Le plafond de verre porte bien son nom. Sa paroi, comme la matière verre, est un aggloméré de grains de sable. Une foule d’inégalités plus ou moins visibles à l’œil nu, cachées dans des détails d’apparence parfois anodine, mais qui par effet d’accumulation et d’agrégation finissent par créer tout un différentiel de conditions de vie et de travail entre les femmes et les hommes.
Parmi ces « grains de sable » qui n’ont l’air de rien mais ne sont pas sans conséquences, une récente étude menée par l’Office for National Statistics britannique objective les écarts de temps passé dans les transports pour se rendre au travail.
Les temps de trajet domicile-travail des hommes plus longs que ceux des femmes
Les hommes représentent 61% des britanniques qui passent plus d’une heure à rejoindre leur lieu de travail et 47% de celles qui ont moins d’un quart d’heure de trajet.
Voilà un écart qui semble plutôt favorable aux femmes…
Des temps de trajet domicile-travail révélateurs des motivations pour prendre un job
Mais cet écart cache peut-être une réalité plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, derrière les temps de transport des femmes et des hommes, il y a des motivations différenciées de prendre un job : les femmes auraient davantage tendance à prendre en compte les critères se rapportant aux exigences de l’articulation des temps de vie et les hommes les critères afférant à l’intérêt du poste (en termes de contenu de la mission, de rémunération et de perspectives de progression).
L’arrivée du premier enfant réduit drastiquement le temps de trajet domicile-travail des femmes
Cette hypothèse trouve confirmation dans des données de l’Institute for Fiscal Studies qui indiquent que le temps de trajet domicile-travail chute significativement après la naissance du premier enfant… Pour ne remonter qu’une fois celui-ci entré dans l’adolescence. Le temps de trajet des hommes, quant à lui, baisse légèrement dans la première année de la parentalité pour se stabiliser ensuite.
Un modèle « breadwinner/housewife » qui résiste à la généralisation du travail des femmes
Les analystes de l’IFS font le lien entre « gender commuting gap » et « gender pay gap » : en croisant les données des écarts de temps de transport et des écarts salariaux, on constate une évolution parallèle. Plus les hommes vont travailler loin du foyer, mieux ils gagnent leur vie tandis qu’au même moment du parcours d’existence, les femmes se rapprochent du nid et voient leur évolution salariale bloquée. Le modèle breadwinner/housewife résiste aux mutations de l’économie et de la société… A commencer par l’évolution majeure que constitue la généralisation du travail des femmes à partir des années 1970.
Quand le « gender commuting gap » se réduit, les écarts salariaux continuent à croître…
L’étude IFS met bien en évidence la dynamique du plafond de verre en donnant à lire l’âge des enfants à partir duquel le « gender commuting gap » se réduit : concrètement, les femmes commencent à reprendre un travail plus éloigné du domicile quand leur premier enfant atteint sa treizième année… Mais cette treizième année du premier enfant, c’est aussi celle où le « gender pay gap » atteint son plus haut niveau, au-delà de 30%. Plus d’une décennie passée à faire passer la famille avant la carrière, tandis que les hommes prenaient le chemin inverse, ça leur coûte cher !
Et si cette situation ne convenait ni aux femmes ni aux hommes ?
Elles ne seraient pas un peu déprimantes, ces deux études britanniques qui complètent le tableau d’une société inégalitaire mais qui donnent aussi à lire une condition des femmes frustrante en termes d’évolution de carrière autant qu’une condition des hommes pas si réjouissante en termes de sacrifices pour faire carrière ? Car, s’il peut s’entendre que l’on fasse le choix de passer beaucoup de temps à travailler (parce qu’on se passionne pour ce qu’on fait, par exemple), qui a vraiment envie de passer beaucoup de temps dans les transports pour aller travailler ?
La pertinence des dispositifs en faveur d’un meilleur équilibre des temps de vie, pour les femmes comme pour les hommes, semble plus que jamais d’actualité pour permettre à chacun·e de s’épanouir comme elle/il le désire dans tous les espaces et moments de l’existence.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE