Rencontre avec Miora Ranaivoarinosy, Social Innovation & Community Manager de danone.communities
Eve le blog : Bonjour Miora. Vous êtes Social Innovation & Community Manager de danone.communities. A quand remonte votre intérêt pour le « social business »?
Miora Ranaivoarinosy : J’ai toujours eu une âme très « citoyenne ». J’ai grandi en Allemagne, où le système scolaire encourage beaucoup la participation au vivre-ensemble et la solidarité. Mon enfance, c’est aussi le souvenir très marquant de Tchernobyl : j’ai vu au moment de l’accident nucléaire une occasion de mobilisation sans précédent en termes de conscientisation sur les enjeux sociaux et environnementaux mais aussi en termes de mobilisation pour les populations de Tchernobyl. J’ai aussi pris conscience moi-même, très tôt, que nous sommes souvent la cause de nos propres malheurs et que penser des alternatives à ce qui nous menace est de notre ressort, si nous ne voulons pas en subir les conséquences dramatiques. Plus tard, en arrivant en France, j’ai été confrontée, dans la banlieue en déclin économique où ma famille était installée, aux problématiques de précarité et d’exclusion. Cela a renforcé encore ma conviction qu’agir n’est pas une option.
Qu’il s’agisse d’environnement ou de pauvreté et d’inégalités, je ne tiens pas les réalités inquiétantes ou tragiques pour des faits devant lesquels s’incliner. Pour moi, ce sont des raisons de se battre en proposant des alternatives…
Eve le blog : Quel cursus universitaire emprunte-t-on quand on a une telle vocation à changer le monde?
Miora Ranaivoarinosy : J’étais bonne élève et je me suis laissée convaincre par l’idée très française que dans ce cas-là, il faut faire une formation très généraliste, aller en classe prépa puis en grande école… J’ai donc pris cette voie, passé et réussi les concours d’école de commerce.
Mais je ne m’y suis moyennement plu et très vite, j’ai compris qu’il fallait que je trace ma route à moi, que je dessine mon propre parcours. Pour commencer, que je me dirige vers quelque chose qui me touche vraiment. Je me suis donc formée aux sujets de développement durable et après mon mémoire sur la bonne gouvernance des entreprises, j’ai cherché un travail qui me permettrait de mettre mes savoirs en application.
Eve le blog : Où débutez-vous donc votre vie professionnelle?
Miora Ranaivoarinosy : Chez Utopies, le cabinet de conseil fondé par Elisabeth Laville, pionnière dans les stratégies de développement durable. C’était une vraie bonne école : j’ai pu y cerner les problématiques fines de la transformation des entreprises, ce qui va au delà de la responsabilité sociale. Il s’agit de comprendre comment, parfois, le coeur de métier d’une entreprise peut changer si vraiment elle a envie de maximiser son impact social.
J’ai aussi compris au cours de cette expérience que les environnements dans lesquels je me développe sont ceux qui sont ouverts (j’entends par là qui se donnent la chance de croire que « c’est possible » de faire autrement), apprenants, prospectifs, où l’on sait prendre des risques et où l’on laisse sa pleine place à la conviction.
Eve le blog : Et après cette expérience de consultante chez Utopies?
Miora Ranaivoarinosy : Au cours de cette expérience, j’avais cerné que pour moi passer du développement durable au social business était la bonne voie. Alors, je me suis proposée comme bénévole pour Ashoka, une ONG pionnière dans le domaine.
Je me suis imprégnée de la culture et de l’esprit du business social, j’ai rencontré les acteurs de ce milieu, des gens innovants, très ouverts, très engagés…
J’ai alors entendu parler d’un projet qui se montait, et qui comptait Arnaud Mourot, directeur d’Ashoka France parmi les six co-fondateurs, tous des entrepreneurs sociaux déjà très occupés ! Il était question de créer un espace dédié à l’intelligence individuelle et collective pour trouver les solutions de demain, une zone de libre innovation, un lieu où l’on casserait les codes qui inhibent pour oser la différence.
J’ai d’emblée été séduite par l’idée et j’ai eu le vrai coup de foudre pour ce projet. Très vite avec Charlotte Hochman, nous formons le duo qui met La Ruche sur pied, tel des associées, et transformons un business plan en un lieu qui vit… Avec un vrai modèle économique. J’ai eu grand plaisir à la diriger jusqu’à ce que je n’arrive chez danone.communities.
Eve le blog : Quels postes avez occupés à La Ruche?
Miora Ranaivoarinosy : L’innovation sociale, ça passe aussi par le fait de redéfinir les métiers et les fonctions, voire de questionner la notion-même de carrière. En m’investissant dans le montage de La Ruche je me suis dit : quelle sera ta contribution à ces entrepreneurs sociaux ? Comment vas-tu te comporter pour leur envoyer un signal qu’il y a à La Ruche des autorisations différentes que dans les espaces, à l’époque, conventionnels ? Ces autorisations concernent la manière de se traiter en égaux, d’encourager la prise de parole de tous, la co-responsabilité dans le vivre ensemble et la mutualisation des talents, des ressources et des défis.
C’est pourquoi au début je me suis appelée « maîtresse de cérémonie » de La Ruche. Il s’agissait de créer une expérience complète depuis le moment où on entre dans La Ruche, jusqu’à ce que l’on en sorte, dans laquelle connections, partage de connaissances et innovation sont le menu de tous les jours. C’est une démarche holistique et cela commence par la mise en scène cet espace, la mise en lien entre les entrepreneurs, à l’intérieur de La Ruche comme autour d’elle… Il s’agit de créer une communauté de valeur et d’action, qui produit ensemble de nouveaux modèles. Une fois que ce rôle a été bien modélisé, je l’ai converti en directrice des programmes innovation sociale.
Eve le blog : Est-ce à ce moment-là que vous entendez parler de danone.communities?
Miora Ranaivoarinosy : J’ai entendu parler de danone.communities dès ses débuts, en 2007… Pour tous les acteurs du social business, danone.communities, c’est un projet emblématique, une initiative qui sort radicalement du cadre de la RSE, qui pose différemment la question de l’engagement de l’entreprise mais qui en défie aussi les codes en poussant jusqu’à son terme la logique de l’innovation…
J’avoue que j’ai toujours eu envie de rejoindre danone.communities. Quand Olivier Maurel m’a fait appel il y a deux ans pour qu’on imagine ensemble comment je pourrais participer à cette aventure, j’étais évidemment très enthousiaste. Ma collaboration avec danone.communities a alors commencé dès janvier 2013.
Eve le blog : Quel est votre rôle chez danone.communities ?
Miora Ranaivoarinosy : J’ai hérité de la partie promotion du social business et j’ai développé une autre facette au poste. Mon rôle, c’est de faire comprendre à un large public, au-delà de Danone, ce qu’est le social business, pourquoi on y croit, ce que ça nous apprend et ce que ça induit comme changements… Et ma deuxième casquette est de faciliter la circulation et l’appropriation des bonne pratiques au sein des équipes de nos 10 projets.
Eve le blog : Commençons par la première casquette. Pouvez-vous nous dire ce que sont les changements que le social business induit?
Miora Ranaivoarinosy : Des changements de paradigmes, dans toutes les dimensions de l’activité économique. Le social business questionne les objectifs (qu’est-ce qu’on veut faire quand on développe une activité économique? quels buts on veut atteindre?), les méthodes (de production, de travail, de distribution…), les critères d’évaluation (de la performance, des résultats…), les relations (dans les échanges économiques, avec les parties prenantes, avec les environnements au sens large), les visions (de l’entrepreneur-e, du management, du leadership…).
C’est d’autres manières de voir, d’apprendre, de compter, de reconnaître. On change de loupe! Le social business donne la priorité à ce qui dans certains business conventionnels est vu comme un bénéfice collatéral : l’empowerment, l’impact social, l’adhésion collective à une vision de changement.
Eve le blog : Comment convaincre le plus grand nombre que ces dimensions ne sont pas accessoires dans l’activité économique mais qu’elles représentent bien des dynamiques d’avenir?
Miora Ranaivoarinosy : Il y va, je pense, de faire comprendre qu‘il s’agit là d’un vrai mouvement qui rencontre des aspirations humaines très profondes, et qu’il n’est pas seulement question d’initiatives isolées et/ou reposant sur de seules bonnes volontés.
Une autre partie de mon job consiste donc à créer les conditions d’un partage très qualitatif des connaissances sur le social business dans un objectif de réplication possible. Je travaille à mettre en place des dynamiques de mise en réseau, de transferts des compétences et de co-création/co-construction de solutions.
Suivez Radio danone.communities en direct du Mexique : plusieurs émissions sur les questions d’accès à l’eau, un reportage sur le Global Social Business Summit, des témoignages d’entrepreneur-es sociaux...
Eve le blog : Concrètement comment s’incarne le travail de mise en place des conditions du partage des savoirs, compétences et solutions?
Miora Ranaivoarinosy : Par la multiplication des rencontres entre les acteurs de la communauté du social business. J’anime une fois par mois une conférence virtuelle avec les acteurs de tous les projets accompagnés par danone.communities : 20 personnes de 7 pays différents, ayant des problématiques diverses (que ce soit du fait du secteur d’activité sur lequel elles interviennent, de la région géographique où elles sont implantées, de leurs dimensions…) échangent sur leurs difficultés et se proposent mutuellement des idées pour y faire face.
Outre cette rencontre mensuelle, nous organiserons désormais deux événements annuels pour nous rassembler physiquement, en impliquant aussi les représentants du siège et des business unit locales de Danone.
Je rentre justement d’une learning expedition au Mexique, qui a permis la rencontre et les échanges, trois jours durant, avec les dirigeant-es de la Business Unit Mexique de Danone, des représentants des Business Units du Brésil et de l’Argentine, des équipes du siège et des entrepreneurs sociaux accompagnés par danone.communities (Naandi, Eco Alberto et 1001 fontaines).
Eve le blog : Quels sont les effets d’une telle rencontre entre des représentant-es du social business et de l’économie plus traditionnelle?
Miora Ranaivoarinosy : Avant de parler des effets, je voudrais préciser l’esprit dans lequel cette rencontre se fait : celle d’un partage équitable. L’un n’est pas le petit, ni le prestataire, ni le client de l’autre. Ce que l’on recherche, c’est un échange ouvert dans une vraie logique participative.
Cela étant rappelé, l’objectif d’une telle rencontre, c’est que chacun en sorte en ayant pris des engagements pour aider les autres. C’est aussi, au travers de la découverte mutuelle des métiers, des façons de faire, des cultures, une occasion pour chacun-e de prendre du recul sur ses propres méthodes et de s’inspirer des autres.
Ce qui me parait encore important à dire, c’est que quand des acteurs économiques se rencontrent pour dialoguer de l’impact social de leur activité, on replace la dimension émotionnelle dans le discours et dans les motivations.
Entreprendre, si on revient aux fondamentaux, c’est réaliser quelque chose qui compte pour soi et pour sa communauté. Ce n’est pas un acte froid, surtout quand on interagit avec les commuanutés sur le terrain. En revanche, il y a de vraies raisons, de vraies envies et de vrais plans d’actions !
Eve le blog : C’est ce noble esprit d’entreprendre, fondateur chez Danone, que danone.communities entretient aussi dans le groupe?
Miora Ranaivoarinosy : danone.communities s’inscrit bien entendu dans ce qu’on pourrait appeler la culture Danone, son double projet économique et social, mais aussi sa vision de l’innovation et du learning.
danone.communities, c’est un laboratoire d’innovation, c’est une incarnation de la conviction qu’il est indispensable d’être en frottement incessant avec le reste du monde pour en pleinement faire partie et y jouer un rôle utile.
Je crois de surcroît que cette vision, à laquelle les Danoners sont très attachés, rencontre un écho très fort aujourd’hui dans la société toute entière : le besoin de sens comme de fidélité des actes aux discours sont des valeurs montantes et d’avenir. Etre convaincu et intègre, cela fera, je crois, partie des qualités essentielles reconnues et valorisées dans l’existence en général et dans l’entreprise en particulier.
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE.
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