Depuis 2007, le cabinet de conseil McKinsey fait régulièrement paraître un rapport sur le leadership au féminin : Women Matter. Visant à évaluer d’année en année l’évolution de la mixité dans le top management des grandes entreprises internationales, ce document de référence analyse les progrès accomplis, souligne les leviers qui les ont permis et interroge aussi les motifs persistants de résistance à l’ascension des femmes.
La sixième édition de ce rapport, rendue publique il y a quelques semaines, prend le titre de « Gender diversity in top management : moving corporate culture, moving boundaries« . Le ton est donné : pour franchir les frontières au partage des responsabilités au plus haut niveau, c’est sur les cultures d’entreprise qu’il faut activement travailler.
Etat des lieux : ça bouge, mais lentement…
Premier enseignement de ce dernier rapport McKinsey : la place des femmes dans les boards va croissante, certes, mais à un rythme toujours un peu flegmatique. Depuis 2011, on a gagné un ou deux points seulement de féminisation dans les Conseils d’Administration (à l’exception notable du cas italien, qui a vu le taux de femmes dans les CA grimper de 10 points en deux ans). La progression est légèrement plus soutenue dans les ComEx, notamment allemands, belges ou anglais.
Pour les rédactrices et rédacteurs du rapport, il faut encore laisser un peu de temps au temps : les programmes de transformation mis en oeuvre ces dernières années dans de nombreuses entreprises, s’ils sont poursuivis, produiront bientôt leurs effets.
Ce que les consultant-es de McKinsey mettent cependant en évidence, c’est l’insuffisance du concept de « plafond de verre » pour penser toute la problématique d’accès des femmes aux responsabilités : l’obstacle ne se dresse pas qu’à la porte des instances de direction, mais c’est sur tout un parcours semé d’embûches qui retarde les carrières féminines, qu’il faut pouvoir agir, étape par étape. Où l’on note en particulier un vertigineux « gap » femmes/hommes au moment de passer du niveau d’entrée dans l’entreprise au niveau « middle management ».
Les femmes veulent-elles réussir?
Les précédents rapports Women Matter questionnaient utilement la posture des femmes elles-mêmes à l’égard de l’ambition. Bonnes nouvelles sur ce front : le 6ème opus de la série révèle qu’elles assument aujourd’hui pleinement leur désir de réussir au plus haut niveau, quitte même à consentir plus volontiers qu’hier à d’éventuels sacrifices pour atteindre leurs objectifs. On ne pourra plus dire qu’elles veulent le beurre et l’argent du beurre!
Le rapport souligne qu’elles persistent néanmoins à exprimer une moindre confiance en elles que leurs homologues masculins. Nous pouvons toutefois penser que cette prise de conscience du rôle clé de la « self confidence » dans l’accomplissement professionnel ouvre aux femmes de réelles perspectives pour se donner les moyens de développer leur potentiel par delà le domaine des strictes compétences techniques.
Pour des cultures d’entreprise inclusives
Si les femmes reconnaissent qu’elles ont un travail personnel à mener pour renforcer leur confiance en elles, le rapport insiste sur la nécessité concomitante pour les organisations de faire évoluer leur culture.
Des messages forts adressés aux femmes de talent, tels, pour commencer, celui qui consiste à leur assurer que leur réussite est possible et souhaitée ou bien des engagements officiellement pris sur la parentalité, sont de nature à encourager les femmes à se donner toujours davantage les moyens multiples de leurs ambitions. La promesse que les efforts seront payés de résultats reste, c’est une évidence, un vrai levier de motivation. Mais pour que cette promesse ne soit vaine, il faut dit, le rapport McKinsey qu’on ne s’en tienne pas aux mots, mais qu’on inscrive l’égalité dans une réalité concrète, à travers une évolution perceptible de la culture d’entreprise.
Le rapport Women Matter propose trois pistes pour des cultures d’entreprise mieux inclusives :
1) un engagement « supportant » des hommes, à tous niveaux de hiérarchie ; d’autant plus utile et efficace que les hommes se disent aujourd’hui à 74% favorables aux mesures pro-actives d’égalité professionnelle et « heureux » d’y contribuer (l’on ne peut que saluer ici, l’intuition porteuse des dirigeant-es d’Orange et du Crédit Agricole qui ont contracté un partenariat prometteur avec le projet Happy Men) ;
2) des modèles de performance challengés, pour sortir de la culture présentéïste d’une part et proposer une vision humaine et diverse du leadership ; là encore, ce qui bénéficiera aux femmes sera aussi gagnant pour les hommes, qui font part plus directement qu’hier de tout ce que leur « coûte », en termes de vie privée, de stress ou d’image de soi, l’obligation informelle de se conformer au modèle imposé (mais déjà rétrograde, aimons-nous à le croire) de la super-puissance ;
3) une ouverture à la diversité des « styles » de leadership, pour permettre à chacun-e d’exprimer le sien propre, inspiré éventuellement par l’appartenance à son genre, mais permettant aussi d’emprunter plus facilement des « codes » à l’autre genre ; où l’on incite donc, à poursuivre, la mise en question des stéréotypes, non tant pour les balayer ni les écraser au profit d’un « style » dépersonnalisé de management, mais pour inviter les un-es et aux autres à composer leur teinte personnelle de leadership en jouant sur la plus large palette de couleurs disponibles.
Créer un « écosystème » durable pour atteindre et préserver l’équilibre
En conclusion, les auteur-es du sixième rapport Women Matter invitent les organisations à se concevoir en écosystèmes forts et durables, capables d’atteindre et de préserver un équilibre des genres bénéfique à la performance globale. Et de réaffirmer ce qui permet de bâtir et d’entretenir un tel environnement positif :
1) Des directions et un top-management clairement engagés et affirmant haut et fort que le sujet du leadership au féminin est stratégique pour l’entreprise ;
2) Des programmes de leadership au féminin qui (comme EVE, n’ayons pas peur de le faire savoir), misent à la fois sur le développement personnel des femmes et sur les transformations organisationnelles des entreprises ;
3) Un essaimage dense de la politique d’égalité professionnelle aux divers échelons de l’entreprise et en transversalité des services, avec un accent particulier sur le rôle des directions des ressources humaines.
Marie Donzel, pour le blog EVE.
(c) Toutes images : McKinsey & Company