L’incroyable modernité d’Olympe de Gouges à (re)découvrir au théâtre

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Il y a quelques mois, nous vous faisions partager un vrai coup de cœur pour la « bio graphique » de Catel & Bocquet consacrée à Olympe de Gouges. Nous y avions (re)découvert une passionnante figure révolutionnaire dont toute l’existence avait été dédiée à la quête de l’égalité. Entre les hommes et les femmes, oui. Mais entre tou-tes les humain-es, aussi, sans distinction de culture, d’origine, d’âge, de fortune…

Quelle agréable surprise avons-nous eue de retrouver cet automne notre Olympe de Gouges, cette fois-ci sur les planches. C’est dans la petite salle du Guichet Montparnasse, à Paris, que se joue actuellement la pièce inédite « Olympe de Gouges, porteuse d’espoir ».

Le rideau se lève : sur scène, Ghislain Geiger interprète Sébastien, un étudiant qui rédige une thèse sur le féminisme pendant que sa petite-amie court les manifs. Il dit avoir choisi ce sujet pour elle, pour lui faire plaisir, pour se rapprocher de ses centres d’intérêt. Est-ce à dire que le sujet le dépasse ou l’ennuie ? En panne d’inspiration, il laisse son esprit divaguer un instant. Alors, une femme à la frimousse joviale lui apparaît en songe. Elle s’annonce : Olympe de Gouges (interprétée par Annie Vergne) ! Animée d’une énergie flamboyante et d’un désir inaltéré de partager ses combats, cette Olympe imaginaire convoque pour lui l’Olympe du XVIIIè siècle. La poursuite se braque côté cour : en perruque et costume, Juliette Stevez incarne l’Olympe historique.

D’allers retours entre le XVIIIè et le XXIè siècle, de citations des écrits d’Olympe de Gouges en dialogues contemporains, d’intermèdes classiques au piano en extraits des Doors, c’est toute l’incroyable modernité du personnage qui se révèle : une conscience aiguë des enjeux de l’égalité, une préoccupation permanente de justice et de solidarité et plus que tout un infini sens de l’innovation.

Après la représentation, nous avons attendu les comédien-nes à la sortie du théâtre pour les féliciter… Finalement, nous avons passé deux heures avec eux à bavarder autour d’Olympe de Gouges (et d’un verre). Rencontre.

 

Programme EVE : Quelle est la genèse de ce spectacle ?

 

 

 

Annie Vergne : Le projet est parti de Clarissa Palmer, une universitaire franco-anglaise qui a soutenu une thèse en biographie sur Malesherbes et Olympe de Gouges à l’Université de Buckingham. Ensemble, nous avons décidé d’utiliser toute cette formidable matière historique qu’elle avait rassemblée pour écrire une pièce et faire mieux connaître Olympe de Gouges au grand public.

 

Programme EVE : Que vous a appris Olympe au cours de ce travail d’écriture puis de mise en scène de la pièce ?

 

Ghislain Geiger : Je ne connaissais pas plus que ça Olympe de Gouges avant de lire la pièce. Je l’ai découverte elle, mais j’ai surtout pris conscience, à travers tout le travail que Clarissa et Annie ont fait, de sa modernité… Mais aussi du fait que la plupart des évolutions en matière d’égalité hommes/femmes sont très récentes, datent essentiellement de la deuxième moitié du XXè siècle, alors qu’Olympe les proposait déjà clairement, très concrètement, il y a deux siècles !

Juliette Stevez : Moi, je connaissais la féministe… Mais pas l’humaniste. Je ne soupçonnais pas qu’elle s’était intéressée à tant de choses, qu’elle avait écrit sur tant de sujets, que toutes les questions d’égalité la préoccupaient, pas seulement la condition des femmes.

Ghislain Geiger : Oui, par exemple, elle a été précurseure (ou précurseuse, précurs… rice, comment faut-il dire?) sur l’abolition de l’esclavage

Juliette Stevez : Parce que pour elle, c’est de l’équité entre les humains que découlait l’égalité hommes/femmes

 

Programme EVE : Vous, Juliette, qui jouez la « vraie » Olympe, celle qui a vécu au XVIIIè siècle, comment la percevez-vous ?

 

Juliette Stevez : Elle m’habite. Ce qui me fascine le plus, c’est son évidence et sa générosité. C’est une femme qui déborde de tout : d’énergie, d’idées, de projets… Et puis, c’est une vraie courageuse, elle est tout sauf lâche. Elle fait ce qu’elle dit. Elle prend ses responsabilités. D’ailleurs, il y a un trait de sa personnalité qui me touche tout particulièrement : c’est quelqu’un qui reconnaît ses erreurs. Elle est humaine, elle assume qu’elle n’est pas parfaite en tout. Elle est impatiente, impulsive, excessive, avec nos mots d’aujourd’hui, on dirait borderline… D’ailleurs, être tous azimuts comme ça lui a coûté cher : elle a parfois été « inappropriée », toute à son énergie, toute à son urgence d’agir, elle n’a pas flatté les milieux de son époque, elle n’a rien calculé, elle n’a pas été stratège…

Annie Vergne : C’est vrai, et pourtant, ce dont elle rêvait, c’était justement d’être admise dans les cercles intellectuels parisiens. Elle venait de Montauban, elle avait débarquée à Paris avec un gros accent occitan, elle faisait beaucoup de fautes d’orthographe, manquait d’instruction. Alors, ils l’ont moquée. Elle n’était conforme en rien

 

Programme EVE : Et vous Ghislain, qui interprétez le personnage de Sébastien, l’étudiant mal dans ses baskets qui fait une thèse sur Olympe de Gouges pour faire plaisir à sa copine, comment percevez-vous votre personnage ?

 

Ghislain Geiger : Mon personnage est intéressant car c’est quelqu’un qui est en train de prendre conscience. Au départ, il pense qu’on doit faire les choses pour lui : il déplore la faim dans le monde, l’injustice, la pauvreté, les inégalités, mais il ne considère pas que c’est à lui d’agir. Il compte sur sa copine pour faire tout ça à sa place et aussi pour s’occuper de lui, jusqu’à lui trouver son sujet de thèse. Mais parce que l’Olympe qui apparaît dans son imaginaire lui révèle qu’il peut être lui-même acteur de changement, son regard se transforme. Il devient moins égoïste et il s’approprie le désir d’une société plus juste, plus égalitaire.

Juliette Stevez : Le personnage de Sébastien est dans un entre-deux, dans lequel sont beaucoup d’hommes aujourd’hui : il en sait déjà trop sur les inégalités pour faire comme si ce n’était pas un problème, mais il n’en sait pas encore assez pour en faire son propre combat. C’est très déstabilisant pour lui. Il a besoin d’aller au bout de la question, de se plonger vraiment dans cette réflexion pour trouver un autre équilibre. Il n’a plus le choix, il ne peut plus s’aveugler, il est obligé de prendre ses responsabilités. Il fait sa mue au cours de la pièce, c’est je trouve, un des plus beaux messages de notre « Olympe porteuse d’espoir ».

Annie Vergne : oui, parce que c’est exactement ça, Olympe est une femme qui ouvre la porte à plein d’espoirs, à tout un horizon des possibles…

 

Propos recueillis par Marie Donzel et Catherine Thibaux