C’est quoi, « l’écologie relationnelle » ?

Eve, Le Blog Dernières contributions, Développement personnel

« Commence par changer en toi ce que tu veux changer dans le monde » disait Gandhi. Un appel à prendre ses responsabilités au cœur de son intimité pour devenir un acteur efficace des transformations de son environnement. Cette vision préside à « l’écologie relationnelle », une approche durable des relations qu’un individu peut (doit ?) entretenir avec son entourage. La rédaction du webmagazine a voulu en savoir plus…

Une métaphore empruntée au lexique des sciences environnementales

Bienvenue dans la « maison de l’intelligence » !

L’écologie relationnelle, c’est d’abord une écologie. C’est-à-dire, étymologiquement, une « maison de l’intelligence ». Eh oui, écologie vient des termes grecs « oikos » (la maison, le patrimoine) et « logos » (un intraduisible dans lequel se logent autant de notions que le savoir, le discours, la science, la compréhension, la relation… Bref, une foule de compétences qu’on rapporte à l’intelligence).

L’écologie comme un sentiment, chez Thoreau

La première occurrence du terme « écologie » remonte aux écrits d’Henry David Thoreau, auteur d’un essai marquant consacré à la désobéissance civile et de l’incontournable Walden ou la vie dans les bois, parus respectivement en 1849 et 1854. Au cœur de la révolution industrielle, le philosophe et poète se passionne pour la nature et les formes de vie, menant dès sa tendre jeunesse une réflexion poussée sur les sentiments que provoque chez l’humain le contact avec les éléments, les animaux, les végétaux…

Deux ans durant, il se retire dans une cabane en forêt près de l’étang de Walden, dans le Massachussets. Il dit vouloir « s’excentrer », à la façon d’un Rousseau affirmant son besoin de solitude et de nature pour nourrir sa réflexion sur le monde et développer des relations sociales plus riches. Bref, il prend du recul.

Inspiré par le transcendantalisme, courant philosophique et artistique croyant en la bonté fondamentale de l’humain tant qu’il n’est pas corrompu par ses créations qui le dépassent (la religion, les institutions, l’industrie, le pouvoir…), il s’intéresse à ce que la fréquentation des espaces naturels et du vivant fait émerger de meilleur en l’humain. Des émotions, parfois bouleversantes ; des sentiments, comme l’amour ou l’optimisme mais parfois aussi la colère quand ce à quoi il est attaché se trouve abîmé ; des valeurs, comme l’éthique ; des idées pour adresser les sujets de son époque sous des angles neufs.

Une économie de la nature, chez Darwin

Parmi les premières apparitions du concept d’écologie, il y a aussi ce passage du préambule de la première édition (1859) de l’œuvre maîtresse de Charles Darwin, De l’origine des espèces, où il est question d’ « économie de la nature ». Le père de la théorie de l’évolution jette les bases d’une pensée écosystémique : il y a interdépendance entre tous les êtres vivants, reliés par leurs besoins de se nourrir, de s’abriter, de se protéger, de se soigner, de réguler leur population

Un seul être manque à cet équilibre et tout risque d’être dépeuplé ? Pas tout à fait, chez Darwin qui ne défend précisément pas une fixité de la nature mais s’intéresse aux évolutions de celle-ci, sous l’effet des facteurs qui l’influencent. Toutes les espèces, quand elles sont confrontées à des modifications de leur environnement, adaptent leurs façons de fonctionner et d’interagir jusqu’à modifier, à l’échelle de plusieurs générations, leur nature.

La notion d’ « économie de la nature » proposée par Darwin va beaucoup plaire aux utilitaristes qui regardent volontiers tout fait comme une affaire d’intérêts. L’écologie va ainsi trouver des soutiens du côté du libéralisme conséquentialiste : certes, il est tentant de piller les ressources de la planète pour faire le plus rapidement possible le plus de chiffre d’affaires possible, mais c’est à terme scier la branche sur laquelle on est assis puisque, le jour où il n’y aura plus de ressources, il n’y aura non seulement plus de moyens de produire mais aussi plus de vivants pour consommer la production ! Il faut donc voir à être économe dans ses prélèvements et veiller à entretenir des relations avec son environnement qui favorisent les évolutions positives de celui-ci.

La politique comme une biologie appliquée, chez Ernst Haeckel

Les théories de Darwin vont bénéficier d’une importante diffusion grâce au biologiste allemand Ernst Haeckel. Ce professeur de médecine enseigne la théorie de l’évolution dès le début des années 1860 et multiplie la publication d’articles et d’ouvrages qui connaissent le succès populaire. Aussi, quand il forge en 1866 la notion d’ « oecologie », il profite d’un bon écho… Qui lui permet d’aller titiller le politique avec ses idées : le sens de la décision et de l’action, c’est d’organiser les relations entre les êtres vivants. Tout est écologie et tout est politique. Cette vision radicale jouera des tours à sa postérité : on accusera Haeckel inspiré les théories racistes et eugénistes du IIIè Reich. Ses propres ambiguïtés (particulièrement une faiblesse prononcée pour le suprématisme blanc) n’aideront pas celles et ceux qui voudront le réhabiliter.

Mais si l’on s’en tient à sa conception générale de l’écologie, retenons qu’elle procède d’une responsabilité à l’égard des écosystèmes. Ajoutons un point intéressant à relever dans le parcours d’Haeckel : il est le premier à considérer la psychologie comme un élément de la physiologie : Moniste convaincu (c’est-à-dire considérant que l’ensemble des choses est réductible à un seul principe directeur), il se refuse à regarder la science naissante des comportements et processus mentaux comme une branche distincte des sciences du vivant. Les émotions, les pensées intimes, les fantasmes, les pulsions et passions des individus appartiennent au tout que forme leur être et sont à prendre en compte, au même titre que tous les autres facteurs, dans leurs interactions avec leur environnement.

« L’écologie relationnelle », un concept fructueux

Dans les années 1980-90, le psychologue Jacques Salomé popularise l’expression « écologie relationnelle » avant d’établir sa Méthode ESPERE destinée à améliorer la communication entre individus, au moyen de techniques de développement personnel. 

La « poétique relationnelle »

Diplômé en psychiatrie sociale, Jacques Salomé débute comme éducateur spécialisé dans un centre pour jeunes en difficultés. Son premier ouvrage, paru en 1972, est un manuel de formation à destination de ses confrères. Il y expose les problématiques de communication à l’origine des souffrances des jeunes désocialisés mais aussi de leurs relations conflictuelles, voire destructrices, avec leur entourage. Un diagnostic déjà posé par de nombreux psychologues, parmi lesquel·le·s on peut citer Sophie Morgenstern et sa célèbre disciple Françoise Dolto : qui ne peut exprimer ce qu’il/elle ressent développe des comportements (auto-)agressifs.

Salomé fonde un centre de formation, « Le regard fertile », qui propose aux travailleurs sociaux des méthodes innovantes, souvent basées sur le jeu, pour tisser le lien et nourrir la communication. La plupart de ses exercices portent un nom qui intègre l’adjectif « relationnel ». Tout comme le sous-titre de son second ouvrage, Je t’appelle tendresse, qualifié de « livre de poétique relationnelle ». Maniant l’art de tourner des formules aphoristiques, il se fait d’emblée adorer du grand public qui découvre une psychologie accessible et appropriable, indulgente et optimiste, humble et pleine de bon sens ; à mille lieux de l’image que renvoient d’une part les théoricien·ne·s qui publient de gros pavés surchargés de notes de bas de page et d’autre part les psys de cabinet que l’on se figure somnolant et grommelant occasionnellement des hum hum tandis que vous leur racontez votre enfance en pleurant toutes les larmes de votre corps.

Toute une série d’ouvrages, au croisement du conte, de la poésie en prose, du recueil de paroles de sagesse et de la vulgarisation scientifique vont suivre (sur le couple, l’éducation, l’amitié, le travail)… Avec à chaque fois le succès populaire au rendez-vous et un mot qui revient en boucle : RELATION.

Les méthodes Salomé

Offrir Construire Nourrir

Jacques Salomé donne une définition de la relation comme un process en trois temps :

  • offrir : marquer une attention, tendre la main, engager le dialogue, etc. ;
  • construire le lien au travers de l’échange vrai ;
  • nourrir le lien en se considérant comme coauteur et coresponsable de la relation.

 Pour cela, il recommande :

