Catherine Thibaux n’est pas étrangère à la genèse du programme EVE. De longue date engagée sur les questions d’égalité et de diversité et convaincue par son expérience personnelle que les réseaux sont la clé de « l’agir ensemble », elle a largement oeuvré à la mise en place du premier programme de leadership féminin interentreprises.
A l’heure où elle quitte Danone, pour démarrer une nouvelle vie de retraitée riche de projets, nous avons voulu la rencontrer et la faire parler de son parcours. Son parcours, c’est une aventure humaine particulièrement inspirante, dont le récit se lit comme un roman. Portrait.
Née sous le signe de la parité!
Catherine vient d’une famille de quatre enfants. La fratrie est paritaire : une fille, un garçon, une fille, un garçon. Dans cet ordre chabadabada des naissances, elle est la numéro trois. Chez elle, on est (on nait?) « travaillomane » – une jolie francisation de l’anglais « workaholic » : le père est géomètre, la mère agent d’assurance.
Professions libérales, donc, avec cette pression permanente pour se maintenir à flot, en s’adaptant et en innovant. Mais avec aussi, un sens aigu de l’épanouissement par le travail.
Le droit de choisir son futur, le devoir de trouver sa voie
Toutefois, l’époque voulant ça, il y a un « futur projeté » pour les garçons de la famille (« tu seras géomètre, mon fils », et effectivement les frères de Catherine le sont devenus), quant aux filles, elles feront… Ce qu’elles voudront! C’est une immense liberté offerte : celle de se choisir. Mais une immense responsabilité aussi : celle de devoir s’inventer. Se chercher, se trouver, prendre le risque de s’égarer, devoir toujours conduire un incessant travail pour aller vers « l’être soi ».
Une quête que Catherine mène dès l’adolescence, fouillant dans ses intuitions pour trouver sa voie : elle pense à juge pour enfants, « comme toutes les filles de cet âge-là qui ont l’ambition de faire quelque chose pour les autres, d’agir sur la société ».
Changer le monde, en y apportant de petites pierres…
Une envie d’oeuvrer pour la justice, d’être au contact de l’humanité et d’améliorer la vie de ses contemporains qui, dit-elle, lui vient de son père, maire de son village dont le quotidien d’élu est fait, non pas de manoeuvres politiciennes, mais de mille et un services rendus à la population. Ce sont parfois de toutes petites choses, des interventions apparemment mineures sur la voirie ou sur la source qui approvisionne les habitants en eau potable, mais qui transforment réellement le quotidien des citoyens et préservent leur bien-être.
En observant son père, elle acquiert la certitude que le monde change à force d’actions modestes mais pertinentes, concrètes mais fondamentales.
L’expérience du pensionnat : un réseau de femme avant la lettre?
Pensionnaire dès la classe de 7ème (le CM2, ndlr), Catherine se sent parfois bien seule loin des siens, mais découvre aussi la sororité auprès des autres jeunes filles du pensionnat. A cette période, elle noue des « amitiés indéfectibles » et prend conscience de la richesse de ce qu’elle n’appelle pas encore un « réseau ».
Pourtant, dit-elle, « tout ce que je retrouve aujourd’hui de si précieux dans les réseaux de femmes y était : l’expérience partagée d’un vécu commun, la liberté de parole, la possibilité offerte, entre nous, de tomber le masque social, et de s’ouvrir les unes aux autres, le désir naturel de s’entraider, de se soutenir, de faire les choses ensemble, parce qu’on est plus fortes à plusieurs que seule. »
La psychologie au service des ressources humaines
D’ailleurs, c’est pour se donner du courage qu’une de ses copines qui s’apprête à passer le concours de psycho, lui demande de l’y accompagner. Catherine passe et réussit les épreuves. Pendant sa formation, elle suit un stage en clinique psychiatrique. Une expérience peu concluante : « Ce ne sont pas les patients qui me découragent, c’est le système, ultra-hiérarchisé, avec la toute puissance du médecin psychiatre, lequel est forcément un homme, soit dit en passant… L’organisation ne prévoit même pas qu’il en soit autrement. »
Elle prend une autre voie que la psycho pure et dure : « C’était une époque bénie, il y avait du travail, je suis entrée assez facilement dans un cabinet de recrutement. » Son rôle : sentir la personnalité et évaluer la motivation de cadres aspirant à des postes à responsabilité. Danone est un des clients de son cabinet. Mais la vie est faite de méandres et il faut encore qu’il y ait des détours avant qu’elle rejoigne le géant de l’alimentaire.
Intermède africain
Le mari de Catherine est ingénieur des travaux publics. Il est appelé à de nombreux déplacements. Un chantier de barrage l’attend au Mali. Un enfant de trois ans à la main et un bébé de trois mois dans les bras, Catherine monte dans l’avion. Sur le tarmac, à l’arrivée à Bamako, une partie des bagages, dont le couffin du nourrisson, est manquant. Sensation de repartir à zéro. Invitée le soir à dîner, on lui sert un ragoût de boa. Impression d’être loin de tout.
« Je fonds en larmes. Partout où j’atterris dans ma vie, je pleure en arrivant… Et je repars en pleurant. » Puisque naturellement, partout, Catherine trouve sa place, et s’attache. Au Mali, elle fait la classe aux petits, au fin fond de la brousse. De retour en France, elle atterrit au fin fond du pays de Caux puis dans le Cotentin.
Le précieux soutien d’un conjoint
Elle a désormais trois enfants, mais une sérieuse envie de renouer avec sa carrière. Inscrite à l’IAE, elle négocie avec son conjoint de passer trois jours par semaine à Caen, du jeudi au samedi : elle suit les cours du soir, en même temps qu’elle occupe un emploi à temps partiel.
De cette période de sa vie, elle retient le soutien sans faille de son mari : « Non seulement il prenait complètement en charge les enfants en mon absence, mais de surcroît, il est devenu mon meilleur coach : c’est lui qui m’a appris à vivre dans l’instant présent, à saisir les opportunités et aussi, à préserver mes forces, à ne pas m’en demander au-delà de ce que je pouvais. Même si je n’ai pas toujours suivi ce conseil… »
Bienvenue chez Danone!
En 1985, la famille Thibaux est de retour à Paris, et Catherine est embauchée par Danone, comme chargée du recrutement des cadres. Elle met en place le premier réseau informatique pour gérer les candidatures. Le réseau, donc, un vrai leitmotiv, car il faut bien s’organiser pour gagner en efficacité. Elle s’initie aussi aux questions de diversité.
Alors qu’elle est sur le point de rejoindre une filiale de Danone, le poste de DRH siège se libère. On le lui propose. C’est un gros saut de carrière qui implique la gestion de 400 personnes dont la moitié des dirigeants du groupe. Elle compare son rôle à ce poste à celui du maire d’un village, comme l’était son père : « DRH siège, c’est offrir à la population des infrastructures à la hauteur des besoins, mais c’est aussi gérer des conflits de voisinage », explique-t-elle dans un sourire bienveillant.
Elle met en place le premier accord sur l’aménagement du temps de travail : on est en 1992, les « 35 heures » sont encore un brouillon dans les cartons de Martine Aubry. Mais Catherine et sa hiérarchie sont convaincues que la performance passe par la recherche de solutions personnalisées pour adapter le travail dans l’entreprise ; en promouvant notamment la conciliation vie professionnelle/vie familiale, « l’essentiel pour un DRH étant de mettre en place des règles du jeu pour que ce soit win/win ».
Concilier vie familiale, vie professionnelle… Et vie citoyenne!
Elle est à ce poste stratégique depuis 3 ans, quand des citoyens de sa ville de résidence, Nogent-sur-Marne, viennent la chercher pour monter une liste aux Municipales. Surprise! La liste paritaire (avant l’heure) issue de la société civile à laquelle elle appartient, remporte le scrutin. Son père, qui vient justement de mettre un terme à sa carrière politique, lui a passé le relais en lui glissant : « Ma fille, ne lâche pas Danone! »
Entre les deux tours, elle a donc pris contact avec sa hiérarchie pour prévoir le cas où elle serait élue. Devenue adjointe au personnel, et bientôt première adjointe de Nogent, elle aménage son temps de travail chez Danone : « J’avais droit à un 9/10è, en tant qu’élue d’une commune de plus de 20 000 habitants. La direction m’a permis de prendre un 4/5è puis un 3/5è, en m’adjoignant la collaboration d’une personne supplémentaire à 2/5è. Une solution innovante, qui marquait la reconnaissance de mon investissement professionnel tout en respectant mon engagement en politique. »
Elle poursuit les deux, de front, parfois au prix de déchirements et d’épuisement. « Rien n’est facile, dans ces situations, même quand on est accompagné-e dans son couple, dans sa famille, et par son employeur. Quand on ne l’est pas, ce doit être tout simplement impossible. »
De « Madame Développement durable » à « Madame Diversité »
Forte de la conviction qu’un individu épanoui sur tous les plans de sa vie est plus puissant, plus créatif, plus investi dans tout ce qu’il engage, elle accède à un poste qui la fait rêver depuis longtemps, à la direction de Danone Initiatives. C’est un pôle-clé de la direction des ressources humaines, qui gère notamment les fermetures d’unités de production et assure le suivi, sur les territoires, des reconversions, encourageant en particulier la création d’entreprises locales.
Sensibilisée par là-même aux problématiques d’environnement, elle devient « Madame développement durable » chez Danone. Puis en 2007, à la suite des Accords Diversité, on crée pour elle le poste de directrice de la diversité. « Arrivée à cette fonction, je pouvais exprimer tout ce en quoi je croyais », ajoute avec émotion celle qui en vient naturellement à s’intéresser au sort des femmes dans l’entreprise.
Et l’on créa EVE…
Lors d’un séminaire avec Viviane Amar, c’est le déclic : « Je prends conscience que les freins à l’accès des femmes aux plus hautes responsabilités ne se situent pas qu’au niveau des organisations. Il y a aussi les freins dans la tête, les freins que les femmes se mettent. » Pour faire sauter ces freins, il faut agir sur les représentations : prendre conscience puis prendre confiance. Une réflexion vivifiante qu’elle mène avec des femmes… Et des hommes de Danone! « La suite, vous la connaissez, c’est l’histoire d’EVE » (lire notre interview d’Anne Thévenet sur la genèse du programme EVE, ndlr).
Parce qu’à travers EVE, elle découvre les dimensions multiples du leadership, celle qui voit la retraite approcher sans concevoir l’inactivité, se forme au coaching et ouvre une société de conseil, INTER-VENIR, qui propose son expertise et ses prestations aux entreprises et aux réseaux de femmes. En même temps, elle met en place un réseau de parrainage pour accompagner le retour à l’emploi des chômeurs, à Nogent-sur-Marne.
Passage de relais
Son pot de départ de Danone, il y a quelques jours, a été un moment poignant : on a salué sa générosité, son sens du lien humain et sa foi en l’énergie collective. Elle continue à croire à tout ça, plus que jamais, et avec une curiosité et un émerveillement presque juvéniles. Elle a passé le témoin en amitié sincère et généreuse à Olga Koenig, qui reprend une large partie de ses fonctions et occupe dorénavant son siège au comité des Sages du programme EVE.
A voir ces deux-là bavarder comme de vraies amies autour d’un café, échangeant aussi bien des « tuyaux » professionnels que des coups de coeur pour une lecture ou leurs impressions sur une conférence consacrée à l’égalité homme/femme, il n’y a pas à en douter : le réseau EVE, c’est bel et bien une affaire de leadership, d’égalité, d’échange… Et de sororité.
Marie Donzel, avec la complicité de Marisa Guevara et Olga Koenig
Comments 7
Quel beau portrait qui rend hommage à Catherine qui le mérite tant. je me rejouis de la voir encore dans notre écosystème Danone car elle n’a pas fini d’impacter autour d’elle !
Super article qui nous permet de connaitre un peu plus Catherine que j’apprecie pour son sens de vivre dans l’instant présent et donc dans l’action! Merci à Marie D et ses complices!
Très beau portrait, que j’ai lu avec intérêt et émotion, faisant partie du réseau pensionnat qui y est évoqué, 40 ans en arrière, et,la preuve, toujours vivant.Quel parcours, bravo Catherine.
Félicitations pour ta belle vie d’engagement et de solidarité, et bonne retraite méritée, qui sera sûrement consacrée à aider les autres. Ce protrait concorde bien avec la Catherine pleine d’allant et de générosité que j’ai eu la chance de connaître à Notre Dame de la Tilloye. Une ancienne du « réseau-pension » qui t’embrasse bien fort.
Incroyable, je retrouve une amie de pension, grâce à ce portrait! Merci Martine pour ton message qui me va droit au coeur. Je n’ai pas oublié que tu étais sortie première du concours général de littérature en 1967 ou 8, qu’es-tu devenue pendant toutes ces années? je te donne mon adresse mail perso pour que tu me répondes en dehors du blog. catherine@thibaux.com
Toute mon admiration devant ce beau portrait qui met en lumière la réussite de notre Catherine aussi entreprenante que généreuse.
J’ai eu la joie de suivre les différentes étapes de ce beau parcours, depuis 47 ans que dure notre « indéfectible » amitié….
Vie professionnelle accomplie, vie familiale harmonieuse… n’oublions pas que derrière la Femme, il y a « l’Homme »… Hommage à lui aussi !
La voisine de la « chambrette framboise »…
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