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Philosophe de l’âme humaine, Montaigne est assez rarement convoqué dans les discours sur l’égalité. Pourtant, celui qu’on regarde comme le précurseur des sciences humaines est hautement inspirant pour la pensée de la diversité et de l’inclusion. D’abord, parce que son oeuvre n’est que foisonnement de rencontres, d’anecdotes, de choses observées et analysées avec une inlassable curiosité et une indéfectible soif de comprendre. C’est une illustration par exemple de l’enrichissement infini qu’aller à la découverte du monde, avec un regard bienveillant et éclairé, permet.
Contre le repli sur soi, pour la plus large ouverture au monde
Au-delà de cet état d’esprit ouvert qui respire dans la forme de ses écrits, Montaigne conduit une réflexion de fond sur la diversité. Dressé contre l’ethnocentrisme et croisant le fer avec ceux qui se méfient des étrangers (notamment dans son célèbre texte De la vanité), il dit combien le repli sur soi étrique l’esprit et nourrit de médiocres fiertés, tandis qu’inversement la curiosité et la capacité à accueillir l’autre font grandir tout en forgeant une saine humilité.
La rencontre avec l’autre, un chemin à parcourir (et non un mur à franchir)
Pour Montaigne, « l’autre » n’est pas un « non soi » : certes, on l’appréhende depuis soi, par le constat de ce qui ressemble et dissemble, mais cette comparaison n’est pas facteur d’opposition mais seulement de distance. La rencontre avec le différent est un chemin à parcourir et non un mur à franchir.
Ce cheminement qui mène à l’autre est avant tout un voyage à l’intérieur de soi. Quand Montaigne parle de « détour » vers soi pour accomplir le « retour » à l’autre, il met en évidence une sorte d’omission de nous penser, en tant qu’individus, avec plus de profondeur qu’en nous distinguant du « différent » tel que nous le percevons. « Être soi » ne saurait se résumer à « ne pas être (comme) l’autre ».
Etre soi, non dans la recherche de la constance mais dans une posture de cohérence
Etre soi, c’est prendre pleinement conscience de la complexité de sa propre personne, dans la variété sans fin de ce qui nous compose et nous construit, mais aussi dans les mouvements qui nous traversent. Pour le philosophe qui qualifie le monde de « branloire pérenne », il est en effet vain de chercher à s’identifier à partir d’invariants. Nous sommes des êtres en dynamique incessante, plastiques et inachevés, forcément remués par ce qui nous est proposé par la vie, et sujets à la contradiction. Notre cohérence interne n’est donc pas à trouver du côté d’une illusion de pouvoir fixer notre identité, notre caractère ou notre pensée dans quelqu’immuabilité opposable à d’autres êtres pas plus constants que nous, mais dans un travail incessant de connaissance de soi, c’est à dire d’observation lucide de sa propre vision des choses, de compréhension de bonne foi de ses réactions pour s’amener à des prises de position humbles et ouvertes à la possibilité d’évolution.
En écrivant « Se trouve autant de différence à nous-mêmes que nous à autrui » (Livre II chapite I des Essais), Montaigne invite donc à une posture d’ « honnête homme » (ou femme, bien sûr!), dont il donne plusieurs éléments de définition au cours de ces écrits :
« Un honnête homme, c’est un homme mêlé » qui refuse « les jugements en gros » et sait que « le monde n’est que variété et dissemblance »
« Une tête bien faite » plutôt qu’une « tête bien pleine »
Qui voyage « pour frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui »
Quelqu’un qui, « quand on (le) contrarie » considère qu’on « éveille (son) attention, non (sa) colère »
Marie Donzel, pour le blog EVE
Ce qui dit Montaigne des femmes…
Au-delà de son propos général sur la nécessité de se connaître soi et de s’ouvrir à l’autre, que dit précisément Montaigne (« père d’alliance » de Marie de Gournay, auteure d’un traité d’Egalité des hommes et des femmes paru en 1622) des femmes? Petit florilège de citations qui témoignent pour part de la misogynie d’une époque (ou selon, certains commentateurs, des tourments personnels d’un philosophe à la vie affective tumultueuse) et pour une autre en particulier, pourrait constituer un authentique slogan féministe.
Pour Montaigne donc :
« La plus utile et honorable science et occupation à une femme, c’est la science du ménage »
« Les femmes donnent leurs appas à médiciner difficilement, mais à garçonner tant que l’on veut »
« La jalousie est la plus dangereuse condition des femmes comme de leurs membres la tête »
Mais…
« Les femmes n’ont pas tort du tout quand elles refusent les règles de vie qui sont introduites au monde, d’autant que ce sont les hommes qui les ont faites sans elles »