Il y a quelques mois, au cours d’une discussion entre Evesiennes, l’une d’entre nous a dit : « Moi, je mets directeur sur ma carte de visite. Parce que directrice, c’est 20% de salaire en moins. » Si ce n’est politique, c’est pour le moins pragmatique. Et ça a le mérite de la clarté. En tout cas, ça nous a interpelé-es.
Nous avons donc voulu savoir ce que les femmes leaders écrivaient sur leur carte de visite et quel sens cela avait pour elles. Voici les résultats de notre enquête.
Désirs de neutralité?
Parmi la vingtaine de femmes qui ont répondu à notre sondage via le blog EVE, Twitter, le groupe fermé Linkedin, par mail ou par téléphone, plusieurs ont d’abord signalé qu’en anglais, la question ne se pose pas… Et que c’est parfois bien pratique.
Catherine Thibaux, membre du comité des sages, l’exprime en VO :
« In english, the question doesn’t make sense because Director or Executive, VP or CEO etc. are neutral, at the opposite in french where we have the feminine version and the masculine version, directeur and directrice. »
Et Olga Koenig, Open Sourcing & Career Path Director chez Danone, d’ajouter :
« A un poste corporate, j’utilise surtout mon titre en anglais, où cette nuance n’est pas possible (director). »
Au-delà de sa commodité d’usage, le neutre anglo-saxon semble porteur d’autre chose : il représente la fonction, plus que la personne qui l’occupe.
Bénédicte (anonyme, ndlr) est attachée à cette distinction entre le titre et l’individu :
« Lorsque je me présente, c’est toujours en tant que directeur (même si certains aiment à corriger). J’estime que je représente une fonction et que le fait d’insister sur le féminin, sans rien enlever, ne rajoute rien. »
Anne Thévenet-Abitbol, Directrice Prospective et Nouveaux Concept chez Danone et fondatrice du Programme EVE, dit elle aussi, qu’elle a longtemps préféré être « directeur » plutôt que « directrice » pour de semblables raisons:
« Je dois avouer que c’est en cours de conception du Programme EVE que j’ai osé franchir le pas et devenir enfin directrice. Jusqu’alors je justifiais le directeur de ma carte de visite en invoquant le neutre latin bien utile pour parler de fonction, et non pas de personnes. Enfin j’avais besoin de me justifier quand même. »
Dans la même veine, Leslie*, qui est juge, se félicite d’avoir un titre qui lui épargne d’avoir à faire le choix du genre :
« Je suis juge. J’ai un métier dont le nom n’est ni féminin ni masculin. C’est plus simple. Si je devais choisir entre directeur ou directrice, je ne sais pas trop ce que je ferais. Je suis dans une profession aujourd’hui très féminisée, comme l’enseignement, avec ce que ça implique de stagnation des salaires et de perte de considération dans la société. Alors peut-être que je choisirais directeur et que je ne mettrais que l’initiale de mon prénom sur ma carte. Pour rester dans une forme de neutralité. »
Directrice, moi jamais!
En grammaire française, « le masculin l’emporte sur le féminin ». On l’apprend à l’école primaire en même temps qu’Ornicar et l’accord du participe avec l’auxiliaire « avoir ». En avoir ou pas, en être ou ne pas en être, c’est bien la question, pour certaines :
Emma (anonyme, ndlr), directeur de la communication, s’en explique :
« Personnellement, ce n’est pas au boulot que je mène ces combats-là. Si pour être prise au sérieux, je dois m’appeler directeur, je m’appelle directeur et c’est tout. Si ça me donne plus de moyens pour agir, il n’y a que ça qui compte. Quand directrice vaudra la même chose que directeur, alors, pourquoi pas? Mais en attendant, je pense que je fais plus pour la cause des femmes en faisant bien mon job de directeur qu’en réclamant qu’on m’appelle Madame la directrice. »
Béatrice Toulon, Directrice de Maestria Consulting, que nous avons interrogée par téléphone sur cette question, interprète la réaction d’Emma :
« Ce qui se joue quand une femme refuse de féminiser son titre, c’est la crainte d’être exclue du « clan » parce que le clan, c’est bien « le clan des directeurs », pas celui des « directeurs et directrices ». »
Pourquoi « directrice », ça coince?
Mais alors, qu’est-ce qu’il y a dans « directrice » de moins (ou de différent) que dans « directeur »? C’est la perception de la « directrice » qui répond à cette question. Les femmes qui se sont prononcées sur ce sujet ont été nombreuses à évoquer la figure de la « directrice d’école ».
« C’est vrai que « directrice » pour moi ça fait directrice d’école (sans doute un mauvais souvenir associé :-) » dit Valérie Desplanches, Directeur R&D Danone Dairy France, Europe Nord et Afrique Nord
« Pour moi, une directrice il n’y en avait qu’à l’école… », complète Christine Descamps, Directrice de la Fondation pour la Recherche sur Alzheimer.
Même s’il est bien regrettable que la directrice d’école soit déconsidérée par rapport à la directrice générale, exprime Valérie Gent, General Manager Acceleration Business Unit Food Monde – Danone Baby Nutrition :
« La question » directrice ou directeur » vient souvent de la connotation » maîtresse d’école » avec tout l’imaginaire qui va autour … Personne ne se poserait cette question pour une femme qui serait directrice de crèche ou directrice d’école (dirait on alors directeur ?) Pour la petite histoire : ma mère était directrice d’école maternelle et j’en suis fière … donc, je suis Directrice Générale, sans nul doute.. Pour continuer – dans le baby – ce qu’elle a si bien commencé :-) ».
Et c’est précisément parce que c’est la perception et le symbole qui sont au cœur du sujet que notre sage Catherine Thibaux s’est battue pour qu’on nomme des « directrices » et non plus des « femmes directeurs » :
« J’ai mis plus de 3 ans pour convaincre les RH de mettre « directrice » dans les notes d’organisation générale annonçant les nominations… et certaines femmes refusaient, pensant que « directrice » était moins valorisant que directeur (poussées dans leurs retranchements, elles avouaient que quand elle entendait « directrice » elles pensaient spontanément à directrice de crèche ou directrice d’école… ce qui ne fait pas business même si ce sont de beaux métiers… Les préjugés ont la vie dure! »
D’abord on biaise… Et puis un jour, on ose!
Les voilà nombreuses aujourd’hui, à avoir donc opté pour le titre de directrice.
Pour certaines, il a fallu le temps de prendre confiance en leur légitimité avant de se décider et d’oser. Ainsi Stéphanie Dommange, Management and Change Director à la SNCF, qui, comme notre juge Leslie, a pu biaiser un temps en portant le nom « neutre » de « responsable » mais a du faire un choix en prenant du galon dans la hiérarchie de l’entreprise :
« En y réfléchissant, je me suis rendue compte qu’au début de ma carrière de cadre, je mettais « responsable de… », par commodité ou praticité sans doute sur mes cartes de visite… Quoi que… Mais quand il s’est agit de choisir de mettre directrice, alors là je n’ai pas hésité, le féminin était devenu pour moi une évidence et, après coup, le signe que, quand on OSE, les choses viennent plus naturellement ! Et en fait, je me dis que j’y ai ressenti même un vrai soulagement. »
Pour d’autres, c’est la prise de conscience du « sexisme » inconscient que véhiculent les titres et les symboles, qui a été le déclencheur. Christine Descamps le dit simplement :
« Il a fallu le Programme EVE pour que je prenne conscience que j’alimentais le « sexisme » ambiant en me faisant appeler directeur. Mais bon on ne se défait pas facilement de sa culture… Heureusement mes équipes (largement plus jeunes que moi) sont hyper favorables à mon changement d’appellation… Comme quoi les temps changent en prenant la bonne direction ! »
… Et une fois qu’on a osé, on ne revient plus en arrière!
Mais pour toutes celles qui ont fait ce choix, se faire désormais appeler « directrice » a vraiment du sens :
« Je ne pourrais tout simplement pas avoir » directeur » sur ma carte de visite ! Uniquement symbolique ? Peut être mais les symboles sont importants et contribuent aux images et stéréotypes. » annonce Corinne Hardy, Director, Market & Business Analysis chez Sanofi Pasteur.
« Quand j’ai été embauchée la première fois comme « rédacteur en chef », la première chose que j’ai faite, c’est de changer mon titre en « rédactrice en chef ». Parce que c’est une évidence. » dit Béatrice Toulon.
« Moi je suis directrice depuis ma prise de fonction il y a 10 ans, je ne conçois pas que l’on m’appelle directeur, c’est ainsi! » déclare Stéphanie Rismont, Directrice de la Communication, Danone
« Directrice est un joli titre, quel que soit la fonction qui le complète! alors je vous suis, directrice et fière de l’être!« conclut Valérie Desplanches.
Témoignages compilés par Marie Donzel
* Le prénom a été changé
Comments 8
En réponse à la phrase d’Emma « Quand directrice vaudra la même chose que directeur, alors, pourquoi pas? En attendant… »
je serai tentée de dire en attendant quoi? la St Gllin Glin …Car qu’attendre qui vienne de l’extérieur Emma si ce n’est la reproduction des modèles dans lesquels tout le monde est confortable?
il n’y a que les femmes qui, en imposant leurs mots, simplement et comme une évidence, pourront donner et faire reconnaitre au mot directrice la même valeur qu’à celle du mot directeur.
@bénédicte Il est vrai que la fonction se conjugue au masculin selon les règles de l’Académie mais soyons franches : si on demande à un groupe de 20 personnes de dessiner un directeur, y en aura-t-il une seule qui songera à dessiner une femme parce que directeur est juste une fonction? Bien sûr, rien ne remplacera la réussite d’une femme dans la fonction pour imposer le modèle, mais pourquoi choisir? pourquoi pas les deux?
Se faire appeler directeur n’est-ce pas une reconnaissance de la hiérarchie des sexes, au moins au niveau des mots, en gommant son identité de femme pour prix de l’accession aux étages supérieurs?
Ok va pour Directeur. Pourquoi alors dit on assistante, unE secrétaire, infirmière, puéricultrice, maitresse d’école, institutrice ou encore sage femme?? ETC. Pourrait on masculiniser TOUS LES intitulés du coup s’il vous plait?
ce serait assez fair play,
Merci beaucoup,
Dans mon entreprise, les directeurs et directrices s’appellaient jusqu’il y a peu « Chef de pôle » et « Chef d’activité », règlant le problème. Toutefois, l’intitulé de « Chef » transporte une connotation souvent moins haut placé et plus négative que « Directeur ». Et de fil en aiguille, les chefs sont devenus des directeurs…et des directrices. Quant à moi, je n’ai toujours pas tranché quant à savoir si j’étais « Adjointe au directeur » ou « Directrice adjointe », la deuxième solution comportant bien sûr toutes les connotations évoqués dans cet article. A la lecture de votre article, j’en déduis que je suis peut-être tout simplement directeur adjoint!
loin d etre directrice, je suis chargéE de projet … c est comme ca sur ma carte de visite… mais l administration continue a ecrire sur mes documents officiels chargé de projet…. still a long way to go :)
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