Qu’est-ce qui fait qu’un feedback produit des apprentissages et des changements ? La rétroaction ! Mais c’est quoi, donc ? On passe le concept à la loupe.
Aux origines : la théorie des logiques mécaniques
L’idée de la rétroaction trouve ses sources dans l’étude des mécanismes cause-effet.
Quand un agent A mène une action qui implique un agent B, l’agent B réagit à cette action. Une bille bleue percute une bille rouge, donc la bille rouge bouge. Premier enseignement, nos actions ont des impacts sur les autres agents et sur notre environnement.
Mais il arrive que l’action de A sur B induise une action retour de B sur A. La bille bleue touche la bille rouge. La bille rouge bouge mais elle modifie aussi la trajectoire de la bille A. Deuxième enseignement : en impactant les autres agents, je m’impacte moi-même.
Imaginons maintenant que nous avons plus de deux billes : la bille A touche la bille B ce qui a des effets sur la bille C, la D et à l’infini. Autrement dit, agir sur l’autre, c’est agir sur l’environnement et agir sur soi. C’est ce qu’on appelle la systémique !
Les boucles causales
Mais ne multiplions pas tout de suite le nombre d’acteurs… Car il nous faut nous intéresser de plus près à ce qui se joue quand un agent interagit avec un autre. Plusieurs scénarii sont possibles :
- En agissant sur l’agent B (par exemple en lui faisant un commentaire sur sa participation au travail collectif), l’agent A observe en retour une adaptation du comportement de B qui va dans le sens voulu par A. L’agent A et l’agent B progressent dans la même direction.
- Mais il se peut que l’action de A sur B produise chez ce dernier un effet différent. B adapte son comportement à l’action de A mais pas forcément de la façon dont A l’avait imaginé. Par exemple : A a alerté B sur la présence de fautes d’orthographe dans ses écrits, attendant que B se relise plus attentivement ; mais B se dit que le mieux, c’est de demander à C de rédiger sous sa dictée.
- L’action de A sur B peut aussi être inhibante. Les commentaires de A sur l’orthographe de B découragent B d’écrire le compte-rendu, voire carrément de participer au travail collectif par peur de ne pas être capable d’y faire du bon travail.
- L’action de A sur B peut encore être contre-productive. Depuis que A a fait remarquer à B qu’il fait trop de fautes, B en fait encore plus qu’avant.
Les effets de renforcement
Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans cette diversité des scénarii possibles ? Des effets de renforcement, nous disent les psys comportementalistes. C’est assez simple : si un agent reçoit une récompense pour ses actions, il comprend et intègre que l’action est bonne et il est motivé pour la reproduire.
Mais est-ce à dire que quand ce même agent est puni, il intègre que l’action est mauvaise et s’interdit de la reproduire ? Si c’était aussi simple, les sanctions suffiraient à prévenir la récidive des actes délictuels. Ce n’est pas ce que démontrent de façon si convaincante les études sur les systèmes carcéraux.
L’estime de soi au centre du motif
C’est que chez l’humain, il y a au centre du feedback quelque chose qui fait toute la différence : l’estime de soi. Comptant parmi les objets favoris du behaviorisme, l’estime de soi touche au sentiment de l’individu d’avoir de la valeur.
Quand ce sentiment est abimé, l’individu est soumis à un stress qui entraîne chez lui des réactions de :
- défense/agressivité (justification de ses actes, y compris en usant de mauvaise foi ; disqualification de l’auteur du feedback ; ressentiment et éventuellement désir de vengeance ; jalousie…)
- soumission (obéissance excessive voire aveugle, sentiment de culpabilité, complexe d’imposture, sur-travail et perfectionnisme dans l’espoir de limiter le risque d’être pris en défaut…)
- fuite (autocensure, évitement, retrait, désengagement…).
Ce ne sont généralement pas les réactions attendues d’un feedback.
Préserver l’ego sans le flatter trop ?
Ménager l’estime de soi de l’autre est donc plutôt une bonne idée quand on veut obtenir un changement de comportement chez l’autre. Sauf que nous sommes toujours un peu méfiants quand il s’agit de caresser l’ego d’autrui, surtout s’il s’agit de lui faire part du fait qu’il y a des choses qui ne vont pas. Est-ce que brosser son estime de soi dans le sens du poil, ce n’est pas une sorte de contre-message quand on veut précisément lui dire que sa manière d’être et d’agir pose problème ?
Tout l’enjeu, c’est de parvenir à motiver le changement de comportement sans blesser l’autre dans son identité et dans son sentiment d’avoir de la valeur. Pour cela, on peut distinguer l’estime de soi de la satisfaction de soi : l’individu a de la valeur, il a droit à la reconnaissance ; mais tout ce qu’il produit n’est pas nécessairement à la hauteur de cette valeur. Ne pas « bien travailler » pendant une période donnée ne dit rien du potentiel, des capacités et des compétences de l’individu. Cela parle avant tout du besoin de mettre en place les conditions pour « mieux travailler » : du temps, des ressources, du soutien, de la motivation, de la confiance… Et bien sûr du feedback !
Et l’estime de soi du donneur de feedback, là-dedans ?
Mais on ne saurait conclure un article sur la rétroaction sans s’intéresser au renforcement du donneur de feedback.
En toute logique, quand il obtient des changements de comportement qu’il considère comme « positifs », il nourrit le sentiment non seulement qu’il a raison sur le fond mais aussi qu’il a de bonnes capacités à donner du feedback. Ne le décourageons pas, mais rappelons-le aussi à l’importance de supporter des avis contraires au sien et à la nécessité d’adapter à chaque individu avec lequel il interagit ses façons de donner du feedback. Car finalement, la première soft-skill à activer quand on donne du feedback, c’est l’empathie. Oui, oui, celle-là même qui permet de travailler à partir de l’estime de soi de l’autre et de ses leviers de motivations.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE.