En cette semaine du 8 mars, riche d’événements divers et multiples pour porter sur le devant de la scène les femmes et surtout, pour mettre sur la table les grands enjeux de l’effectivité de leurs droits et de l’égalité, et tandis que nous poursuivons l’enrichissement de notre dossier thématique « femmes et médias », nous ne pouvions passer à côté de l’excellente initiative d’un collectif de femmes journalistes qui s’exclament d’une voix forte « Prenons la Une »!
Le manifeste de ce collectif, publié hier dans Libération, dénonce « la trop grande invisibilité des femmes dans les médias« et la vision partiale voire dégradante qui en est donnée, quand elles sont « sont trop souvent présentées comme de simples témoins ou victimes, sans leur nom de famille ni leur profession« . Il dit aussi le ras-le-bol des « clichés sexistes qui s’étalent sur les unes« , ramenant trop systématiquement les femmes aux statuts « d’objets sexuels, de ménagères ou d’hystériques » et rappelant que « ces stéréotypes sont à la fois la cause et le résultat des inégalités professionnelles, des propos et attitudes sexistes au sein des rédactions, mais aussi du manque de sensibilisation des journalistes à ces sujets. » Et de parler à coeur ouvert de tous les freins à leur carrière de femmes de presse : salaires inférieurs « de 12% en moyenne à ceux de leurs confrères« , accès restreint aux fonctions de direction quand « plus de 7 directeurs de rédaction sur 10 sont des hommes« , inévitable rencontre avec « le plafond de verre »…
Affirmant que ces inégalités de traitement « se reflètent mécaniquement dans les contenus de l’information », les auteures du manifeste parlent de « cercle vicieux » : comment en effet donner plus de parole aux femmes et produire une parole plus juste sur les femmes, sans poser la question de qui est en capacité de donner la parole, qui choisit les thèmes et les invité-es des émissions de débat, qui décide des critères de légitimité d’untel ou d’unetelle pour s’exprimer sur un sujet?
Sans verser dans les postures victimaires ni mettre en cause les hommes eux-mêmes, mais en dénonçant un état de fait qui doit interpeler chacun-e (car il y va bien d’intérêt général, quand c’est de qualité de l’information en démocratie dont on parle), le collectif en appelle au Conseil de Presse qui devrait bientôt voir le jour et avoir pour mission d’établir et garantir les règles de déontologie d’une profession en pleine redéfinition de ses contours. Il demande aussi aux écoles de journalisme de s’emparer une bonne fois pour toutes des questions d’égalité entre les genres pour non seulement former les futur-es journalistes aux conditions de la production une information mieux enrichie sur cette question, mais encore favoriser le développement de carrière des talents au féminin. Les deux allant de pair, on l’aura compris.
Parmi les premières signataires de ce manifeste, on trouve autant d’hommes et de femmes influent-es dans les médias que Melissa Theuriau, Audrey Pulvar, Edwy Plenel (Médiapart), Isabelle Germain (Les Nouvelles News), Alice Coffin (20 Minutes), Camille Neveux, Claire Alet (Alternatives Economiques), Cyril Graziani (France Inter), Elvira Masso (L’Express), Guillemette Faure (M le Monde), Johanna Luyssen (ex-Causette), Marlène Schiappa (Maman Travaille), Florence Coupin (Les Echos), Fabienne Broucaret…
Et la liste s’allonge d’heure en heure, tandis que le tumblr du collectif prend les allures de fil d’actu thématique : entre anecdotes à la VDM sur la vraie vie au travail des femmes journalistes, reproduction de unes sexistes de magazines et autres affiches de pubs qui ne montrent que des hommes pour illustrer, au hasard, le slogan « la radio d’opinions »…
A l’instar de « The représentation Projet« , l’association américaine qui s’attache à mettre jour après jour en évidence les prismes de genre dans le traitement de l’actu, gageons que « Prenons la Une » est en train d’initier un vrai mouvement de fond, qui sera capable de véritablement porter le changement non seulement dans l’univers des médias, mais aussi, parce que ceux-ci ont bien vocation à refléter la société et à analyser les grands enjeux qui l’occupent, pour l’ensemble de la population.
Marie Donzel, pour le blog EVE
Lire aussi : les billets de notre dossier thématique “femmes & médias”
– Le portrait de Marie-Laure Sauty de Chalon, PDG d’aufeminin.com
– Notre article sur le “Guide des Expertes”, une initiative de la journaliste Marie-Françoise Colombani
– Notre interview d’Isabelle Germain, fondatrice et directrice des Nouvelles News
– Notre billet sur la rencontre “Médias : freins ou accélérateurs de l’égalité femmes/hommes en Europe” organisée par la Maison de l’Europe de Bordeaux-Aquitaine
– Notre billet « boîte à outils » consacré au media-training avec les conseils de la formatrice en prise de parole en public Béatrice Toulon