Ce qu’il faut retenir de l’étude Grant Thornton « Women in Business : the path to leadership »

Eve, Le Blog Développement personnel, Egalité professionnelle, Leadership, Rôles modèles

Le cabinet international de conseil Grant Thornton vient de faire paraître son rapport « Women in Business » pour 2015.

Basé sur l’analyse de données recueillies auprès de près de 5 500 business leaders, enrichie d’une vingtaine d’entretiens « quali » avec des décideurs et décideuses du monde entier, ce rapport produit un état des lieux de la féminisation du leadership assorti de recommandations pour une accélération de la dynamique de partage des responsabilités.

Le blog EVE l’a lu dans le détail, voici ce qu’il faut en retenir :

 

 

La féminisation du leadership en marche? Oui, mais ni à marche rapide ni sans à-coups

Le premier enseignement du rapport « Women in Business » est légèrement contre-intuitif : la médiatisation récente de la problématique de mixité pourrait laisser penser que des progrès majeurs ont été accomplis au cours de la dernière décennie. Or, des progrès oui, spectaculaires, non!

 

La part de femmes dans le senior management à l’échelle internationale est passée de 19% à 22% entre 2004 et aujourd’hui. Ce qui est plus sensible, c’est la relative raréfaction des équipes de senior management exclusivement masculines : hier de 38%, elle passe aujourd’hui à 32%.

 

La courbe d’évolution nous apprend aussi que les progrès du leadership féminin ne sont pas continus : un creux s’observe sur la période 2009-2013 qui n’aboutit qu’à un retour à la situation ex ante. Point de vigilance à souligner : le taux de femmes dans le senior management est de nouveau en décroissance en 2014. Reste à savoir si 2015 verra un redressement de la tendance ou signera le début d’une nouvelle période de recul. 

 

 

D’importantes variations géographiques et culturelles

Le rapport Grant Thonton met en évidence d’importants écarts de niveau de féminisation du leadership en entreprises, d’une région géographique à l’autre. 

 

Amérique du Nord et Europe de l’Est performent dans la mixité des instances dirigeantes avec les taux les plus bas d’équipes senior managériales privées de femmes.

 

Amérique latine et zone Asie Pacifique de développement avancé sont en revanche les moins bons éléments du classement par cet indicateur (la palme du taux d’entreprises n’ayant aucune femme dans son senior management revient au Japon, avec 66% d’organisations à encadrement supérieur exclusivement masculin). 

 

L’union européenne accuse un recul de la féminisation générale du senior management en 2015, en comparaison du taux de long terme. En revanche, ça bouge en Amérique latine et dans les pays émergents de la zone Asie Pacifique.

 

 

Analyse sectorielle : la répartition genrée des filières se lit aussi dans leur leadership

L’étude Grant Thornton entre dans le détail des secteurs. Sans surprise, ce sont les filières de l’éducation, de la santé, de l’hôtellerie qui ont le plus de senior managers féminines.

A l’opposé, bâtiment et construction, transport et industrie sous-performent dans la féminisation de l’encadrement supérieur. 

 

Les résultats concernant la répartition par fonctions et métiers du leadership féminin viennent encore enfoncer le clou : les femmes sont 3 fois plus nombreuses à des postes de direction des ressources humaines (27%) qu’à des postes de PDG (9%).

Egalement rares dans les directions opérationnelles (9%), elles comptent en revanche pour 18% des directeurs et directrices financiers.

 

 

Quels freins au leadership des femmes? 

Ayant sondé un large panel de managers sur les freins qui retiennent encore les femmes d’accéder aux plus hautes responsabilités, le rapport Thornton confirme l’intuition que les contraintes de la parentalité demeurent le vrai serpent de mer(e) que l’on sait.

Au-delà de cette problématique qui appelle des transformations en profondeur des mentalités et de l’organisation sociale des temps de vie, est à signaler le chiffre toujours très élevé des biais de genre : 19% des femmes et 10% des hommes interrogé-es mettent en cause une forme de discrimination sexiste faisant obstacle à la réalisation des ambitions des femmes.

 

Le déficit de rôles-modèles est encore un argument avancé pour expliquer la faible projection des femmes dans des fonctions de responsabilité et de visibilité… Mais ici, ce sont davantage les hommes (pour 15%) que les femmes (pour 11%) qui manifestent le regret de ne pas pouvoir projeter le leadership des femmes dans des figures d’exemplarité.

 

 

Quel parcours et quelles compétences pour accéder au leadership? 

Que mettent en avant femmes et hommes pour valoriser leur propre profil mais aussi pour admettre la légitimité d’un-e leader?

 

Ensemble, ils plaident pour l’expérience, critère premier pour 44% des femmes et 38% des hommes.

 

Ils et elles accordent aussi une certaine importance au background académique, mais dans des proportions différentes : 30% des femmes et 22% des hommes estiment que c’est un critère d’appréciation prioritaire. Est-ce à dire que les femmes continuent à entretenir le « complexe de la bonne élève »?

 

Femmes et hommes ne portent pas non plus le même regard sur les parcours accélérés : si les hommes valorisent à 31% la capacité à intégrer directement le senior management, les femmes ne sont que 21% à y voir une voie privilégiée pour prendre des responsabilités. Se lit peut-être là des écarts d’expression de l’ambition… Ou bien la permanence d’une forme de complexe d’imposture, quand les rapporteur-es de l’étude rappellent que « les femmes ont tendance à attendre d’avoir 100% des compétences » d’un poste pour engager les démarches visant à y être promue.

 

 

Femmes et hommes réseautent-ils différemment? 

Le rapport Grant Thornton propose un indicateur rarement exprimé dans les études sur le genre du leadership : la posture networking. 

 

Où l’on apprend que femmes et hommes réseautent prioritairement au travers de rencontres professionnelles formelles.

 

Pour ce qui est de la capacité à tisser du réseau dans les univers informels, c’est aux hommes qu’il revient majoritairement de nouer des contacts utiles au travers de leurs activités sportives et au cours de « drinks after work ».

 

Ils semblent aussi plus prompts à mettre à profit les rencontres dédiées à la mise en relation entre acteurs/actrices du business.

 

C’est sur les réseaux sociaux en ligne que les femmes vont davantage que les hommes tisser des liens. Reste à discuter du potentiel de transformation de la relation virtuelle en soutien réellement impactant sur leur développement professionnel. 

 

 

4 recommandations sur 4 terrains d’action

Le rapport « Women in Business » se clôture sur une série de recommandations adressées à quatre types d’actrices et acteurs sur 4 champs d’action

 

Recommandations pour la société  

> veiller à ne pas essentialiser le leadership féminin : l’entendre comme un leadership des femmes parmi les humain-es et non comme un leadership des femmes en tant que femmes avec des attentions et des attentes spécifiques à leur égard. Le rapport insiste sur les effets repoussoirs pour les femmes elles-mêmes d’une vision d’un leadership différencié quand elles aspirent avant tout à être reconnues pour leurs compétences et qualités.

 

> encourager le partage des responsabilités dans les foyers aussi : mettre fin à la stigmatisation des hommes qui s’investissent en particulier dans la parentalité permettrait par effet de rééquilibrage de laisser aux femmes un plus vaste champ d’expression de leurs ambitions professionnelles. 

 

> faire évoluer les critères de légitimité et les perceptions du leadership : se débarrasser de la figure de « l’homme fort » pour laisser place à l’expression de styles multiples de leadership permettrait aux femmes de se projeter plus aisément dans des fonctions à haute responsabilité.

 

 

Recommandations pour les instances gouvernementales 

> Inciter la parentalité partagée et équilibrée par des mesures réellement attractives pour les hommes qui souhaitent s’investir davantage dans la vie de famille et réellement avantageuses pour les foyers (de façon notamment à ce que le « plus bas salaire » ne soit pas systématiquement renvoyé aux plus nombreuses et chronophages responsabilités dans la sphère privée).

 

> Imposer des quotas de femmes dans les boards des entreprises, afin notamment de familiariser l’ensemble du monde business avec la mixité du leadership, jusqu’à la rendre évidente dans les esprits.

 

> Renforcer les cadres législatifs de lutte contre les discriminations sexistes et les infrastructures qui, des modes de garde d’enfant à la formation continue en passant par des politiques volontaristes d’accès au crédit, peuvent sensiblement faciliter l’épanouissement professionnel des femmes. 

 

 

Recommandations pour les entreprises

> Placer la question du leadership des femmes au coeur de la stratégie globale des entreprises et faire prendre aux dirigeant-es des engagements forts et officiels en faveur de la mixité.

 

> Rendre les positions de leadership plus attractives, pour les femmes comme pour les hommes : proposer des voies d’accès plus conviviales, offrir des responsabilités moins contraignantes, valoriser des qualités nouvelles, installer des perceptions plus modernes de la légitimité.

 

> Porter l’accent sur la multiplication et la diversification des rôles-modèles féminins pour donner à voir à toutes et tous des figures valorisantes et inspirantes de l’exercice des hautes responsabilités.

 

 

Recommandations pour les femmes elles-mêmes

> Les femmes sont invitées à se décomplexer pour ne plus reculer au moment de saisir les opportunités challengeantes : il faut prendre le taureau par les cornes et parier sur soi-même!

 

> Oser sortir de sa zone de confort est bien une voie privilégiée pour se prouver à soi-même et révéler aux autres que l’on est capable de beaucoup. Il est alors suggéré aux femmes de travailler tout particulièrement sur l’aversion au risque et le goût des défis.

 

> Enfin, il ne faudra pas hésiter à prendre la parole sur la question de la mixité : les analystes de Grant Thornton annoncent aux femmes que les organisations sont prêtes à entendre leur voix et pour certaines, ne demandent qu’à être challengées sur le sujet de l’égalité. 

 

 

 

Marie Donzel, avec Valérie Amalou, pour le blog EVE.