Quand la Fondation L’Oréal invite chacune à prendre en main le destin historiographique des femmes de science
En février dernier, La Fondation L’Oréal, lançait, en partenariat avec Wikimedia France et Universcience, le premier « Editathon femmes de science« .
Une initiative unique et innovante pour promouvoir la science au féminin au travers des grandes figures féminines scientifiques dont le récit officiel de l’histoire tend à minimiser (voire oublier) l’apport et l’influence.
Car, l’invisibilisation des femmes de sciences des temps passés n’est pas qu’affaire d’ingratitude à leur égard, elle prive aussi celles d’aujourd’hui de rôles-modèles inspirants capables de susciter des vocations et d’encourager les ambition. Il apparait donc à la fois équitable à l’égard de nos aînées que soit mis en valeur leurs travaux et nécessaire pour nos contemporaines de leur permettre de s’inscrire dans leur prolongement.
Comprendre comment l’histoire des sciences et scientifiques s’écrit pour co-écrire une histoire plus juste, plus riche et plus égalitaire
Un « Editathon femmes de sciences » organisé par la Fondation L’Oréal avec Wikimedia France et Universcience, c’est donc une journée événement pour comprendre comment l’histoire des sciences et des scientifiques s’écrit, depuis les manuels traditionnels jusqu’à l’ère Wiki.
Car en cernant les mécanismes de la mise en lumière des un-es et de l’invisibilisation des autres, on peut identifier des leviers d’action pertinents pour co-écrire une histoire des sciences plus juste, plus riche et plus égalitaire.
Faire l’état des lieux de la présence des femmes de science sur l’encyclopédie en ligne, documenter l’histoire des femmes de science, former des contributrices sur Wikipedia
Parce que Wikipedia est à l’heure actuelle le premier vecteur d’information culturelle et historique au monde, « l’Editathon » démarre par un état des lieux de la présence des femmes de sciences sur l’encyclopédie en ligne.
Ce diagnostic permet d’établir immédiatement une liste de fiches à créer ou enrichir pour sortir de l’invisibilité et/ou de la sous-représentation des figures majeures de l’histoire des sciences.
« L’Editathon » se poursuit par une rencontre avec celles et ceux qui sont en mesure de documenter ces fiches, bibliothécaires, archivistes, chercheurs et chercheuses, blogueurs et blogueuses scientifiques, passionné-es d’histoire et de sciences, représentant-es d’associations agissant pour le partage des connaissances.
Et enfin, la démarche de « l’Editathon » se concrétise dans un atelier de formation à la contribution sur Wikipedia pour les femmes, débouchant sur un travail collectif d’actualisation en direct d’une trentaine de fiches consacrées à des femmes de sciences.
Pour que la Fête de la Science soit aussi celle des femmes de science!
Forts du succès du premier « Editathon » en février 2014, La Fondation L’Oréal, Universcience et Wikimedia France ont décidé de consolider et pérenniser leur partenariat en donnant désormais deux éditions par an de cet événement.
Le second « Editathon femmes de science » aura lieu, à l’occasion de la Fête de la Science, ce samedi 27 septembre à la Cité des Sciences et de l’Industrie.
Y participeront des Boursières L’Oréal-UNESCO, des blogueurs et influenceurs, des associations, des bénévoles et formateurs de Wikimedia, des bibliothécaires Universcience et l’équipe de la Fondation L’Oréal.
La journée de formation à la contribution sur Wikipedia sera ponctuée par une intervention de Natalie Pigeard-Micault, docteure en épistémologie et histoire des sciences, responsable des archives du Musée Curie, qui présentera sa démarche de repérage des femmes d’exception et son action pour les sortir de l’ombre.
Marie Donzel, avec la complicité de Clélia Edouard, pour le blog EVE.
Eclairage : « Une initiative modèle », pour François Guillot, expert en médias sociaux
Nous avons demandé à François Guillot, directeur associé de l’agence Angie+1, expert en médias sociaux, qui trouve « l’initiative des ateliers Wikipedia pour les femmes et la science extrêmement pertinente » de nous expliquer en quoi il est parfaitement stratégique pour faire progresser le leadership au féminin de former des contributrices à la pratique de cet outil « un peu à part » dans le paysage des médias sociaux.
Eve le blog : Bonjour François. Vous êtes expert des médias sociaux et conseillez de nombreuses organisations et entreprises sur leur stratégie digitale. Dans le contexte de votre pratique professionnelle, quel regard portez-vous sur Wikipedia?
François Guillot : La plupart des entreprises ont aujourd’hui une stratégie réseaux sociaux. Si elles se sentent assez à l’aise pour intervenir sur Facebook, Twitter ou d’autres plateformes sociales, elles ont un peu tendance à négliger Wikipedia… Pourtant, il faut savoir que Wikipedia, c’est aujourd’hui le 5è site le plus fréquenté au monde. C’est un média d’information hautement populaire qui répond à un vrai besoin, celui de prendre et de vérifier rapidement l’information. Wikipedia, c’est tout simplement le premier outil de fast checking. C’est aussi le média qui dit et fait les réputations.
Mais il est vrai aussi que c’est un média social un peu à part, qui pose des questions spécifiques aux organisations, car sur le principe, n’importe qui peut y modifier n’importe quoi. De plus, la prise de parole sur Wikipedia obéit à des règles particulières, notamment d’admissibilité des contenus : l’utilisation promotionnelle est interdite. Il faut donc y prendre la parole différemment, avec une certaine distance par rapport à son objet.
Je trouve extrêmement pertinent que la Fondation L’Oréal, dont la vocation est de soutenir les vocations scientifiques féminines, fasse avec ses partenaires, ce choix de former des contributrices qui pourront, de façon autonome et indépendante, faire elles-mêmes progresser la visibilité des femmes de science. C’est apprendre à faire plutôt que faire à la place, donner la parole plutôt que la prendre. Ca témoigne d’une compréhension parfaite de ce qu’est Wikipedia et d’une véritable hauteur de vue. Je vois là une initiative modèle.
Eve le blog : Est-ce qu’il est vrai que tout le monde peut contribuer à Wikipedia?
François Guillot : En théorie, oui. L’un des slogans de Wikipedia, c’est « Personne ne sait tout, mais tout le monde sait quelque chose. » C’est de loin le projet d’intelligence collective le plus abouti qui n’ait jamais existé et auquel effectivement, chacun-e est libre de participer.
Dans la pratique, il n’y a en France, que quelques centaine de contributeurs très actifs. Il faut aussi savoir que 90% des contributeurs Wikipedia dans le monde sont des hommes. Ouvrir et diversifier « le cercle des contributeurs » est donc bien un enjeu pour ce média très influent.
Eve le blog : Est-ce que c’est facile de contribuer sur Wikipedia?
François Guillot : La Wikimedia Foundation et les associations relais sur lesquelles elle s’appuie dans les pays ont pris conscience de la nécessité, pour attirer de nouveaux contributeurs et nouvelles contributrices, de rendre l’outil le plus convivial possible. L’interface contributeur est aujourd’hui très intuitive, des fonctionnalités pour les « débutant-es » ont été développées qui permettent d’intervenir immédiatement après s’être inscrit-e. Par ailleurs, les règles et bonnes pratiques sur Wikipedia sont transparentes et faciles à comprendre.
Eve le blog : Quelles sont ces bonnes pratiques?
François Guillot : D’abord, des critères d’admissibilité pour la création d’une page. Il est clairement explicité que les pages promotionnelles n’ont pas leur place sur Wikipedia. La communauté est assez vigilante sur ce point. Ensuite, il y a des règles de forme : les pages doivent être structurées « à la façon de Wikipedia » (mais il suffit d’avoir consulté quelques pages pour comprendre comment ça fonctionne) et le ton doit être factuel. Toute information doit être sourcée : aucune information nouvelle ne figure sur Wikipedia qui n’ait déjà été apportée ailleurs, dans la littérature scientifique, les médias, les sites Internet, les blogs… Quand par exemple, vous publiez sur le blog EVE un article très fouillé sur « l’effet Matilda », celui-ci vient sourcer la page Wikipedia jusque là très peu documentée sur ce sujet.
Enfin, il y a la question de la neutralité sur laquelle le positionnement de Wikipedia est particulièrement intéressant : pour sortir du débat un peu stérilisant « la neutralité existe-t-elle ou pas? », Wikipedia exige non pas l’expression d’un point de vue parfaitement neutre, mais la représentation de la diversité des points de vue qui existent sur un sujet. En cela, c’est une vraie démarche encyclopédique qui embrasse les sujets dans toutes leurs dimensions, y compris celle de la perception de ces sujets et des opinions contradictoires qui s’y adressent.
Eve le blog : Wikipedia suscite de grands enthousiasmes (on dit que c’est la réalisation même du rêve des Lumières porté par Diderot) mais a aussi essuyé, notamment à ses débuts, des critiques sur la fiabilité de ses contenus. Où en est-on de ce débat, aujourd’hui?
François Guillot : Il y a quelques années, une étude du magazine Nature comparait le contenu d’une quarantaine d’articles scientifiques de Wikipedia avec leurs équivalents dans l’encyclopédie Britannica. Il en ressortait que Wikipedia était aussi fiable (ou bien autant producteur d’erreurs, selon le point de vue duquel on se place) que Britannica. Vous imaginez bien que ça a fait l’effet d’une bombe! L’étude avait d’ailleurs été vivement contestée, notamment parce qu’elle ne portait que sur une quarantaine de pages quand Wikipedia en contenait déjà plusieurs millions et parce qu’elle ne portait que sur des articles scientifiques alors que Wikipedia traite de toutes sortes de disciplines, pas seulement scientifiques.
Reste que ce débat sur la fiabilité des connaissances diffusées a challengé les producteurs traditionnels de contenus et posé une vraie question épistémologique : celle de l’esprit critique! Oui, toute information qui nous parvient, par quelque média que ce soit, doit faire l’objet d’une réflexion sur les conditions dans lesquelles elle a été produite, sur la façon dont elle est présentée. La légitimité acquise d’un média classiqe ou la popularité d’un média on-line ne permettent ni l’une ni l’autre de se passer de distance critique. Je crois d’ailleurs que toute la démarche encyclopédique, de nature fondamentalement contributive, est là : l’utilisateur, contributeur et/ou lecteur d’une encyclopédie, doit être avant tout une personne consciente, qui fait usage des connaissances pour éclairer son regard personnel sur le monde, pas pour remplacer son propre regard par celui des « savants ».
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE
Lire aussi :
– Notre reportage sur la cérémonie des 16è Prix pour les Femmes et la Science Fondation L’Oréal-UNESCO
– Notre rubrique du Palmablog consacrée au blog Discov’Her associé à la Fondation LOréal pour les Femmes et la Science
– Notre synthèse du rapport BCG sur les femmes et la science
– Notre « concept à la loupe : l’effet Matilda » pour comprendre les mécanismes d’invisibilisation des femmes dans l’histoire officielle des sciences et inventions
– Notre portrait d’Ada Lovelace, première programmatrice informatique de l’histoire
– Notre portrait d’Aurélie Truchet, « reverse mentor » qui forme les collaborateurs et collaboratrices de Danone aux usages des médias sociaux