Le blog EVE vous conseille. Avec l’aide d’expert-es qui acceptent généreusement de livrer leurs « secrets », nous vous proposons régulièrement des « boîtes à outils » pratiques (voir notre encadré en fin d’article) pour aborder en plus grande confiance les dimensions multiples de la vie professionnelle.
Pour parler mentoring sans langue de bois et répondre à toutes les questions qui se posent quand on envisage ce type d’accompagnement, nous avons fait appel à Martine Liautaud. Cette banquière au brillant parcours d’entrepreneure dans la finance, l’industrie et les services, préside aujourd’hui Liautaud & Cie, la banque d’affaire qu’elle a elle-même fondée. Elle qui dit avoir « eu la chance, en traçant son propre sillon, de croiser la route de nombreux mentors naturels » a de longue date acquis la conviction que la réussite des femmes passe en large partie par la relation privilégiée avec ces « figures de légitimité, d’expérience, de réseau et de bienveillance » que sont les mentors.
Alors, pour provoquer la chance d’autres femmes, elle a créé il y a cinq ans l’association WBMI, pour Women Business Mentoring Initiative. Elle partage son expérience de mentee et de mentor, ses convictions et ses conseils pour bâtir une réussite à soi en s’aidant des autres, dans un récent ouvrage paru aux éditions Eyrolles : Culture Mentoring, Accompagner les femmes pour réussir.
C’est quoi un mentor? Pourquoi en prendre un?
« Un mentor, c’est une personne qui a beaucoup d’expérience dans les affaires et qui va aider quelqu’un qui a autant de talent mais qui est plus jeune (pas forcément en âge mais dans son parcours), et a besoin qu’on lui apporte de la vision, de la confiance en soi et du réseau. Un mentor, c’est une oreille, c’est une épaule, c’est une force de proposition. »
Prendre un mentor, c’est donc entreprendre une démarche collaborative, reposant sur l’échange et la transmission, pour « passer à la vitesse supérieure et donner de l’ampleur à son projet. »
Quand prendre un mentor?
Quand on a du talent… Et envie de le prouver!
Parce qu’il y va précisément de déployer ses ambitions, d’élargir ses horizons et de pousser la pédale d’accélération, il est bon de prendre un mentor quand on est déjà un peu avancé-e dans son projet, lorsqu’on a notamment acquis une certaine idée de ses aspirations.
« En entreprise, on va recommander le mentoring à des femmes qui excellent dans leur voie, sur qui on sait qu’on peut miser et qui pressentent elles-mêmes qu’elles en ont sous le pied ; mais qui ont un peu de mal à se projeter dans les fonctions généralistes qui mènent aux plus hautes responsabilités. Et qui peuvent aussi montrer des signes de manque de confiance pour aborder par exemple les aspects politiques de la vie des grands groupes, ou bien qui témoignent d’un peu de vertige à la perspective de se défaire de leurs fonctions opérationnelles pour se consacrer essentiellement à leur rôle de dirigeante. »
Quand il est temps de pousser la pédale d’accélération!
Chez les entrepreneures, la situation est un peu différente : tout d’abord, et puisqu’elles sont leur propre cheffe, c’est en quelque sorte elles-mêmes qui doivent se proposer le mentoring. Martine Liautaud estime que pour ces femmes, le moment d’y penser, c’est « quand on commence à se contenter de ce que l’on a. A se dire « Ca va, ça tourne, pourquoi aller plus loin?« . Parce que, dans le business, ne pas aller plus loin, c’est régresser.«
Alors, le signal d’alerte, ce serait en quelque sorte un sentiment de satisfaction par trop suspect dans l’univers ultra-exigeant des affaires ? « Il est important d’avoir la conscience de ce que l’on a déjà réussi et d’en cultiver la fierté, répond Martine Liautaud, mais il faut trouver le juste équilibre entre la confiance qu’accorde la satisfaction de l’accompli et la confiance qui se nourrit des challenges qu’on ose relever. »
Quand on est prêt-e à se poser les bonnes questions!
Le mentor va donc agir en tiers qui rassure et pousse à la fois, mais surtout pose les bonnes questions : « La peur ne se fixe pas toujours sur de bons motifs. Nous avons toutes et tous des « insurmontables » qui n’en sont pas vraiment. A contrario, il arrive à chacun-e de ne pas cerner certains risques. La relation avec le mentor permet de prendre du recul sur les situations et de voir plus loin pour prendre les bonnes orientations. Elle a aussi pour vertu, bien entendu, de faire bénéficier de l’expérience du mentor : c’est une personne qui a elle-même fait des erreurs – ou a aussi eu des coups de génie, d’ailleurs – et qui est là pour faire profiter le/la mentee de ce qu’elle a appris. »
Comment trouver un mentor?
Convaincu-e de l’importance de se faire accompagner par un-e mentor? Reste à le/la trouver!
Un « mentor naturel »
Au cours de son parcours, Martine Liautaud assume avoir elle-même eu des « mentors naturels« , c’est à dire des personnes disposées à la conseiller de façon informelle, avec qui elle a noué des relations privilégiées au gré de ses rencontres dans le milieu des affaires : de grand-es dirigeant-es, des personnalités influentes et autres têtes de réseaux… Mais elle a conscience que cette voie pour se faire mentorer « suppose déjà un niveau d’affaires important, un carnet d’adresse bien rempli » et de fortes aptitudes personnelles à bâtir et entretenir du réseau.
Une association de mentoring
Or, ce que veut Martine Liautaud aujourd’hui, c’est que de nombreuses femmes de talent bénéficient elles aussi de cette chance. Elle est donc hautement volontariste en la matière et croit en la nécessité de mettre en place des solutions formalisées pour ouvrir l’accès au mentoring de haut niveau : c’est ainsi qu’elle a créé WBMI, en 2010.
Women Business Mentoring Initiative est une organisation non lucrative qui propose aux femmes entrepreneures un programme qui réunit deux grandes qualités : il est à la fois sur mesure pour permettre à chaque femme de bénéficier d’un accompagnement personnalisé et très encadré (notamment par une stricte charte éthique) pour garantir une saine relation de confiance.
Un programme de mentoring en entreprise
Pour celles qui travaillent en entreprise, il est désormais fréquent que les directions de ressources humaines bâtissent des programmes de mentoring (voir en encadré ci-après, les pratiques de nos partenaires L’Oréal, SNCF ou Danone et l’initiative de cross-mentoring lancée par le programme EVE). En ce cas, il pourra être proposé à un talent repéré de s’insérer dans ce dispositif.
Mais rien n’interdit de faire soi-même la démarche d’en parler à son N+1 ou au DRH lors de l’entretien annuel ou d’un rendez-vous dédié. C’est même peut-être une bonne occasion de signaler que vous avez envie de progresser et que vous êtes prêt-e à vous en donner les moyens! Mais, attention, souligne Martine Liautaud, à ne pas prendre le mentoring pour « la baguette magique du succès ou une étoile de plus à sa casquette » : le mentoring n’est pas un accessoire de la réussite, c’est un vrai travail qui demande une réelle implication (on y revient un peu plus loin).
Les réseaux professionnels
Pour trouver un mentor, les réseaux professionnels sont encore une piste intéressante à explorer. La vocation même de ces réseaux d’entraide et de partage favorise la rencontre avec des « mentors naturels« .
Au-delà d’être des zones de rencontre, les réseaux se conçoivent aussi en structures d’innovation sociale qui proposent souvent diverses formes d’accompagnement et notamment de mentoring, classique, reverse, cross, inter-entreprises… Si un réseau de femmes existe dans votre entreprise, c’est peut-être le moment de le rejoindre!
Quelles sont les qualités d’un mentor?
Bienveillance
A la question des qualités attendues d’un-e mentor, Martine Liautaud répond immédiatement : « la bienveillance« .
Ne cherchons pas des synonymes à n’importe quel prix, ce mot-là est le plus juste : « J’aime cette idée de bienveillance qui contient celle d’écoute et de respect, d’autorisation pour chacun-e d’être soi-même dans la relation, d’accueil de l’autre dans une posture d’ouverture, de curiosité et d’acceptation. »
Il faut aussi de l’empathie : avoir du vécu et être capable de ressentir le vécu de l’autre est indispensable. Il faut de la disponibilité : du temps bien sûr, car c’est un véritable engagement, mais aussi et surtout de la disponibilité d’esprit, et que celle-ci soit ressentie par le/la mentee. On doit pouvoir lui dire : « appelez-moi quand vous voulez » et que la personne se sente autorisée à effectivement prendre son téléphone quand elle en a besoin. Enfin, dans bienveillance, il y a quelque chose de fondamental pour un accompagnement de qualité : la sérénité. »
Maturité
Une sérénité acquise avec la « maturité » dit Martine Liautaud pour compléter le profil du mentor idéal : c’est une personne qui ne recherche pas la compétition avec son mentee, cela va de soi, mais veille aussi à « ne pas l’intimider » par la démonstration de sa propre réussite.
Générosité?
Généreux-se par nature, le/la mentor?
Martine Liautaud tient à préciser les termes : « Ni charité, ni naïveté, ni largesses déplacées! Mais d’une part des règles strictes de désintéressement (chez WBMI, on s’interdit par exemple, de prendre des parts dans le capital d’une entrepreneure accompagnée, on se refuse à entrer dans le CA de sa société, on pratique la transparence sur ses intérêts…). Et d’autre part, dans ma conception, le mentorat est une activité bénévole. Non seulement aucun-e des mentors de WBMI n’est rémunéré mais encore refusons-nous les partenariats avec des professionnels du développement personnel, et notamment les sociétés de coaching. Nous avons de l’estime pour ce mode d’accompagnement, mais il est différent de celui que nous proposons et nous tenons à une grande clarté des rôles de chacun-e« .
Emerveillement
Le mentor est enfin quelqu’un qui est « capable d’émerveillement » : « mentorer est une aventure passionnante. Etre au contact de l’ambition des autres, de leurs idées innovantes, les voir agir avec audace, gagner en confiance, relever des défis, c’est une chance pour un mentor… Et c’est un véritable élixir de jouvence. »
Prenez un mentor, vous lui ferez autant de bien qu’il vous en fera! Martine Liautaud abonde en ce sens : « C’est bien une relation à deux, qui enrichit chacun-e. Ce sont des flux de confiance qui entrainent de vrais cercles vertueux. »
Quelles sont les qualités d’un-e mentee?
Les qualités d’un mentor sont essentielles à la force de la relation et à l’efficacité de l’accompagnement… Mais le/la mentee doit aussi faire sa part!
Préparation et acceptation
Pour être mentoré-e, il faut être prêt-e. Prêt-e à faire le diagnostic du besoin d’accompagnement, au préalable. C’est une évidence, mais qui mérite d’être rappelée : on ne fait pas un mentoring contre son gré, ni même sans savoir pourquoi on est là! Pas besoin de venir avec un tableau dynamique croisé assorti de graphiques d’objectifs, mais il est important d’avoir commencé à faire l’état des lieux de ses points forts et points d’effort, à cerner ses ambitions et à rassembler les éléments (business plan, bilan…) qui seront pertinemment étudiés avec le/la mentor.
Il faut aussi être prêt-e, mentalement, au regard d’autrui et à recevoir des conseils : « Pas si facile pour les entrepreneur-es, admet Martine Liautaud, qui ont évidemment un tempérament fort – il en faut pour créer sa propre affaire ! – et qui ont appris à se méfier des avis plus ou moins éclairés que l’entourage prodigue. Il va falloir baisser un peu la garde pour installer la relation de confiance. Le mentor a son rôle à jouer : sa légitimité professionnelle donne du crédit à ses conseils, sa posture bienveillante va aider à créer un lien de qualité… Mais le/la mentee doit aussi accepter cet échange, comprendre qu’il n’est pas fait de jugements et que le regard porté par le/la mentor ne vise à d’éventuelles remises en questions que pour l’emmener plus loin, sans pour autant que cela empiète sur sa liberté. »
Engagement
Le/la mentee aura donc à s’impliquer réellement et sincèrement. Opportunisme décomplexé et négligence caractérisée sont bannis!
Martine Liautaud est intraitable : « on repère à des kilomètres les personnes qui refusent le principe du partage. Et a contrario, on ressent d’emblée la sincérité d’une personne et la profondeur de sa démarche. Le mentoring, c’est avant tout de l’humain. Ca passe par l’engagement réciproque. »
Savoir-être
Les engagements des parties peuvent être clairement fixés par une sorte de « contrat » écrit, comme c’est parfois le cas dans le cadre des solutions de mentoring proposées en entreprise ou comme chez WBMI où la participation au programme implique acceptation de la charte éthique et des règles d’usage.
D’autres engagements, tacites (mais bons à rappeler), garantissent une relation équitable : observer une régularité et respecter les horaires sont des basiques. Plus sensible est l’utilisation du carnet d’adresse de son mentor : quand il/elle l’ouvre à son/sa mentee, il est important d’agir avec toute l’élégance nécessaire pour « ne pas brûler le réseau de son mentor« .
De façon générale, Martine Liautaud en appelle à la bonne foi et à la conscience de la valeur d’une relation de mentoring pour s’inscrire « naturellement dans une posture de respect mutuel« .
Exemplarité
Une personne mentorée monte en puissance… Alors, il est « attendu d’elle qu’à son tour, elle partage. Pas forcément en devenant mentor, à moins qu’elle ne souhaite et que ce soit le bon moment pour elle. Mais immédiatement, en participant à l’entraide générale et en se montrant responsable dans ses activités. Ce que nous, mentors, participons à construire, ce sont des bon-nes entrepreneur-es, de bon-nes dirigeant-es, des individus qui s’inscrivent dans une perspective durable de développement de leur entreprise pour l’économie du pays. »
Combien de temps dure un mentoring? Le lien mentor/mentee est-il appelé à évoluer vers d’autres formes relationnelles?
12 à 18 mois de mentoring
Dans le cadre de WBMI, les mentors accompagnent les entrepreneures sur une durée de 12 à 18 mois. « C’est une durée suffisamment longue pour installer une relation vraiment enrichissante et mettre en place des actions qui vont propulser l’activité« .
Le contact n’est pour autant pas rompu passé ce terme : « Nous restons généralement en relation sur le long terme, mais la relation peut évoluer. Souvent, un lien amical s’instaure. »
Une relation nette et sans ambiguïtés
N’y a-t-il pas risque de dérapage, si l’on confond mentor et ami-e?
Martine Liautaud se veut assez rassurante sur ce point : « Si la relation est nette dès le départ, et notamment si elle est clairement inscrite dans le cadre professionnel, il n’y a pas de raison pour qu’y surgissent des ambiguïtés. La maturité du mentor est aussi là pour garantir une relation sans emprise affective. Il est parfaitement possible d’entretenir des relations profondes, chaleureuses et durables sans aller sur des terrains déplacés. Les choses de l’intimité n’ont pas leur place dans un mentoring. »
Cependant, chacun-e sait qu’on ne laisse pas sa vie personnelle à la porte de sa vie professionnelle… Alors, « bien sûr, on prend en compte la réalité de la personne. Par exemple, la question des temps de vie et de la parentalité peut se poser dans le développement professionnel d’un individu, c’est très courant. Notre rôle n’est pas de nier ou de tenir pour négligeable ce type de questionnements, mais de les prendre sous l’angle de l’organisation du travail, des postures avec les interlocuteurs professionnels, de l’acceptation de soi dans les multiples facettes de son existence pour sortir des tiraillements et des culpabilités et oser se sentir pleinement là quand on est à ses affaires. »
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE, avec la complicité active de Dominique Maire pour WBMI et les Editions Eyrolles.
Culture Mentoring, le livre
Envie d’en savoir plus et d’aller plus loin sur les voies exaltantes du mentoring, avec Martine Liautaud, les mentors de WBMI et de nombreux témoins d’expériences réussies de mentoring en entreprise? Jetez-vous sur Culture mentoring, le guide pratique du mentoring au féminin récemment paru aux Editions Eyrolles.
L’ouvrage réunit au moins trois grandes qualités : il propose une fine analyse des transformations socio-économiques à l’oeuvre qui convainc que le temps du leadership des femmes est bel et bien venu et que c’est le moment pour elles de saisir les opportunités ; il offre une multitude de conseils pratiques pour donner voix à ses ambitions et corps à ses projets ; il rassemble les témoignages inédits d’une cinquantaine de mentors et de mentees d’horizons divers qui font part d’une expérience humaine et professionnelle hautement enthousiasmante.
Lire aussi :
– Notre article sur le dispositif de mentorat au féminin mis en place avec les EVEsien-nes chez L’Oréal
– Notre entretien croisé avec Yasser Balawi (Danone) et Marie Guillemot (KPMG) sur le dispositif de cross-mentoring initié par le Programme EVE, avec Catherine Thibaux
– Notre article sur le mentoring by SNCF au féminin
– Notre portrait d’Aurélie Truchet, « reverse mentor » chez Danone
– Notre interview de Laurent Vernerey, dirigeant engagé dans le programme de mentoring Women@Schneider
Les boîtes à outils du blog EVE :
– Média-training et prise de parole en public, avec Béatrice Toulon
– Conciliation des temps de vie, avec Barbara Meyer
– Pour un coaching réussi, avec Catherine Thibaux
A suivre, une boîte à outils « bâtir et entretenir son réseau professionnel » et une boîte à outils « engager les hommes pour l’égalité ».
N’hésitez pas à nous soumettre vos questions pratiques (via notre page Facebook ou par mail – donzel@donzel-cie.com) sur la mixité, l’égalité, le leadership dans toutes leurs dimensions. Nous trouverons les meilleur-es expert-es pour y répondre lors de prochaines « boîtes à outils ».