Entretien avec Jean-Claude Le Grand, Directeur du développement international RH et Directeur Corporate Diversités de L’Oréal.
Réputé pour son engagement affirmé en faveur de la mixité et de la diversité, Jean-Claude Le Grand, Directeur du développement international RH de L’Oréal, conduit de longue date une politique d’égalité professionnelle redoutablement efficace dans l’entreprise.
Parmi les nombreuses actions qu’il a initiées et développées dans le but de favoriser l’expression et le déploiement des talents en tout genre, il y a l’implication forte de L’Oréal dans le Programme EVE, et cela depuis ses débuts, en 2010.
Aujourd’hui, L’Oréal est, avec Danone, à l’origine d’un ambitieux projet d’extension internationale du Programme EVE qui se concrétisera d’ici quelques jours avec la tenue du premier séminaire EVE Asie-Pacifique, à Shanghai.
Rencontre.
Eve le blog : Bonjour Jean-Claude. Le Programme EVE a déjà 5 ans. Vous avez joué un rôle moteur dans la participation de L’Oréal à ce Programme, dès 2010. Pourquoi y croyez-vous vraiment, et cela depuis le début?
Jean-Claude Le Grand : EVE, c’est une initiative de plus, parmi toutes celles que L’Oréal conduit pour l’égalité femmes-hommes, avec beaucoup de conviction et de vrais résultats.
En l’occurrence, j’ai tout de suite adhéré au projet d’EVE, quand Anne Thévenet-Abitbol m’en a parlé, il y a 5 ans, parce que que j’y ai vu une initiative résolument novatrice, et cela par deux aspects.
D’abord, par l’aspect interentreprises et plus généralement par la volonté de provoquer le changement par les rencontres. EVE, c’est la rencontre avec soi permise par la rencontre avec les autres. Pour illustrer cela, je citerais Paul Morand qui écrit dans ses Mémoires « Le plus beau voyage, c’est d’aller l’un vers l’autre« .
Il y a aussi, dans cette parole de Morand, une illustration de l’autre aspect particulièrement novateur d’EVE : EVE, c’est un voyage, c’est une aventure. Ca n’a rien du séminaire de formation classique et c’est ce qui m’a particulièrement intéressé dès le départ : on fait évoluer le regard sur la formation des personnes, on expérimente de nouvelles façons d’apprendre et de partager les savoirs et les expériences, on emprunte de nouvelles voies et on se dote de moyens inédits pour penser la place des femmes dans l’entreprise et leur leadership. Pour en parler et surtout pour agir, concrètement, efficacement.
Eve le blog : Le leadership féminin, c’est un enjeu majeur pour L’Oréal?
Jean-Claude Le Grand : Le leadership féminin, c’est surtout une réalité en progrès constant chez L’Oréal. Je rentre de Londres où j’ai présenté les derniers chiffres : entre 2007 et aujourd’hui, nous avons doublé la part des femmes dans les comités exécutifs et nous atteignons aujourd’hui 46% de femmes (contre 35% en 2007) au niveau « management commitees », c’est à dire proche du terrain, là où les décisions se prennent.
Et ce n’est pas fini : nous avons des objectifs chiffrés pour essaimer dans toute l’organisation cette culture des responsabilités partagées au travers d’une représentation équilibrée des genres. Pour cela, EVE nous a d’ailleurs inspiré un Programme de mentorat au féminin, qui, avec d’autres leviers, va permettre d’accélérer ce mouvement dans lequel notre entreprise est véritablement, très pratiquement, engagée.
Je peux vous annoncer aujourd’hui qu’en 2015, c’est à dire demain, nous serons à 50% de femmes au niveau des comités de direction opérationnels. A date, sur 1791 membres des comités de direction, 826 sont déjà des femmes ce qui représente donc 46% des « management commitees », d’où la possibilité d’être à parité d’ici 2015.
Eve le blog : Quand vous dites « partout chez L’Oréal« , c’est pour les 160 pays dans lesquels l’entreprise est aujourd’hui présente?
Jean-Claude Le Grand : L’Oréal est né en France mais c’est évidemment un groupe international, qui a la même exigence de fournir des produits de qualité identique en tous points du globe que d’offrir des conditions de travail équivalentes à toutes et tous ses collaboratrices et collaborateurs de par le monde.
Eve le blog : C’est la raison pour laquelle, vous avez voulu, avec Danone, aller plus loin dans la démarche d’internationalisation du Programme EVE en co-initiant cette année la première édition d’EVE Asie-Pacifique?
Jean-Claude Le Grand : Depuis le début d’EVE, nous y envoyons des collaborateurs et collaboratrices du monde entier. Mais nous avons envie de passer à l’étape suivante pour deux raisons.
D’abord, parce que matériellement, Evian, c’est quand même très loin de la Chine ou du Brésil!
Mais plus fondamentalement, parce que nous avons la conviction que dans un monde de plus en plus complexe et décentralisé, il est important d’être sur le terrain, d’être là où l’on veut agir. C’est indispensable pour cerner finement les subtilités régionales des enjeux, les logiques différentes à l’oeuvre. Le leadership féminin est une question liée à la culture, à la place des femmes, à l’histoire sociale. Il faut pouvoir adapter le mode opératoire à ces paramètres sans que cela implique de revirement du discours ni de révision des objectifs.
Le Programme EVE permet cela : c’est un Programme qui est à la fois très solide et très flexible, qui sait ce qu’il raconte et où il va ; et qui est en même temps très agile, très plastique, on voit bien qu’il sait lui-même se transformer d’année en année, pour rester un véritable acteur de transformation, en phase avec son temps, un temps qui change beaucoup et à grande vitesse.
Eve le blog : Pourquoi avoir choisi Shanghai, pour la tenue du premier Programme EVE hors les frontières de l’Europe?
Jean-Claude Le Grand : Parce que c’est en Asie que la question de l’égalité professionnelle et du leadership au féminin se pose aujourd’hui avec la plus grande acuité. Cela parce que les écarts femmes/hommes sont très forts dans cette zone du globe, mais aussi parce qu‘il y a, en Asie, énormément de femmes de talent, qui ont une énergie et une force incroyables. Il est indispensable qu’elles prennent maintenant, sans plus attendre, leur juste et pleine place dans l’économie de cette région.
Mais peut-être qu’EVE Asie-Pacifique n’est qu’un début : j’imaginerais volontiers que, si cette prémière édition d’EVE hors les frontières de l’Europe marche comme nous l’espérons, nous puissions envisager un jour un EVE Amérique Latine et pourquoi pas un EVE Afrique…
Eve le blog : Pensez-vous que le monde entier aspire à l’égalité entre les femmes et les hommes?
Jean-Claude Le Grand : Non, pas forcément. Ici comme à l’autre bout du monde, il y a des tas de gens qui n’ont pas vraiment envie que les femmes et les hommes soient égaux. Et après? L’Oréal porte cette conviction forte que c’est l’avenir ; que l’égalité des chances, c’est-à-dire la possibilité pour chacun-e de faire valoir ses talents, quel que soit son genre, quelles que soient ses différences, c’est de première importance.
Nous nous définissons comme United Nations of Beauty. Et pour nous, Beauté, ça va toujours de pair avec Diversité. Donc, nous promouvons la diversité partout, que ça plaise ou non.
Eve le blog : Allez-vous jusqu’à considérer que L’Oréal doit faire usage de son statut de grande entreprise incontournable dans les écosystèmes économiques nationaux pour faire progresser des valeurs, comme l’égalité ou la diversité, qui sont celles de l’entreprise, mais la dépassent aussi?
Jean-Claude Le Grand : Oui, bien sûr : être une grande entreprise qui, depuis de nombreuses années, obtient des résultats économiquement positifs, ça sert en partie à cela.
Notre rôle, c’est aussi d’être au service de la société et d’y faire progresser des valeurs humaines fondamentales. C’est ainsi que depuis la création de L’Oréal par Eugène Schueller, il y a plus de cent ans, nous agissons.
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE. Avec la complicité de Stéphanie Oueda et Christelle Lamperti. Remerciements à Noëlle Herpeux.
Lire aussi :
– Notre portrait de Zhen Zhen Lan, Vice-Présidente de L’Oréal Chine
– Notre article sur la politique d’évaluation de l’égalité femmes/hommes chez L’Oréal
– Notre interview d’Emmanuelle Lièvremont, directrice diversités et santé au travail de L’Oréal sur tout ce que l’entreprise met en place pour favoriser l’égalité femmes/hommes
– Notre entretien avec David Payet, Head of International Mobility de L’Oréal de 2008 à 2013, sur les dispositifs d’accompagnement à la mobilité des couples à double carrière
– Notre interview d’Anne Cohade, au sujet du Programme Pour les Femmes et la Sciences de la Fondation L’Oréal