La société It Cosmetics et le cabinet Eranos se sont associés pour élaborer un copieux Livre Blanc consacré à la confiance des femmes. Ce monumental travail est le résultat d’une méta-étude portant sur un panel de 11 000 femmes de tous âges dans 11 pays différents. Il s’enrichit de témoignages de personnalités, d’éclairages d’experts, d’apports théoriques complémentaires et de recommandations pragmatiques.
Une somme remarquable que la rédaction du webmagazine EVE a lue pour vous.
La confiance en soi des femmes est-elle géo-culturelle ?
C’est le tout premier enseignement de ce Livre Blanc : le niveau de confiance en soi des femmes n’est pas le même d’une zone géographique à l’autre.
Mais gare aux stéréotypes interculturels ! Les pays dits « libéraux », où la culture de la liberté de se choisir un destin est supposée imprégner la société, ne sont pas nécessairement ceux où les femmes se sentent les plus sûres de leur capacité à confronter les aléas, surmonter les difficultés et rebondir.
Les pays traversés par des cultures plus rigides, éventuellement marquées par une religiosité affirmée dans les valeurs communes, peuvent voir la confiance en soi de certaines catégories de femmes s’exprimer à un plus haut niveau. Mais c’est à pondérer par le poids des traditions dans la vie quotidienne qui étrique la confiance d’une partie de la population féminine, exprimant peu d’espoirs quant à ses possibilités d’échapper à un « destin de femme » assignée aux rôles de genre.
Et puis, pour compléter ce tableau général, notons que les pays dont le régime est considéré comme plutôt « autoritaire » voient l’expression du désir d’empowerment des femmes s’exprimer avec une vigueur non négligeable ; vigueur pouvant être assimilée à un fort niveau de confiance en leurs capacités et à une réserve phénoménale d’énergie pour en donner la démonstration.
Mais ne restons pas sur cette synthèse cartographique bien trop rapide (et tellement mieux détaillée des pages 59 à 81 du rapport) pour dire la complexité de la question de la confiance en soi des femmes et entrons dans le détail…
Ce que « confiance » veut dire
Car en effet, « confiance en soi » ne signifie pas la même chose pour tout le monde. La notion demeure instable et très dépendante du contexte dans lequel les individus interagissent les un·e·s avec les autres comme avec le « système ».
Le Livre Blanc It Cosmetics/Eranos insiste sur cette dimension dynamique de la confiance qui se situe toujours au croisement du « trust » et de la « confidence ». Autrement dit, en bon français, il n’y a pas de confiance qui ne soit à la fois celle que l’on ressent, que l’on se voit accordée, que l’on a des raisons de nourrir (en l’autre, en l’organisation, en l’avenir…), celle que l’on travaille à développer en soi (notamment en préservant son estime de soi, en combattant ses complexes – d’imposture, ou autres… –, en levant ses freins intériorisés…) et celle que l’on inspire aux autres (en tant que personne fiable, authentique, solidaire etc.). Ces trois dimensions s’équilibrent différemment selon la culture, le contexte, l’histoire personnelle et les tempéraments des individus.
Ainsi, nous trouvons un début d’explication aux variations géographiques ci-dessus évoquées : dans des espaces-temps où chacun·e est responsable (ou responsabilisé·e) vis-à-vis de ses actes et projets, il est assez logique que ce soit la confiance en soi qui semble faire frein au plein épanouissement. L’individu sait qu’il a à travailler sur lui-même pour tirer au maximum profit de ce qu’un environnement relativement rassurant peut lui apporter.
Mais là où, à l’inverse, l’environnement est insécure, l’individu renvoie les freins à des restrictions externes (légales, sociales, culturelles, économiques…), ce qui est de nature à entretenir le sentiment que si on le « laissait faire », il déploierait des capacités remarquables.
Dans les deux cas, aux extrêmes du spectre, une part de pensée magique opère subrepticement : aussi vrai que la femme évoluant dans un décor libéral ne saurait se flageller pour manquement à sa capacité à surmonter des freins, celle qui évolue dans un paysage restrictif ne saurait imaginer que la liberté d’agir résoudrait toute question de confiance.
La confiance a-t-elle un genre ?
Toutefois, qu’il s’agisse d’une réalité (les femmes auraient moins confiance, de fait) ou d’un effet d’expression (les femmes parleraient plus volontiers de leurs failles de confiance), force est de constater que la question est genrée.
Le Livre Blanc It Cosmetics/Eranos s’intéresse alors à la construction de la confiance chez les femmes et les hommes. Sans surprise, les femmes de l’ensemble du panel témoignent des effets d’une éducation genrée, d’environnement sociaux stéréotypés et essentialisants, de parcours professionnels qu’elles perçoivent comme plus escarpés que ceux des hommes (plafond de verre, quand tu nous empêches !), etc. qui ne sont pas pour favoriser leur sentiment qu’elles ont leur place, qu’elles sont capables, que leur avenir leur appartient tout à fait.
On regrettera, comme souvent, à la lecture de travaux sur la confiance (comme sur la parentalité ou les émotions, entre autres thématiques) que la perception des hommes soit éludée. De rares études, plus ou moins rigoureuses et plus ou moins orientées, mais certaines méritant tout de même qu’on s’y arrête, cherchent à cerner la perception masculine de ce sujet. Toutes, quelles que soient les intentions dont elles procèdent et les éventuelles faiblesses de leur méthodologie, mettent en évidence que la confiance (en soi) des hommes n’est pas un acquis si certain. Il y va davantage de crainte de fendre l’armure virile en exprimant ses doutes (quant à ses propres compétences, quant à la fidélité d’autrui, quant aux promesses sociales) que d’authentique assurance prêtant le flanc à la caricature de l’alpha mâle !
Mais qu’est-ce qui nous donne confiance ?
Passons sur la présomption du Livre Blanc It Cosmetics/Eranos que c’est d’abord une affaire de femmes… Pour nous intéresser aux 14 sources de confiance que ses auteur·e·s ont pu identifier et classer en 5 catégories :
- Le contexte/L’environnement, plus ou moins propice à l’expression de soi ;
- Les autorisations que nous prenons ou nous nous donnons en fonction de ce contexte ;
- Les profondeurs intimes de chaque individu qui survivent à toute atteinte (ou presque) à l’estime de soi ;
- Les normes sociales qui valident ou invalident nos pensées, nos volontés, nos agissements, et leur donnent de la valeur ou au contraire, nous mettent en risque de disqualification ;
- Les inspirations qui nous aspirent à oser, à prendre notre élan, à nous sentir capables de confronter l’adversité autant que d’assumer le succès, de faire face aux aléas aussi bien que de nous transformer quand les imprévus et incertitudes l’exigent.
C’est sur cette dernière source de confiance que notre attention est attirée : au-delà de l’effet rôle-modèle, qu’est-ce qui provoque le déclic de l’audace ? Le Livre Blanc It Cosmetics/Eranos distingue 5 leviers pour activer notre capacité à nous faire à nous-mêmes le cadeau d’oser :
- Le « support-system », c’est-à-dire la confiance dont nous investissement vraiment, authentiquement et fidèlement, celles et ceux qui nous laissent le soin de tenter des choses qui font bouger les lignes ;
- La spiritualité, que chacun·e interprètera dans la grammaire de sa culture, mais qui, quels qu’en soient les formes et les usages, nous porte à croire que le meilleur est possible, c’est-à-dire à être optimistes ;
- Les utopies, parce que personne n’a jamais contribué à changer la face de son humble existence ni celle du vaste monde sans être animé·e par un idéal…
- La fraternité/sororité (ou solidarité), qui fait que se savoir soutenu·e facilite le geste d’agir en étant soi-même sans avoir à se justifier ni s’excuser à tout instant, mais en sachant que même si l’on commet des erreurs, on ne sera pas « lâché·e », mais au contraire accompagné·e dans l’exercice de la remise en cause.
- La transgression ou le droit de ne pas être là où l’on est attendu·e, de prendre un temps d’avance sur ce que la majorité est prête à accepter, de franchir les barrières des normes socio-culturelles…
Ce que peuvent les organisations pour la confiance des femmes (et des hommes)
Tout à sa redoutable intelligence, le Livre Blanc It Cosmetics/Eranos produit un parcours de recommandations reposant sur 3 leviers :
- Les « drivers »: celles et ceux qui sont convaincu·e·s des vertus de la mixité et prêt·e·s à faire confiance aux femmes parce qu’il est évident que si on leur fait confiance, elles se feront confiance. Le rôle de ces « drivers » n’est pas que d’être ambassadrices/ambassadeurs de l’égalité de genre sur le plan conceptuel et/ou communicationnel mais d’être aussi là pour réassurer les femmes dans la confiance qui leur est accordée, chaque fois que le doute inadapté refait surface.
- Le « wagon »: c’est l’ensemble des acteurs/actrices prêt·e·s à suivre le mouvement en faveur de la mixité et à faire autant confiance aux femmes qu’aux hommes, en conjuguant leur sens des valeurs citoyennes, leur bon sens de terrain et un certain désir qu’on en finisse avec le sexisme pour passer à la suite. Selon les auteur·e·s du rapport, la clé est vraiment là : quand il sera parfaitement banalisé auprès de la majorité que le leadership n’a aucune raison d’être apprécié à l’aune du genre, et que les collaborateurs et collaboratrices d’une organisation n’auront pas davantage de raisons de rechercher l’attention d’un homme que d’attendre une femme au tournant, la partie sera quasi-gagnée !
- Mais il ne faut pas oublier les « loaders » qui ne font a priori pas cas du genre du capitaine, ne cherchent pas non plus à tirer plus-que-profit de l’ordre social genré ni ne se soumettent à l’air du temps qui voudrait qu’on promeuve le leadership « au féminin »… Aussi longtemps que l’organisation leur convient ! Plutôt « suiveurs » dans l’âme, ils/elles peuvent basculer dans le camp du changement comme dans celui de la résistance. Tout dépend de la façon dont ils/elles perçoivent le changement et ses effets sur les « règles du jeu ». Si leur impression penche du côté de la peur d’être défavorisé·e·s (perte de confiance dans le système, en l’occurrence) par la mixité, ils/elles marqueront leur hostilité, quitte à la diriger directement vers les femmes en attaquant leur confiance en elles (mise en cause de leur légitimité, assimilation de leur assertivité à du syndrome de reine des abeilles, refus latent de considérer leur autorité à l’équivalent de celle d’un homme…). Mais s’ils/elles ont le sentiment que le changement que représentent les avancées du leadership des femmes est source de bénéfices, directs (montée en qualité de vie au travail, par exemple) et indirects (performance accrue), alors ils/elles rejoindront le « wagon » voire pourront devenir des « drivers ».
Remarquablement riche, ce document produit par It Cosmetics et Eranos constitue une source appelée à faire référence pour repenser les paradigmes du leadership équilibré tout autant que nos modes d’organisation du travail qui, plus que jamais, doivent s’adosser au renforcement de la confiance. De tou·te·s.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE