Marine Gianfermi est chef de projet digital junior chez Orange.
Ça, c’est ce qui est écrit sur son contrat de travail. Dans les couloirs de l’entreprise, on l’appelle aussi « feel good manager », un titre qui parle de lui-même, convoquant immédiatement le concept initié par un autre géant des nouvelles technologies (unce certaine marque à la pomme, par exemple!) qui fait largement reposer le potentiel d’innovation de ses collaboratrices et collaborateurs sur leur bien-être au travail et leur sentiment d’évoluer dans un environnement de confiance pour expérimenter librement de nouvelles façons de faire.
Marine Gianfermi signe aussi ses mails avec le titre d’Etableur.
Etableur, mais qu’est-ce que c’est? Un métier unique, une mission à part, co-inventée par Orange et son partenaire D-Sides.
Le blog EVE a voulu en savoir plus…
Eve le blog : Bonjour Marine. D’où venez-vous? Quel parcours vous a menée jusqu’à Orange et à cette mission… D’Etableur?
Marine Gianfermi : J’ai une formation de littéraire, complétée par un cursus en comm’, au CELSA, à l’issue duquel j’ai fait un master « Innovation et création de contenus médiatiques ».
J’ai voulu faire mon Master II en alternance et c’est ainsi que je suis arrivée chez Orange, pour m’occuper de l’animation du réseau Innov’Elles (ndlr : le réseau national de femmes d’Orange). Ce qui fait que je connais bien le Programme EVE et le blog EVE, forcément!
Eve le blog : Etiez-vous sensibilisée aux questions d’égalité femmes/hommes et de leadership partagé, avant de travailler pour le réseau Innov’Elles?
Marine Gianfermi : Le sujet me parlait. Et j’avais des convictions assez générales sur la nécessité évidente d’agir encore pour l’égalité. Mais c’est en travaillant pour Innov’Elles et la Diversité chez Orange que j’ai vraiment cerné à quel point le sujet est fin, passionnant, ouvert sur une multitude de questionnements culturels, sociaux, psycho…
Pour moi, entrer dans le fond des problématiques d’égalité, ça a été une véritable opportunité d’éveil intellectuel et j’ai tout de suite ressenti combien les actrices et acteurs de cet univers sont ouvert-es créatifs, plein-es d’idées nouvelles qui profitent à tout le monde.
Même si j’ai toujours assumé mon engagement pour la mixité, c’est devenu après cette expérience un authentique motif de fierté.
Eve le blog : Et après votre alternance…?
Marine Gianfermi : La suite de l’histoire a commencé à s’écrire pendant mon alternance, car j’ai vu naître le projet des Etableurs (au printemps 2014) et j’ai proposé de m’y investir comme volontaire… Tant et si bien qu’on m’a finalement proposé de rester chez Orange pour en faire mon métier!
Eve le blog : Alors, les Etableurs, c’est quoi ?
Marine Gianfermi : Les Etableurs, c’est une communauté qui aide les collaboratrices et collaborateurs de l’immeuble à innover et à simplifier les process de travail.
C’est une idée originale du labo d’innovation et de prospective D-Sides, fondé par Olivier Charbonnier et Sandra Enlart.
Il s’agit, pour l’exprimer de façon très synthétique, de transformer l’organisation en l’amenant vers plus de simplicité et de collaboration, notamment au travers des usages des outils digitaux… Qui sont faits pour nous simplifier le quotidien, mais qui parfois, parce qu’on les connait mal, parce qu’on les craint, parce qu’on les sous-utilise ou parce qu’on se laisse dépasser, peuvent être sources de complications ou de tensions. L’exemple typique, c’est le mail, qui devrait avoir vocation à fluidifier les échanges écrits, mais pas forcément à les multiplier à l’infini et moins encore à nous inonder d’informations au risque que nous nous y noyions…
Eve le blog : D’où vient le nom d’Etableur?
Marine Gianfermi : Le nom s’inspire de l’ouvrage de Robert Linhart qui s’intitule L’Etabli. C’est le récit autobiographique d’un ancien ouvrier de l’automobile qui parle de son attachement à son métier, à son savoir-faire, à ce que son établi lui permet de faire que les robots et les machines ne pourront jamais accomplir.
Ce que cette référence à Linhart et son Etabli nous dit, c’est le besoin de retour au concret, au physique, à la cohérence matérielle, à la réalité immédiatement approchable de l’action et à l’importance de l’humain.
Eve le blog : Puisque le projet même des Etableurs est une invitation au retour au concret, pouvez-vous justement nous dire comment concrètement il existe chez Orange et aide efficacement les collaboratrices et collaborateurs à simplifier leur travail?
Marine Gianfermi : Très concrètement, les Etableurs, c’est 3 volets. Le premier, c’est une permanence : il y a un lieu physique (une ex-salle de réunion que nous avons réaménagée avec des codes un peu – voire très – différents de ceux de l’espace de travail traditionnel en entreprise) et les 22 Etableurs de l’entreprise (tous volontaires, à mon exception) s’y relaient chaque matin pour recevoir les collaboratrices et collaborateurs qui ont des questions sur leurs outils de travail et/ou leurs outils digitaux.
On peut arriver à la permanence avec une question toute simple (« j’arrive pas à télécharger des applis sur mon smartphone« ), comme avec des problèmes plus techniques (« j’ai une base de données en ligne et je voudrais créer un formulaire« ). Si les Etableurs de permanence savent tout de suite comment répondre à la question, ils apprennent à la personne comment faire : on ne fait pas à sa place, il s’agit bien de l’aider à être autonome avec ses outils et devices. Si c’est plus compliqué, ou que ça demande un peu de temps ; on va construire une équipe pour imaginer et mettre en place une solution nouvelle, en co-construction avec la personne qui nous a sollicité-es.
Eve le blog : Le deuxième volet…?
Marine Gianfermi : Le deuxième volet, ce sont les ateliers « flash ». Il s’agit de formations d’une heure chrono qui abordent sous un angle très concret des questions d’usages des outils informatiques et digitaux.
Par exemple : une heure pour se familiariser avec les réseaux sociaux ou pour prendre en main son smartphone, une heure pour découvrir toutes les fonctionnalités de PowerPoint (qui ne sert pas qu’à créer des slides en copié-collé! On peut produire des films ou des newsletters avec ce logiciel, peu de gens le savent) ou une heure pour être enfin à l’aise pour lancer un publipostage!
Tutoriel étableurs publipostage par etableursjobbe
Marine Gianfermi : Le troisième volet, ce sont les micro-projets. Là, on va de nous-mêmes passer dans les comités de direction des équipes de l’immeuble pour trouver des sujets auxquels on peut proposer des solutions.
Je vous donne un exemple : il y a une équipe qui gère une immense base de données de fiches métiers. C’est un gigantesque tableau Excel qui, jusqu’il y a peu, sortait des fiches métiers sous Word : un document de 400 pages… A partir duquel, il fallait réaliser un PowerPoint. L’an dernier, le processus d’extraction, de traitement des données et de conversion en prez digne de ce nom a pris pas loin de 6 mois à la personne qui s’en est chargé! En 10 jours, un de nos Etableurs, Yacine, a développé pour ce service une macro qui sort automatiquement les slides sur PowerPoint… L’équipe a ainsi gagné 6 mois de travail par an, qu’elle pourra consacrer à d’autres projets, plus créatifs, et plus innovants !
Eve le blog : Il y a chez les Etableurs, une véritable dynamique intrapreneuriale?
Marine Gianfermi : Oui, c’est bien de dynamique intrapreneuriale dont on parle… Vous pouvez même y aller plus franchement : il y a un esprit start-up!
Mais si on préfère en appeler aux références de la philosophie antique plutôt qu’à celles de la Silicon Valley, ce n’est jamais que suivre la recommandation des Stoïciens : vivre en accord avec son environnement, s’y sentir bien, prendre du temps pour regarder ce qui s’y passe et comprendre ce qui fait cause et conséquence ; c’est bien cela qui permet d’inventer des choses pour soi et sa communauté, et de progresser.
Eve le blog : Puisque vous parlez des Stoïciens, est-ce que vous pourriez faire votre devise de paroles de Sénèque telles que « Longue est la route par le précepte, courte et facile par l’exemple » ou « C’est en enseignant que les hommes apprennent »?
Marine Gianfermi : Indéniablement, j’apprends tous les jours en apprenant des choses aux autres, ce qui rend ma mission incroyablement stimulante.
Ensuite, oui, je crois aux vertus de l’exemple et de l’expérimentation. Nous sommes dans un état d’esprit qui challenge les façons d’apprendre, telles qu’elles se sont en tout cas constituées en modèle dominant au cours des deux siècles passés.
Mais d’une part, nous n’effectuons qu‘un retour au bon sens sur certaines choses qui effectivement s’apprennent seulement en faisant (ce n’est jamais que l’esprit du compagnonnage ou de l’apprentissage), et d’autre part, nous n’entendons pas nous substituer à la formation professionnelle plus traditionnelle qui a notamment le mérite de consacrer un vrai temps, hors du lieu de travail, pour développer ses compétences.
Ce que nous offrons, c’est une autre temporalité, d’autres lieux, un autre ton, aussi.
Eve le blog : Votre ton, justement, est assez ludique… Voire prête volontiers à l’humour. Pensez qu’il faut aussi rire en entreprise?
Marine Gianfermi : C’est indispensable! Rire fait aussi partie de la vie, c’est même l’un de ses grands plaisirs. C’est comme d’être sympa avec ses collègues, même si ce n’est pas obligatoire sur le papier. Travailler, c’est un temps de vie, on y a aussi des besoins naturels de l’existence, dont le besoin de sensibilité.
Prendre le temps de rire avec les autres, de leur donner des coups de main, de s’intéresser à qui ils sont et ce qu’ils font, ce qui les enthousiasme ou ce qui les tracasse, c’est juste être là, en fait. Et c’est le sens de la vie. Ça aussi, ça nous vient de la philosophie antique et ça n’a pas changé à l’ère du digital.
Car finalement, ce que l’on a avec les nouvelles technologies, ce sont des occasions démultipliées de mettre en valeur la richesse humaine, à travers la diversité infinie des personnalités et de tout ce qu’elles ont à partager. Ma mission d’Etableur, c’est aussi et surtout de faire de cela une réalité effective dans l’entreprise.
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE. Avec la complicité de Maryse Droff, pour Orange.
Lire aussi :
– Notre portrait d’Aurélie Truchet, reverse mentor chez Danone
– Notre billet consacré à l’hackathon « femmes mobiles » (le réseau Orange dédié à la mobilité, à l’initiative d‘Emmanuelle Jardat)
– Notre rencontre avec Catherine Le Drogo Ferrari, femme d’innovation d’Orange Business Services
– Notre focus sur le Village by CA, nouvel espace d’open innovation et de partage des savoirs et savoir-faire du groupe Crédit Agricole S.A.
– Notre article sur les « Editathon Wikipedia » de la Fondation L’Oréal
– Notre rencontre avec Isabelle Denervaud sur la place des femmes dans l’univers digital