Manteau rouge, bedaine généreuse, tempérament exubérant et hotte chargée de cadeaux… S’il est une figure masculine de la bonhommie chaleureuse, c’est bien le Père-Noël. Mais dites-moi, ce ne serait pas aussi le visage d’une forme de patriarcat ? En tout cas, il y a du débat sur cette question-là !
La majorité préfère que le Père-Noël soit un homme, un vrai
Novembre 2018. Au conseil municipal de la petite ville anglaise de Durham, la discussion s’enflamme quand est évoquée la possibilité pour les femmes d’endosser le costume de Santa Claus lors de la parade annuelle qui fait la joie des habitants. Un conseiller s’insurge : « Le Père-Noël doit être un homme. C’est une tradition acceptée par la majorité de la société. »
Sur ce dernier point, il n’a pas tort : une étude anglosaxonne de 2022 révèle que 72% de la population américaine et britannique tient au genre masculin du Père-Noël ou de son cousin Saint-Nicolas, quand 18% admettent que le personnage soit neutre et 10% que ce soit une femme.
La Mère-Noël, bobonne ou bonne meuf ?
Pourtant, la Mère-Noël n’est pas tombée de la dernière chute de neige. Elle apparait dès 1851 dans le corpus imaginaire des fêtes, sous la plume d’un journaliste qui promet de dévoiler les coulisses de la magie de Noël. Mais la Mère-Noël n’est pas la collègue du Père-Noël, c’est sa tendre épouse qui l’aide et le soulage en cette période d’intense activité. Une vraie petite femme au foyer.
Quelques années après, l’écrivain Robert Saint-Clar imagine une Mère-Noël sexy, en jupons affriolants et bottes d’allumeuse. Les deux caricatures de la féminité enguirlandée, bobonne et Marie couche-toi-là, vont cohabiter dans la pop culture jusqu’à nos jours.
Sauf que dès 1889, la Mère-Noël se rebelle dans les vers de la poétesse Katharine Lee Bates : fâchée de se taper tout le boulot en coulisses sans récolter les louanges, elle exige de son mari qu’il l’embarque sur son traîneau afin qu’elle distribue elle aussi les cadeaux aux enfants. Un siècle plus tard, dans la comédie musicale Petite Maman Noël, elle devient carrément militante féministe et défenseuse des droits des enfants après avoir plaqué le vieux schnock qui la délaisse pour aller pavaner en parangon de la générosité alors même que les cadeaux, c’est pas lui qui les fabrique (mais des ouvriers escalavagisés parfois pas plus âgés que ceux qui les trouvent emballés sous le sapin) et c’est pas non plus lui qui se cogne toute la charge mentale pour organiser la tournée des cheminées.
La Mère-Noël en a ras la hotte de la charge mentale
Quoi ? Une charge mentale des fêtes ? 62% des hommes ne se sentent pas du tout concernés, selon une étude IPSOS de 2022. Il faut dire que dans 95% des familles, c’est Madame qui s’occupe d’acheter les cadeaux. La déco et la préparation des repas pour une tablée dont l’effectif peut quintupler, c’est aussi pour la mama ! Mais à l’heure d’enfiler un déguisement de prodigue bienfaiteur qui fait pleuvoir les cadeaux sur la nichée, c’est plutôt papa ou papy qui s’y colle. Les gosses ne sont pas dupes très longtemps (ah tiens, le Père-Noël, il a la même voix et la même paire de chaussons que tonton. Tire voir sur sa barbe pour savoir s’il a aussi le même menton), mais la scénographie est un peu ingrate tout de même.
Mais au fait, on parle bien d’un personnage imaginaire, non ?
Du coup, on fait quoi ? Eh bien, on revient aux sources. Mais non, pas les sources de la répartition inégalitaire des tâches et des rôles dans laquelle les femmes font les choses tout en discrétion et les hommes prennent tous les risques (et bénéfices) de l’exposition. On revient aux sources de l’imaginaire, pardi !
L’imaginaire, c’est l’ensemble des récits fictifs que l’on se raconte dans une société pour s’accorder ensemble les plaisirs de rêver, de se divertir, d’envisager le monde autrement, de nourrir le terreau de notre créativité et de nos convivialités. Aussi, libre à nous d’ouvrir grand l’horizon des figurations de la fête ou du don. Car finalement, ce qui peut arriver de mieux au Père-Noël, c’est de diversifier ses fréquentations. Un peu comme un dirigeant d’entreprise qui a tout à gagner, pour se faire entendre du plus grand nombre et démultiplier le potentiel innovant de son organisation, à jouer la carte de la diversité !
Joyeuses fêtes à toutes et tous.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE