Béatrice Toulon n’est pas une inconnue pour le blog EVE. Nous l’avions rencontrée en 2012, au moment de notre sondage sur la féminisation des noms de métier. Dans la foulée, nous l’avions interviewée : son parcours ascensionnel de femme de presse puis de créatrice d’entreprise, forcément, nous intéressait. A l’époque, Maestria Consulting, son organisme de formation, était en plein développement. C’est plus que jamais le cas, mais entre temps, c’est aussi devenu la référence en matière d’art oratoire, de prise de parole en public, de techniques vocales et de rhétorique.
Au moment d’aborder notre dossier thématique « femmes et médias », nous avons naturellement pensé à elle. Et nous lui avons demandé si elle accepterait de nous donner quelques « trucs » de média-training pour toutes les femmes (et aussi les hommes) qui sont amené-es à passer sur un plateau de télé, dans une émission de radio ou tout simplement à parler en public. Elle s’est très généreusement prêtée au jeu.
Avec elle, nous avons donc déminé deux grands pièges et recueilli six conseils utiles pour se préparer efficacement à la prise de parole.
Deux grands pièges à déminer
> 1er piège : partir du principe qu’il y a… Un piège!
« Le premier piège pour qui n’a pas l’habitude d’être interviewé-e, c’est de voir dans l’intervieweur un adversaire, ou bien un prof qui va évaluer et punir. Le journaliste est seulement un interlocuteur qui fait son travail et qui a besoin, lui aussi, que ça se passe bien. Ce qu’il recherche, c’est un échange. Il faut donc se placer dans une posture de personne à personne. Ne pas prêter d’intentions, c’est participer à créer une atmosphère de bienveillance. »
La question (piège) du blog EVE : Mais si on est dans une émission où, précisément, la coutume est de « casser » les invité-es (je pense à certains talk-shows dans lesquels la « vanne » est le ressort de l’échange)?
« De façon générale, on se renseigne sur où on va avant d’y aller. Sur l’esprit et la ligne éditoriale de l’émission, sur les autres invité-es et sur les thèmes qui seront abordés. On peut même demander à connaître les questions à l’avance. Cette demande est légitime, il faut seulement qu’elle soit formulée avec la manière : vous ne demandez pas les questions par méfiance mais par souci d’efficacité, parce que vous savez que le temps de parole qui vous sera imparti sera bref et que vous voulez l’utiliser à dire des choses utiles. Vous annoncez une approche pragmatique dans un intérêt commun : que votre intervention soit intéressante pour le public. »
> 2è piège : le risque de logorrhée
« Il ne faut pas se méfier a priori de son interlocuteur, mais en revanche, il faut un peu se méfier de soi-même, ou sinon se méfier, en tout cas se préparer à gérer ses émotions. Il y a indéniablement un stress au moment de prendre la parole dans les médias ou en public. Ca peut conduire à une forme de dérive assez courante : la logorrhée. On parle, on parle, on parle et au bout d’un moment, on ne sait plus ce qu’on dit, on perd le fil de sa pensée, on gaffe… Il faut savoir s’arrêter à temps. A temps, c’est quand on a fait le tour de ce qu’on voulait dire, quand on a répondu clairement à la question posée. »
La question (sans piège) du blog EVE : Ce peut être frustrant, non, quand on connait bien un sujet, de s’arrêter d’en parler avant d’en avoir tout dit?
« Deux réponses à cela : la première, c’est qu’il faut viser l’efficacité, faire passer un message et non se lancer dans un exposé. L’interview ou le débat ne sont pas le lieu de la soutenance de thèse ni du grand O à Sciences Po! Le second point, c’est que réponse courte n’est pas synonyme de réponse incomplète. On peut (et on doit) faire bref et percutant. J’ajoute qu’il est indispensable, quand on prend la parole, qu’on sente la personne derrière l’expertise : on ne se cache pas derrière son savoir, mais on vient avec son savoir, parler « en personne » de sujets que l’on maîtrise. »
Six conseils à observer
> Le pouvoir formidable du silence
« Quand on vous pose une question, prenez systématiquement trois secondes avant de commencer à y répondre. C’est le temps dont votre cerveau a besoin pour rassembler les idées. C’est aussi ce qui permet d’écouter la question jusqu’au bout et de ne pas se lancer bille en tête dans son idée, en prenant le risque de répondre à côté. Le silence a d’autres vertus : il calme le jeu. Il oblige aussi celui qui a posé la question à re-penser à ce qu’il vient de demander : si c’est une question intelligente, il est flatté de constater que ça mérite réflexion ; si c’est une question un peu vaine, il a le temps de s’en rendre compte et en posera une meilleure le coup d’après. Le silence impose aussi une certaine autorité, il inspire une forme de sagesse. Vous donnez l’impression d’être quelqu’un de posé, qui n’a pas peur des blancs. Enfin, je rappelle une simple vérité musicale : il n’y a pas de son sans silence qui le précède. Les échanges sont aussi faits de silences nécessaires. »
> Le placement de la voix
« Le placement de la voix est capital. Il faut savoir que les femmes ont un un médium plus haut que les hommes. Ca signifie que nos cordes vocales vibrent plus, ce qui demande aussi un peu plus d’efforts aux tympans. Par ailleurs, nous sommes dans une culture stéréotypée qui valorise les voix graves et qualifie a contrario les voix très aiguës de façon parfois dévalorisante (ndlr : « la voix de crécelle », « le piaillement » etc.). Attention, ça ne veut pas dire qu’il faut changer de voix pour se faire entendre. Une voix n’est ni bien ni mal… Mais elle a beaucoup plus de potentialités de se moduler qu’on l’imagine et qu’on le pratique. La voix, c’est un instrument qu’il faut faire travailler, il faut apprendre à faire monter et baisser sa voix pour enrichir la forme de son propos. »
> L’art de retomber sur ses pieds
« Quand on parle en direct, on peut se planter. Dire une bêtise, s’embrouiller, bafouiller, faire un lapsus… Ca arrive même à celles et ceux qui sont rompu-es à l’exercice de la prise de parole. C’est pas la fin du monde. Je le dis tout particulièrement aux femmes parce qu’on touche là à quelque chose d’essentiel : la plupart d’entre elles détestent se planter, et encore plus quand c’est en public. Ce n’est pas grave de dire une bêtise, ce qui compte, c’est de savoir retomber sur ses pieds. Pour ça, il faut commencer par reconnaître qu’on s’est trompé : de toute façon, les gens ne sont pas idiots, ils l’ont bien vu. Ensuite, il faut désamorcer. Pour cela, je crois au fabuleux pouvoir du rire. Quand Christiane Taubira fait un lapsus en plein débat à l’assemblée et qu’elle ose se laisser aller à un fou rire, ça la rend éminemment sympathique. De plus, à travers ce rire démineur, elle remet les choses à leur place : « ok! l’inconscient parle, mais par ailleurs j’ai aussi des choses à vous dire ». »
> Se présenter avenante
« La question « comment je m’habille, comment je me coiffe, est-ce que je me maquille? » n’est pas du tout superficielle. Tout un courant féministe, a voulu un peu l’évacuer, en encourageant les femmes à détourner l’attention de leur corps pour que cette attention se focalise sur leurs discours. C’est un peu dépassé mais important à prendre en compte, car ça permet de faire un distinguo utile entre « être séduisante » et « être avenante ». Séduisante, si ça veut dire « sexy », ce n’est pas le sujet : effectivement, vous venez pour parler, pas pour flirter. Mais avenante, c’est tenir compte du fait qu’on est dans une société d’image, qu’on va être regardée. C’est aussi se sentir en confiance pour aborder l’échange interpersonnel. Concrètement, comment traduire cela, quand vous êtes devant votre penderie : en enfilant des vêtements confortables, dans lesquels vous vous sentez bien, dont vous savez qu’ils vous vont bien. Maquillée, oui, si ça fait partie de votre style. Mais pas grimée, ni déguisée en autre chose que vous-même. »
Le petit plus en direct des coulisses : « Tant que vous êtes en train de vous préparer dans la salle de bains, vocalisez pour faire travailler votre organe. Préparer sa voix, c’est au moins aussi important que de faire un masque de beauté, avant d’aller sur un plateau télé! »
> Des fiches bien fichues
« Avoir des fiches avec soi, pourquoi pas? Mais il faut les concevoir en mémos : un chiffre, par exemple, un acronyme, les noms de personnes qu’on va peut-être devoir citer. En revanche, pas de paragraphe pré-rédigé ni même de plan détaillé sur vos idées. Partez du principe que vous connaissez votre sujet : écoutez la question, répondez-y naturellement en comptant sur vos acquis. Vous serez plus authentique, vous aurez plus d’aisance et vous risquerez moins que votre démonstration soit tronquée si vous on coupe la parole. »
> LE conseil des conseils : PRA-TI-QUEZ!
« Les femmes se sentent moins à l’aise dans la prise de parole parce qu’elles pratiquent moins, tout simplement. Il faut s’entraîner, le plus possible. Je lance un défi aux personnes que je coache : « obligez-vous à prendre la parole au moins une fois dans toute conversation où il y a plus de trois personnes ». Rien que dire « je suis d’accord avec ce qu’untel vient de prononcer et je peux apporter un témoignage qui va dans ce sens », c’est déjà prendre la parole, habituer les autres à ce que vous la preniez, et aussi apporter quelque chose à l’échange. Il faut par ailleurs multiplier les occasions d’être la personne à qui on pense pour s’exprimer : entretenez votre réseau de façon générale et soyez bien avec le service de presse de votre entreprise en particulier. »
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE
Décodeuse de discours
Retrouvez aussi Béatrice Toulon sur le Plus de l’Obs : elle y tient une chronique régulière de décryptage des discours de personnalités.
Fond et forme, aucune figure de style efficace, aucune repartie spirituelle, aucun tic de langage ou du visage, aucun regard fuyant ou bien au contraire perçant, bref, rien de ce qui fait l’impact d’une prise de parole ne lui échappe.
A suivre, pour éviter de tomber dans les mêmes pièges que les autres et aussi pour s’inspirer de tout ce qui leur permet de briller!
Lire aussi : les billets de notre dossier thématique « femmes & médias »
– Le portrait de Marie-Laure Sauty de Chalon, PDG d’aufeminin.com
– Notre article sur le « Guide des Expertes », une initiative de la journaliste Marie-Françoise Colombani
– Notre interview d’Isabelle Germain, fondatrice et directrice des Nouvelles News
– Notre billet sur la rencontre « Médias : freins ou accélérateurs de l’égalité femmes/hommes en Europe » organisée par la Maison de l’Europe de Bordeaux-Aquitaine