Rencontre avec Chantal Joie La Marle, Responsable Innovation & Mass Transit chez SNCF – Transilien, Ambassadrice SNCF au féminin
Chantal Joie La Marle est ingénieure et psychologue. Actuellement à la tête du pôle « Innovation et mass transit » de Transilien, elle est ambassadrice du réseau SNCF au féminin et anime plusieurs groupes experts en son sein.
Elle nous a invité-es dans les coulisses de cette double activité, pour nous livrer sa vision de l’esprit d’innovation.
Eve le blog : Bonjour Chantal. Vous êtes responsable Innovation & Mass Transit chez SNCF-Transilien. Qu’est-ce que ce métier recouvre ?
Chantal Joie La Marle : Le mass transit, c’est le transport urbain en zone dense et hyper dense. L’enjeu, pour l’opérateur de transport public que nous sommes, c’est d’offrir à des voyageurs toujours plus nombreux, une expérience toujours aussi qualitative, voire davantage, sans augmenter les coûts.
Eve le blog : Quel challenge ! N’est-ce pas un peu la quadrature du cercle ?
Chantal Joie La Marle : C’est un défi, en effet : il nous faut faire plus que nous adapter à ce qui s’impose à nous, il faut innover pour anticiper les nouvelles attentes et les nouveaux comportements.
L’innovation appelle des façons de penser en rupture avec les modèles traditionnels. Ce n’est forcément pas dans la culture française… Et c’est un exercice complexe dans une entreprise comme SNCF, dont les métiers sont fortement contraints, en particulier pour des raisons de sécurité.
Pour autant, la contrainte ne peut pas être comprise comme un obstacle à l’innovation : elle en est l’un des paramètres, sur lequel on peut capitaliser. C’est le principe même de la pensée « outside the box » qui invite au changement de perspective, à challenger la question avant d’apporter la réponse, à explorer des voies transverses pour atteindre les objectifs…
Pour concrétiser cette intention, SNCF a créé en 2010, sur l’impulsion de Bénédicte Tilloy, le « Lab Mass Transit » qui a réuni dès son lancement des représentant-es de tous les métiers en interne et des personnalités extérieures à l’entreprise (clients, chercheur-ses, expert-es, personnalités inspirantes de la société civile…). Mes fonctions consistent notamment à animer ce Lab pour révéler l’innovateur en chacun-e et déployer une culture de l’innovation chez Transilien.
Eve le blog : Cette démarche qui consiste à révéler l’innovateur/l’innovatrice en chacun-e, vous la prolongez en participant aux groupes experts de SNCF au féminin. Qu’est-ce qui vous a poussé à rejoindre ce réseau ? Qu’en attendiez-vous au départ ?
Chantal Joie La Marle : J’ai rejoint le réseau SNCF au féminin, dès son lancement, en janvier 2012.
Au cours de mon double cursus, j’avais été doublement confrontée à l’insuffisante mixité des parcours : ingénieure, je comptais parmi les 10% de femmes de mon école, psychologue, je n’ai cotoyé que 5% d’hommes dans les amphis de la fac.
J’avais aussi beaucoup de curiosité : je me demandais ce qu’on allait faire dans ce réseau, comment il poserait la question de la place des femmes dans l’entreprise et comment l’entreprise, à son tour, prendrait position sur ce sujet. J’attendais du réseau qu’il s’adresse à l’individu dans sa globalité, à son développement personnel, comme à son développement professionnel qui lui est étroitement lié Je n’ai pas été déçue ! C’est cette double approche « développement perso/développement pro » qui m’a d’abord séduite chez SNCF au féminin. Je pense que les hommes sont autant concernés que les femmes par cela, mais ce sont elles qui mettent souvent le sujet sur la table, pour le bénéfice de tous.
Et immédiatement après, j’ai vu l’élan extraordinaire que ce vaste groupe de femmes allait porter dans une organisation où les hommes sont majoritaires : on allait regarder l’entreprise avec d’autres lunettes !
Eve le blog : Vous devenez donc ambassadrice SNCF au féminin pour Transilien… Et lancez dans la foulée vos premiers groupes experts. Sur quels thèmes choisissez-vous de travailler avec les femmes de votre entité ?
Chantal Joie La Marle : Nous choisissons des thèmes stratégiques pour Transilien, mais qui peuvent être difficiles à appréhender. En l’occurrence : l’information aux voyageurs et le sentiment d’insécurité ont été nos premiers sujets de travail.
Depuis, nous avons monté deux autres groupes : sur la propreté et sur le management de premier niveau. Ce sont des questions qui ont été souvent posées dans l’entreprise, mais elles sont revisitées avec un regard neuf, en s’appuyant sur le cadre et la méthodologie proposés par le réseau pour faire pleine place à la liberté de parole et à la créativité.
Eve le blog : Quelle est cette méthodologie ?
Chantal Joie La Marle : La structure proposée par SNCF au féminin pour les groupes experts vise à donner un vrai mandat à celles qui veulent travailler autrement, en leur garantissant un certain confort de fonctionnement et de la visibilité pour leurs travaux.
Concrètement, chaque groupe est composé d’une référente par axe de progrès identifié, et de contributrices volontaires… Ou de contributeurs, car ces groupes sont ouverts aux hommes. Il bénéficie d’un-e sponsor (pour Transilien, ce fut Bénédicte Tilloy et c’est maintenant Alain Krakovitch) et s’entoure de coachs pour se faire aider dans ses travaux.
Ce cadre posé, la façon de s’organiser est libre et autonome. Pour ma part, je procède de la façon suivante : pour chaque nouveau groupe expert, je monte un événement de lancement auquel j’invite la totalité des cadres. On pose le sujet et tout de suite, spontanément, on se met à travailler : les points de vue s’expriment, les idées fusent. A l’issue de cette rencontre, celles et ceux qui veulent aller plus loin rejoignent officiellement le groupe et décident ensemble de leur façon de fonctionner, avec leurs formats, leurs méthodes, leur rythme…
Eve le blog : Pouvez-vous donner des exemples d’idées qui ont émergé dans ces groupes experts ?
Chantal Joie La Marle : Nous revendiquons dans ces groupes experts une façon résolument décalée d’aborder les sujets. Il a été par exemple évoqué, dans le groupe dédié à la question de la propreté, de dresser des pigeons voyageurs pour ramasser les papiers gras ou d’inventer des revêtements de sol auto-nettoyants… Au-delà de la seule technique du brainstorming, on autorise l’expression de l’idéal mais aussi de l’amusant, de l’astucieux, voire de la fantaisie, de tout ce qui, dans d’autres contextes, pourrait passer pour « planant ».
Après, on regarde ce qui peut être transposable dans la réalité et éventuellement duplicable. Tout ne l’est pas et le but n’est pas que tout soit mis en pratique. Le but, c’est de faire avancer une problématique en démultipliant les voies d’approches et en prenant l’idée pour ce qu’elle est : une pensée partagée qui se connecte avec d’autres pour nourrir la réflexion et l’esprit d’innovation de toutes et tous.
Eve le blog : Avez-vous des exemples d’actions inspirées par les groupes experts qui ont donné lieu à transposition dans le réel ?
Chantal Joie La Marle : Je peux citer par exemple le dispositif de mise en visibilité des femmes agents que le groupe expert sur l’information aux voyageurs a impulsé (voir photo ci-après). Il repose sur deux volets : premièrement, une campagne de communication visuelle, qui donne à voir le visage de ces femmes, qui sont à la fois très exposées mais très peu reconnues ; deuxièmement, une formation à la gestion du stress. Cette attention que ces femmes reçoivent, fondamentale dans leur prise de confiance, elles la restituent aux voyageurs et cela augmente manifestement la qualité du service.
Le groupe expert sur le sentiment de sûreté a quant à lui organisé pour les agent-es des forums itinérants, véritables formations sûreté en gare. Il a également lancé des marches exploratoires avec les clientes pour voir avec leurs yeux comment diminuer le sentiment d’insécurité. Ses résultats sont intégrés dans le comité ministériel sur la sécurité des femmes dans les transports en commun.
Il y a beaucoup de choses simples, comme cela, qui peuvent être imaginées et développées, avec des effets immédiats… Pourvu que l’on regarde l’innovation comme l’affaire de toutes et tous, en rendant de l’espace et du temps à chacun-e pour questionner et pour créer, en autorisant l’audace et la possibilité de se tromper. Dans mon métier comme dans mes activités pour SNCF au féminin, mon rôle, c’est de créer des terrains de jeu et de faire en sorte que toutes et tous aient envie de venir y jouer, et pour cela, à participer à l’écriture de nouvelles règles.
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE.