Le sexisme se cache dans les détails… Jusqu’à se loger dans la taille des poches des vêtements. Non, mais sérieusement ? Un article sur les écarts de traitement face au prêt-à-porter ? Eh oui, car derrière cette question des poches, il y a toute une histoire qui parle de liberté, d’indépendance et même d’objectivation du corps des femmes. On en parle !

Des poches trop petites

Août 2018. Le très snob magazine culturel en ligne The Pudding fait paraître une enquête titrée « Someone clever once said women were not allowed pockets ». Une blague ? Pas du tout ! L’enquête révèle qu’à coupe équivalente, les poches de jeans des femmes sont 48% moins profondes et 6,5% moins larges que celles des jeans des hommes.

Et de vérifier quels sont les objets courants faits pour les poches des unes et des autres : seulement 10% de ces objets (smartphones, stylos, portefeuille…) qui logent dans les poches des hommes tiennent dans celles des femmes. Conclusion, elles n’ont qu’à prendre un sac à main pour trimballer le petit nécessaire de la vie ordinaire.

Du temps où les poches étaient de petits sacs

Ce qui est amusant, c’est que précisément, la poche est historiquement un héritage du sac des dames. Au Moyen-âge, nous dit l’historienne Ariane Fennetaux, les femmes nouent autour de leur taille, sous les jupons, une petite bourse qui contient l’essentiel à emporter avec soi, tout en gardant les mains libres.

En voilà une bonne idée, que les hommes vont leur emprunter dès le XVIè siècle en se faisant coudre des poches à même le vêtement !

L’avènement du vêtement fonctionnel et… Universel !

Plus la dimension fonctionnelle du vêtement prend le pas sur sa fonction de parure, plus les poches sont nombreuses, grandes et profondes. La combinaison de travail de l’ouvrier signe l’apogée de ce mouvement de praticité pensant le vêtement pour la vie réelle.

Les poches gagnent le vêtement de toutes les classes, se généralisant après la Révolution française dont on sait combien elle prend au sérieux la tenue vestimentaire comme signe d’universalité et d’égalité… Enfin entre les hommes.

Que mettre dans ses poches ?

Parce que pour les femmes, ça ne s’arrange pas avec la fin de l’Ancien régime. Ni sur le plan des droits ni sur celui des exigences sociales en matière vestimentaire. Le siècle bourgeois entend au contraire les assigner à un rôle social qui ne saurait leur permettre de se mouvoir avec aisance et moins encore de faire fi des devoirs de l’apparence.

Et puis, ça tombe bien, comme elles n’ont pas le droit de posséder quoique ce soit, nul besoin d’être équipées pour emporter des choses avec soi, nous disent les autrices de The pocket – A hidden history of women lives.

La poche, ça fait des bosses

Bon, mais quand même, avec la modernisation des tenues qui fait disparaître corsets, faux-culs et autres crinolines, les femmes vont bien finir par avoir droit aux poches ? Oui, mais non. C’est parait-il pas très beau, les poches.

The Spectator rapporte une blague circulant chez les premiers industriels du textile : les femmes ont déjà quatre bosses (comprendre la double paire de seins et fesses), il n’est ni utile ni gracieux de leur en rajouter sur les côtés ! Ambiance, ambiance.

Le vêtement se modernise, la poche se minimise

Et la suite de l’histoire, alors ? La suite, c’est que le vêtement féminin va s’ajustant de plus en plus, au plus près des formes du corps. Pas question alors de saboter le boulot du créateur qui a pensé les lignes parfaites de la robe avec des rajouts qui cassent tout.

Mais les voilà qui, malgré l’interdiction qui leur est faite (et ne sera abrogée en France qu’en 2013) de porter le pantalon, les femmes empruntent aux hommes ce vêtement qui facilite grandement les mouvements, jusqu’à en faire à partir des années 1960, une alternative banale à la jupe. Mais la poche continue à faire défaut, à moins qu’elle ne soit minimaliste voire carrément en trompe-l’œil. Plutôt des fausses poches décoratives que des vraies poches à remplir au risque de déformer l’habit ! « Les hommes ont des poches pour ranger des choses, les femmes ont des poches pour la décoration » aurait déclaré Christian Dior en 1954, selon l’article de The Pudding.

Pour une autre approche du vêtement des femmes

Et maintenant, on fait quoi de cet héritage ? Eh bien, on pense le vêtement des femmes comme des hommes de façon à ce qu’il soit à la fois élégant et fonctionnel, flatteur et agréable.

Pour le monde de la mode, cela revient à ne pas traiter la personne qui porte le vêtement comme la vitrine du talent du designer ni comme une incarnation de sa place sociale, mais d’abord comme un enjeu de son bien-être, de son plaisir et de sa liberté. Mais vous voulez dire une dimension, parmi d’autres, de l’empowerment ?

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE.