondre. Et plus la solution sera novatrice car impulsée par la fusion d’idées divergentes.

Néanmoins il n’est pas naturel de partager des opinions différentes et encore moins de se mettre d’accord à leurs sujets. « L’humain est un animal social qui a envie d’être intégré, de se sentir appartenir au groupe, et pour cela, rien de plus simple que d’être d’accord avec son voisin, confie Fanny Boulesteix, coach et co-fondatrice du programme de leadership féminin Tafoga. Or c’est justement le fait de ne pas être d’accord qui va permettre de challenger l’intelligence collective. » Et pour Émile Servan-Schreiber, c’est parce que cette méthodologie est « une intelligence artificielle » qu’elle doit être organisée pour être efficace.

La mixité : une intelligence collective qui doit être organisée 

Ainsi la pluralité d’approche a beau être un ingrédient essentiel pour produire de l’intelligence, cela ne suffit pas. L’intelligence collective existe si et seulement si les conditions qui la font naître sont respectées. Cela passe par l’observance de certaines règles : « celles qui vont encourager à exprimer sa diversité de la façon la plus indépendante possible, énumère Émile Servan-Schreiber, et celles qui vont permettre de prendre l’ensemble de ce qui a été dit et de considérer tout ce qui a été mis sur la table pour en faire un résultat collectif. » Mais ce n’est pas tout. Si ces règles permettent de nourrir l’indépendance d’esprit et la capacité à créer un arbitrage objectif, elles doivent aussi faire vivre l’inclusion. « Car la diversité d’opinions sans que les individus se sentent libres de partager leur avis, ou sans qu’ils puissent être écoutés ne sert à rien », relève Fanny Boulesteix. Alors, pour appliquer l’ensemble de ces règles du mieux que possible tout en faisant vivre la diversité de manière inclusive, l’intelligence collective va également gagner à s’exercer dans un cadre de sécurité psychologique, si possible garanti par un tiers ;.facilitateur, coach…

Le rôle du tiers pour faire appliquer les règles du jeu 

« Lorsque les entreprises me sollicitent, elles souhaitent faire réfléchir leurs salariés pour que ces derniers identifient les meilleures solutions possibles sur les sujets qui les concernent directement, explique Alexandre Gallard, facilitateur en intelligence collective du cabinet Utopies. Mon travail c’est de créer le cadre pour que ces personnes y arrivent. » Tout un temps de préparation se fait en amont pour imaginer les mécaniques de réflexion, les outils et les exercices qui permettront aux participant·es de produire en bonne intelligence les livrables qu’on cherche à obtenir. Mais son rôle est aussi utile lors de l’animation pour éviter les comportements dévalorisants. « Je m’assure que la parole soit bien répartie et que tout le monde s’écoute, notamment pour limiter tous les risques d’exclusion ou d’intimidation », témoigne le facilitateur d’atelier d’intelligence collective.

De son côté, Fanny Boulesteix a recours au coaching comme outil de développement de l’assertivité. « Si une femme a un point de vue complétement différent mais se trouve en minorité, elle peut avoir tendance à ne pas oser  le partager, à s’autocensurer. »

 

Elise Assibat, pour le webmagazine EVE

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *