Laurent Depond, Directeur de la Diversité d’Orange : « La diversité est stratégique pour l’entreprise, elle représente des leviers de performance majeurs. »

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Laurent Depond est directeur de la Diversité d’Orange. Après un parcours de consultant en stratégie et de cadre dirigeant dans la filière mobile de France-Télécom/Orange, il est désormais à la tête d’une des directions les plus stratégiques de son groupe. 

Fin connaisseur de la relation humaine comme du fonctionnement des organisations, il défend inlassablement l’idée que la diversité des ressources recèle de formidables leviers de performance.

Son expertise de toutes les dimensions du sujet, ses arguments économiques forts, son état d’esprit optimiste et son tempérament communicatif (et volontiers espiègle) font de Laurent Depond l’un des plus brillants ambassadeurs de la diversité en entreprise.

Rencontre passionnante avec un passionné… De l’humain.

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Programme EVE : Bonjour Laurent. Vous êtes à la tête de la Diversité, chez Orange. C’est un métier assez « neuf ». On imagine que vous n’avez pas débuté votre carrière à de telles fonctions… Alors, quel parcours vous y a mené?

Laurent Depond : Un parcours atypique, forcément. Après une école de commerce, j’ai débuté comme Consultant en organisation et stratégie puis j’ai dirigé un cabinet de conseil spécialisé dans la modélisation des comportements. En 1999, j’ai rejoint le groupe France Télécom, à un poste de développement de la stratégie d’une filiale. Quand la filiale a été absorbée, on m’a proposé la stratégie « relations clients mobiles d’Orange ». Il y avait tout à faire, souvenez-vous du début des années 2000, les utilisateurs de téléphone portable avaient des choses à dire sur leurs (mauvaises) relations avec leur opérateur! En un an, nous avons gagné 20 points de satisfaction clients.

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Programme EVE : Ca fait rêver… Comment obtient-on de tels résultats si rapidement?

Laurent Depond : En fondant la satisfaction des clients sur la satisfaction des collaborateurs. C’est une règle générale, mais qui prend un vrai caractère d’urgence à l’ère du numérique. Tout se propage plus vite, tout est plus direct, plus brutal parfois aussi. Le collaborateur est au centre, quand le téléphone sonne dans tous les sens, parce qu’il y a un bug, il a tôt fait d’être dans la panique et dans la souffrance, celle de ne pouvoir donner de réponse, de ne pas avoir les moyens de satisfaire. J’ai donc travaillé à ce que les collaborateurs soient bien, à ce qu’ils aient des conditions sereines pour exercer, à ce qu’ils aient eux-même des réponses quand ils étaient toute la journée en situation de devoir en donner.

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Programme EVE : Et après cette expérience réussie à la « satisfaction clients »… 

Laurent Depond : Après, on m’a offert la direction de la communication d’Orange mobile. Une mission enthousiasmante mais qui a pris un tournant particulier avec la fusion des organisations. En l’occurrence, c’est à ce moment que la DRH m’a appelé pour me faire une nouvelle proposition : « Il y a un truc là, bon, c’est très important, très stratégique, mais tout est à inventer et il n’y a pas de gros moyens : c’est la diversité« .

Ce que je voyais ailleurs, dans d’autres entreprises, c’est qu’on confiait la diversité soit à des seniors en fin de carrière, comme un bâton de maréchal, soit à des jeunes qui sortaient de l’école. J’ai compris que si on envisageait de placer un cadre dirigeant expérimenté à cette fonction, c’est qu’elle était effectivement stratégique et que le groupe y avait une énorme carte à jouer, que c’était un vrai challenge à relever.

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Programme EVE : Un vrai challenge, mais avec des moyens assez restreints… 

Laurent Depond : Je suis parti de zéro, en effet, j’ai réfléchi à tous les leviers de performance économique que la diversité pouvait représenter pour le groupe et je me suis attelé à trouver des solutions pour les actionner.

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Programme EVE : Alors, ces leviers de performance induits par la diversité, quels sont-ils?

Laurent Depond : Nous en avons identifié cinq. En premier, il y a le levier humain, c’est la mobilisation et l’engagement de collaborateurs. Le second, c’est l’attractivité du groupe, avec une forte dimension « marque employeur » et un objectif de fidélisation des talents. Le troisième, c’est la productivité. Vous savez qu’elle baisse de 44% chez un senior qui ne se sent pas reconnu dans l’entreprise? C’est un exemple parmi d’autres, mais on retrouve de tels niveaux de déperdition de productivité chez toutes les catégories de personnes qui se sentent en souffrance dans un milieu qu’elles ne perçoivent pas comme inclusif.

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Programme EVE : Le 4è ces leviers, c’est… 

Laurent Depond : Le quatrième, c’est la relation clients. Pour comprendre les attentes de nos clients, il faut que nous leur ressemblions. Nos clients ne sont pas tous des hommes blancs d’âge moyen qui ont fait une école d’ingénieur, tant s’en faut! J’aime à citer un exemple très parlant d’innovation remarquable qui a fait un flop retentissant parce que personne n’avait pensé à raisonner en « expérience client » : c’est le lancement raté du « visiophone ». Technologiquement, c’était une merveille. Du point de vue marketing, c’était a priori un bon concept, qui faisait fantasmer depuis l’invention du téléphone. Sauf qu’on avait oublié que 70% des décisions d’achats en téléphonie mobile sont prises par les femmes et que beaucoup d’entre elles n’ont pas forcément envie d’être vues par leur interlocuteur en toutes circonstances. Si dans l’équipe du « visiophone », on avait eu d’autres profils que des ingénieurs seniors dans l’ensemble assez peu préoccupés de leur apparence, on se serait peut-être demandé si les gens avaient vraiment envie qu’on les voit à l’écran quand ils décrochaient le téléphone au saut du lit. Pas que les femmes, d’ailleurs…

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Programme EVE : Et le 5è levier de performance associé à la diversité… 

Laurent Depond : Le cinquième, c’est l’exemplarité. C’est une question d’image de marque. C’est important pour les 4 leviers précédents, mais ça recouvre aussi en soi des enjeux économiques et financiers énormes. La marque Orange vaut des milliards. Il faut imaginer ce que serait l’impact d’un procès pour discrimination ou même d’une atteinte à sa réputation. Un scandale autour des questions ethno-raciales, comme par exemple, celui qu’a connu une grande marque de parfum malgré elle, à cause des propos d’un ancien dirigeant qui n’avait pourtant plus part à l’entreprise, c’est 2 à 8% de perte de valeur pour une marque.

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Programme EVE : C’est un cas critique et je comprends bien que les entreprises soient soucieuses de s’éviter ce genre de mauvaise publicité. Mais on voit qu’aujourd’hui, la diversité, ça va bien au-delà de la communication d’image… 

Laurent Depond : Assurément, en sus des leviers que j’ai cités, la diversité est au coeur d’enjeux nouveaux pour les entreprises. D’abord, en termes d’innovation : aujourd’hui, pour innover, il faut de l’agilité, nous avons besoin de gens capables de capter les signaux faibles. Ensuite, c’est une problématique aiguë de marché des talents : il y a un déficit de 300 000 ingénieurs en Europe de l’Ouest, il va bien falloir les trouver ailleurs et/ou en former par des voies autres que traditionnelles. Il y a aussi une question très complexe, c’est celle de la prise de décision : il apparait que pour les instances de direction remplissent leur rôle, celui de décider des orientations qui impliquent parfois des centaines de milliers de gens, il faut qu’il s’y exerce de la contradiction. Sur ce point, on observe des résultats très probants quand on inclut plus de non-nationaux et de femmes dans les CA et les COMEX. On fait vraiment vraiment bouger les lignes dans le process de prise de décision.

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Programme EVE : C’est une observation qui va dans le sens des quotas de femmes dirigeantes… Mais avant de prendre parti pour cette méthode ou pour une autre, comment expliquez-vous que rendre accessibles les instances de décision aux femmes rende ces instances plus performantes?

Laurent Depond : La prise de décision et le leadership se jouent dans la culture des individus, dans ce qu’ils apportent au-delà de leurs compétences et dans ce qu’ils assument d’eux-mêmes. Si on fait des raccourcis, on dit « les femmes sont plus intuitives, alors mettons-en dans les COMEX et ces instances prendront plus de décisions de bon sens« . Mais ce n’est pas le raccourci le plus intéressant, le cheminement est en réalité différent et nettement plus riche. En assumant une part d’intuition, les femmes donnent de la légitimité à ce critère de décision et permettent aussi aux hommes d’assumer leur propre part d’intuition. Ca va dans les deux sens, d’ailleurs : au contact des hommes qui décident, les femmes assument d’autres choses d’elles-mêmes que les qualités stéréotypées qu’on leur assigne.

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Programme EVE : Il y a quand même une question qu’on est en droit de se poser en matière de diversité : concrètement, comment ça marche? Comment ça déclenche de la performance? Surtout dans un contexte où s’expriment aussi des résistances à la diversité… 

Laurent Depond : On est en droit de poser cette question et elle est même très pertinente. En croisant le critère de diversité et la qualité du management, les études permettent de distinguer trois types de situations : celle d’une équipe diverse mal managée, celle d’une équipe peu diverse bien managée et celle d’une équipe diverse bien managée. La première situation (équipe diverse/mal managée) ne produit pas les effets escomptés sur la performance, on est dans le cas d’une équipe qui comprend mal l’apport de la diversité, voire qui la ressent comme une contrainte. La seconde situation (peu de diversité/bon management) débouche sur un plafonnement rapide de la performance, c’est vraisemblablement le manque de diversité qui fait frein. Dans la troisième situation (diversité/management de qualité), on monte rapidement et haut en performance. On peut en conclure non seulement qu’une équipe diverse et bien managée est un gage de réussite, mais surtout que ça se joue dans la perception qu’a une équipe que la diversité est quelque chose de positif.

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Programme EVE : C’est cette prise de conscience que la diversité est positive, qui est déterminane ?

Les tests d’association implicites permettent de faire prendre conscience des biais décisionnels

Laurent Depond : Oui, c’est clé. Une fois qu’on a dit ça, la question, c’est comment on manage bien la diversité, c’est à dire comment convainc et comment on essaime. C’est assez subtil, il faut faire prendre conscience aux gens qu’ils ont des biais décisionnels, sans les stigmatiser pour autant. Parce que des biais, nous en avons tous, nous sommes tous gênés par quelque chose. Chez Orange, nous faisons passer un test d’associations implicites à toutes les personnes susceptibles de recruter, pour déclencher la prise de conscience des biais (sur l’apparence, sur les signes extérieurs d’appartenance ou d’origine…) afin de les former ensuite à limiter l’impact de ces biais. Ca revient à apprendre, pour chacun de nous, à raisonner différemment, à prendre toute question qui se pose par un angle autre que celui auquel on est habitué. Ca va jusqu’à défier la question elle-même, jusqu’à se demander si elle « bien posée » avant même de commencer à y répondre. « Challengez la question! », ça c’est quelque chose que j’ai retenu d’EVE

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Programme EVE : Vous avez effectivement participé à EVE en 2011. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans ce séminaire?

Thomas d’Ansembourg à EVE 2012

Laurent Depond : A titre personnel, j’en garde avant tout le souvenir d’un grand moment de plaisir. Des échanges, des rencontres, de la diversité des visions et des inspirations… D’EVE, Je suis aussi revenu plus optimiste. J’en ai un peu fini, depuis, de l’approche franchouillarde du verre à moitié vide. Je suis passé du côté du verre à moitié plein. De l’atelier de Thomas d’Ansembourg, j’ai retenu un vrai principe de vie que je m’applique désormais : lister chaque jour trois belles choses que j’ai accomplies ou auxquelles j’ai participé. Le soir où je suis rentré d’Evian, j’ai proposé à ma fille qu’elle en fasse autant. Bon, sa première réaction, ç’a été « T’as fumé quoi, papa, là-bas? » (rire). Mais maintenant qu’elle voit que le coup des « trois bonnes choses », ça a pour corollaire un père moins focalisé sur les notes et globalement mieux capable de relativiser les contrariétés, elle voit clairement ce qu’EVE m’a apporté et tous les bénéfices indirects pour mon entourage!

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Programme EVE : Ce qu’on transmet à son environnement après le séminaire, c’est justement un véritable enjeu pour le Programme EVE, c’est même une mission… 

Laurent Depond : C’est bien la raison pour laquelle, dans un groupe comme Orange qui compte 105 000 collaborateurs rien que pour la France, nous avons commencé par envoyer à EVE des personnes identifiées pour leur exemplarité et leur forte capacité de multiplication. Ce sont des personnes capables d’essaimer, de transmettre, de convaincre, de porter le changement, de diffuser l’énergie formidable d’ EVE. Tiens, en vous en parlant, je me dis que j’aimerais bien redoubler EVE, moi…

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(Sur ce mot, nous avons laissé Laurent Depond filer. Il était attendu au Conseil d’Administration du Laboratoire l’Egalité, pour aborder notamment la tenue d’une table ronde sur l’engagement des hommes en faveur de l’égalité professionnelle…)

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Propos recueillis par Marie Donzel