  • d’ « entendre les comportements comme des langages » : c’est tout le non verbal, mais aussi les postures et les actes, et même les maladies, qui doivent être écoutés ;
  • de « sortir du système questions/réponses » qui brouille la transmission des messages en multipliant les implicites, alors que l’affirmation explicite de ce que l’on ressent/désire permettrait au contraire de dépolluer l’échange ;
  • de « visualiser » : il s’agit de faire du point de vue de l’autre un objet, de façon à le considérer de façon distincte du sujet qui l’exprime.
  • De « symboliser» : même si on distingue l’individu de son point de vue, on peut se trouver personnellement troublé·e ou blessé·e par le motif du désaccord. Il faut alors l’ériger au rang de symbole (et non de position de principe) pour identifier ce qui heurte. Par exemple, un point de vue sur le risque de dénonciations calomnieuses d’agressions sexuelles dans la vague #MeToo peut susciter des émotions très vives chez une personne qui aura elle-même été victime de violences de ce type sans avoir pu en parler. La symbolisation lui permet de positionner sa peine ou sa colère sur le fait d’agression sexuelle et non sur la personne qui exprime ses interrogations sur la fiabilité de la parole des plaignant·e·s.
  • D’exprimer les peurs : pour Salomé, « derrière toute peur, il y a un désir ». Il faut donc parvenir à renverser le sentiment négatif qu’engendre la peur en sentiment positif tel que ceux provoqués par le désir. Par exemple : la peur d’être abandonné·e peut se travailler en aspiration à prendre son autonomie.
  • De « négocier les désirs» : tous les désirs ne sont pas aussi constructifs les uns que les autres. Certains sont de « faux désirs » (issus par exemple d’ancrages, de pressions sociales, de croyances et pensées magiques) et il faut les débusquer avant qu’ils ne prennent le pouvoir sur notre volonté. D’autres désirs sont bien sincères, mais pas forcément prioritaires, au sens où ils ne sont pas convertibles en projets, mais relèvent plutôt du fantasme voire de la chimère qui nourrit l’imaginaire mais apporte peu à la relation.
  • De renoncer à agresser d’une part et à séduire d’autre part: la relation n’est pas un rapport de force, ne vise pas à faire de l’autre une possession ni forcément un·e allié·e. Elle a pour visée d’être en soi satisfaisante, productrice de plaisir, de bien-être, de sentiment d’être aimé·e et d’aimer.
  • De se responsabiliser: la relation (comme la planète, la nature…) n’appartient à personne mais toutes les parties sont investies du devoir de la préserver et de la faire fructifier.

Le commun… Communique

Autre théorie développée par Salomé : le commun. Qui donne racine à la communication. Autrement dit, communiquer, c’est mettre en partage 4 éléments principaux :

  • Des faits & informations,
  • des ressentis & émotions,
  • des besoins & freins,
  • des idées & croyances.

Face à chaque item, nous avons le choix entre 4 postures :

  • dire: c’est annoncer, mettre sur la table ce que l’on veut partager, prendre l’initiative de l’activation de la relation ;
  • écouter: c’est accueillir, accepter ce que l’autre a à partager, considérer que ça a sa place dans la relation ;
  • entendre: c’est faire de ce que l’autre met en commun un objet d’émotion pour soi, voire un motif de changer de point de vue, d’attitude ou d’habitudes.
  • ne pas dire: il ne s’agit pas d’éviter les sujets qui fâchent, de laisser s’installer les non-dits et dénis, mais de mettre dans le commun le droit à un « jardin privé », à son intimité. Pudeurs et secrets font partie de la relation, méritant le même respect que ce qui est exprimé.

Le commun est un tout, un écosystème global qui supporte l’activité relationnelle aussi longtemps qu’il est équilibré et équitable.

Contre la S.A.P.P.E, l’E.S.P.E.R.E

Salomé est cependant conscient que l’immense majorité des relations ne fonctionnent pas comme il l’idéalise. Trop souvent, nous sommes piégés par ce qu’il appelle la S.A.P.P.E, un ensemble de réactions dysfonctionnelles à ce que nous recevons comme des agressions plus ou moins directes :

  • Surdité : les injonctions (« il faut tout de suite faire comme ci… ») nous braquent, on ferme les écoutilles !
  • Aveuglement : les menaces (« si on ne fait pas comme ça, il va nous arriver des misères… ») nous angoissent, on fait l’autruche !
  • Perniciosité : les disqualifications (« je ne comprends pas comment quelqu’un comme toi peut être aussi incohérent entre les discours et les actes ») entament notre estime de nous-même, alors on recourt à n’importe quoi, surtout la mauvaise foi, pour se défendre !
  • Perversité : les culpabilisations (« c’est de ta faute si on en est arrivé là… ») nous font l’effet de trahisons, donc on riposte et pas toujours de façon très noble !
  • Energivorisme : le chantage ( « si tu ne changes pas tout de suite, on va à la rupture… Et c’est à toi que ça va coûter le plus ») nous met en situation de dépendance et on s’épuise en cherchant à gagner du temps !

Il va falloir inverser le cercle vicieux. Pour ça, il y a la méthode E.S.P.E.R.E (trademark), pour

Energie Spécifique Pour une Écologie Relationnelle Essentielle, le tout explicité dans l’ouvrage Pour ne plus vivre sur la planète TAIRE. Assortie d’une série d’outils comme le « bâton de parole » inspiré d’une tradition amérindienne de régulation des échanges collectifs, « l’écharpe relationnelle » qui symbolise la coresponsabilité du lien, la « poubelle relationnelle » où jeter les « S.A.P.P.E », la « carte d’identité relationnelle » permettant de cerner ses atouts et ses points d’effort dans l’exercice de la communication, la méthode vise à renforcer « l’hygiène relationnelle » de chacun·e.

L’écologie relationnelle en question

Comme toute modélisation, qui plus est quand elle rencontre le succès commercial et populaire, « l’écologie relationnelle » à la Salomé est confrontée à la critique. Passons en revue les reproches qui lui sont faits, ou à tout le moins les doutes qu’elle suscite.

 

Une psychologie trop « bon marché » ?

La suspicion vient d’abord du monde des pairs… Les psys, qui ne reconnaissent pas Salomé comme tel ni ses modèles & méthodes comme valables. Diffusé en 2004, le documentaire « Les charlatans de l’inconscient » qui donne la parole à un aréopage de soignant·e·s réputé·e·s légitimes, ne manque pas d’égratigner Salomé dont la recette du succès aurait pour ingrédient principal une « démagogie » orchestrée consistant à « dire aux gens ce qu’ils veulent entendre », les « gens » étant ici « une clientèle essentiellement féminine qui lui est totalement acquise » (sic) dit la voix off.

Une psychologie flatteuse est-elle possible ? Sans forcément prôner le dolorisme dans le travail sur soi, ne faut-il pas supporter l’inconfort, en particulier de la confrontation à ses contradictions, de l’assumation de son imperfection voire de l’acceptation de ses pulsions moralement peu glorieuses (l’égoïsme, les dégoûts, le désir de domination…) mais néanmoins présentes ?

Un « engagement » de nature manipulatoire ?

Une autre critique faite à « l’écologie relationnelle » en tant que « méthode » de développement personnel pointe justement les rapports de pouvoir qui s’exercent dans une approche apparemment faite pour débarrasser la relation des jeux de domination. Sans qu’ils se prononcent spécifiquement sur les concepts de Salomé, Joule et Beauvois, psychosociologues de l’engagement et auteurs du fameux Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens pointent les effets dérangeants des méthodes qui ambitionnent de réguler les relations en jouant sur des processus psychiques et mentaux qui débouchent sur des transformations comportementales. Si, à l’instar par exemple du nudge, ces méthodes peuvent s’avérer redoutablement performantes, c’est parce qu’elles ont un fond manipulatoire malaxant à l’envi croyances, narcissisme, pragmatisme, illusions, projections… Alors, la morale s’en mêle : peut-on manipuler si c’est au profit de causes nobles (comme la paix, la préservation de l’environnement, la justice sociale etc.) ? En ce cas, qui définit les causes nobles ? Et qui garantit que les causes nobles ne pavent pas l’enfer de leurs bonnes intentions, comme plusieurs exemples historiques de planification du « bien » l’ont tristement illustré ? La question est ici, comme souvent, plus intéressante que les réponses.

Une écologie dépolitisée ?

Enfin, « L’écologie relationnelle » essuie la même critique que de nombreuses approches de développement personnel (de la Communication Non Violente à la Psychologie positive en passant, entre autres, par les colibris anthroposophes) : en travaillant l’échelle de l’individu, elle ferait déni des systémiques et des institutions, occupant le commun des mortels avec l’illusion qu’il peut changer le monde en se changeant et en influençant son entourage proche. Les effets de cascade, faisant des petits ruisseaux de grands fleuves, restent très aléatoires, voire procéderait de la pensée magique : apporter sa pierre à l’univers, c’est satisfaisant, mais ça ne présage en rien que cette pierre va entrer dans le bâti de l’avenir positif.

Pour une écologie (tout court) de tous les instants

Au final, « l’écologie relationnelle », pléonasmatique par essence, puisque l’écologie se définit comme la science des relations, gagne à être projetée dans une véritable ambition, dépassant largement le bien-vivre de proximité. C’est à toute une conscience de l’impact qu’il nous faut développer et mettre en œuvre dans l’ensemble de nos agissements. Vivre en en êtres conséquents, comme nous y invitent un Emmanuel Kant pour construire et appliquer une éthique porteuse d’impératifs catégoriques (à commencer par celui du respect de tout alter) ou, de façon plus concrète un David Hume qui fait de la connaisance de toute la diversité du monde la clé de la cohérence d’un être soi dépassant la satisfaction de soi. Puisse le développement personnel être une porte d’entrée, parmi d’autres, de cette écologie de tous les instants, dans toutes les dimensions de nos vies et dans la poursuite de projets collectifs de « bien commun ».

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE.