La charge émotionnelle au travail, on en parle !

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Après la « charge mentale », voilà qu’on entend de plus en plus parler de la « charge émotionnelle » qui elle aussi toucherait davantage les femmes.  En quoi consiste exactement cette « charge émotionnelle » ? Est-elle si genrée qu’on le pense ?  Et comment les organisations peuvent-elles s’emparer du sujet ? On en parle !

 La « manipulation des émotions » : une compétence invisibilisée

Le concept de « charge émotionnelle » a été introduit par la sociologue américaine Arlie Russell Hochschild en 1983 afin de révéler un phénomène invisibilisé dans le travail. En observant les nouveaux secteurs des industries de services qui requièrent de la relation client, des soins de santé, du service à la personne, et de l’enseignement, Hocshild a observé que certaines professions demandaient la « manipulation » des émotions comme compétence centrale du travail.

Cela implique l’exhibition de signaux affectifs spécifiques telles que la convivialité, l’enthousiasme ou la patience, quel que soit l’état émotionnel réel des travailleur·euses. Par ailleurs, cette gestion émotionnelle se traduit par une maîtrise de soi, permettant de répondre prioritairement aux attentes des autres, comme la suppression d’émotions négatives telles que la frustration ou la répression des signaux de la colère, de la peur, du dégoût…

Une compétence « féminine » ?

Cette compétence professionnelle n’est cependant pas neutre puisqu’elle se place dans un contexte sociétal genré. Les études de genre montrent en effet que lors du processus de socialisation, les petites filles sont davantage éduquées à exprimer leurs sentiments, à se tourner vers les autres, tandis qu’on apprend davantage aux futurs hommes à refouler leurs émotions pour manifester une certaine force mentale réputée indispensable à l’ambition. Même si aujourd’hui ces stéréotypes sont dénoncés, ils continuent d’être véhiculés implicitement à travers nos normes et la culture sociale.

Puisque la gestion de la charge émotionnelle est perçue comme “innée” aux femmes, elle n’est pas incluse dans les formations aux métiers et ces dernières se retrouvent davantage embauchées dans les postes qui la sollicitent sans être toujours bien outillées pour y faire face. On retrouve en effet majoritairement des femmes dans les métiers du social, du relationnel client, de la formation, à hauteur de 75% selon l’INSEE.

Mais en quoi cette division du travail est-elle un marqueur d’inégalité ? La philosophe et professeure de l’éducation Nicole Mosconi explique que le fait d’invisibiliser certaines compétences en les considérant comme naturelles aux femmes s’accompagne d’une stigmatisation et baisse de leur valeur, par rapport à celles associées aux hommes. Les métiers féminisés subissent donc une dévalorisation générale, souffrant d’une moindre reconnaissance sociale et d’une rémunération inférieure par rapport aux professions majoritairement occupées par des hommes.

Ces inégalités sont également présentes à l’échelle d’une organisation, dans laquelle la charge affective est souvent répartie de façon disproportionnée entre collaborateurs femmes et hommes. C’est majoritairement les femmes qui prennent la responsabilité de la stabilisation émotionnelle et du bien-être du groupe à travers le « glue work », en réalisant des tâches variées mais essentielles qui mobilisent leur temps et leur énergie. Celles-ci peuvent concerner la médiation des conflits, l’organisation de cagnotte pour un pot de départ, ou la décoration des lieux. Il est souvent attendu de façon implicite que ces actions soient effectuées par des femmes, et elles ne suscitent souvent pas de reconnaissance.

Le travail affectif : une dimension essentielle du bien-être au travail

 Selon l’expert en psychologie Daniel Goleman, l’intelligence émotionnelle représenterait 80 % du succès dans la vie professionnelle. La capacité à comprendre et à accueillir les émotions est un facteur déterminant dans la prise de décision, la gestion des relations interpersonnelles et la résilience. Elle permet également d’assurer la présence d’un environnement de travail plus harmonieux, productif et épanouissant, et favorise donc le bien être général.

Pourtant, si ce travail affectif pas réalisé, s’il fait l’objet d’une mauvaise répartition entre les collaborateur·ices ou s’il est trop lourd, il peut entrainer des effets néfastes sur le travail. La surcharge émotionnelle ou la dissonance émotionnelle peuvent contribuer à l’augmentation des risques psycho-sociaux (épuisement psychique, en particulier) et à la dégradation de la santé mentale des travailleur·euses.

Un enjeu collectif dont les organisations doivent s’emparer

 La gestion de la charge émotionnelle au travail n’est pas seulement une question individuelle. C’est véritablement un enjeu collectif. Si les organisations prennent conscience de l’importance de l’intelligence émotionnelle et reconnaissent le poids de sa charge sur la santé mentale des salarié·es, elle pourra être transformée en une ressource bénéfique pour l’ensemble de l’organisation. En abordant ce sujet au prisme des inégalités de genre, et en développant des pratiques de gestion plus inclusives et respectueuses des émotions de chacun, il est possible de créer des environnements de travail où celles-ci sont non seulement acceptées, mais valorisées et sanctionnées par des marqueurs de progression (promotion, augmentation, primes…).

Concrètement, cela signifie d’abord qu’il est important et urgent de former l’ensemble des collaborateur·ices à l’accueil des émotions. Il parait tout particulièrement stratégique de sensibiliser le management à cette dimension et de l’outiller pour piloter la charge émotionnelle avec un sérieux équivalent à celui que l’on réserve à la charge de travail qui se matérialise par du temps mis à disposition. Ici, il ne s’agit pas de « donner du temps » mais de « donner de soi ». C’est probablement beaucoup plus impliquant tout en étant nettement moins convertible sous la forme d’indicateurs chiffrés. Malgré cela, il convient a minima d’engager régulièrement la conversation sur la charge émotionnelle, de la traiter avec une considération toute professionnelle et de veiller aux signaux qui pourraient indiquer qu’elle est excessive.

 

Charlotte Foulon avec Marie Donzel, pour le webmagazine EVE

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