Les investisseurs sont-ils piqués par le virus de la parité ? On en parle !

Eve, Le Blog Dernières contributions, Responsabilité Sociale

L’écosystème du financement des entreprises a connu une (pas si) petite révolution en 2022 : cette année-là, les fonds ont davantage investi en série A dans les start-ups ayant des équipes mixtes à leur tête que dans des start-ups dirigées par des équipes exclusivement masculines ! Les investisseurs auraient-ils été (enfin) piqués par le virus de la parité ? Si c’est bien le cas, vont-ils le transmettre à l’ensemble du tissu des entreprises ? On en parle !

La montée en puissance des critères ESG

Pour prendre leurs décisions de financer ou non un projet, les investisseurs analysent le dossier selon une série de critères permettant d’évaluer le potentiel de retour sur investissement. Il y a les critères financiers stricto sensu et puis des critères extrafinanciers. Parmi les critères extrafinanciers, certains tiennent au leadership des porteurs du projet et relèvent de l’affectio sociatis (qu’on pourrait traduire par la confiance qu’inspirent les leaders), d’autres se rapportent à la culture d’entreprise ou à la politique d’anticipation des nouveaux risques. Et puis, parmi les critères extrafinanciers, il y a les critères ESG. E, pour environnement. S, pour social. G, pour gouvernance.

La parité de l’équipe dirigeante s’inscrit dans le G de gouvernance, aux côtés de l’indépendance du conseil d’administration, de la lutte contre la corruption, des modalités de prises de décision… Mais on retrouve aussi l’enjeu d’égalité professionnelle femmes/hommes dans le S de social, avec l’ensemble des dispositifs d’inclusion, les conditions de travail ou les politiques de développement des compétences.

Les critères ESG connaissent une formidable montée en puissance : en 2019, 18% des investisseurs les prenaient en compte ; ils sont aujourd’hui 72% à les intégrer à leur grille d’analyse des dossiers. Sous l’angle ESG, la première chose qui saute aux yeux des investisseurs, c’est la composition de l’équipe dirigeante de l’entreprise en quête de financements. Il n’y a qu’un pas à franchir pour que ces investisseurs conditionnent leur apport financier à la mixité du leadership. Certains le font, imposant des clauses de parité aux entreprises sur lesquelles ils misent.

Mais pourquoi les investisseurs se soucient-ils de la mixité ?

Quelle mouche a donc bien pu piquer ces pros du chiffre, ces experts millimétriques de la mesure du ROI, ces princes de la rigueur comptable dont on dit qu’ils n’ont pas vraiment l’habitude de faire dans les sentiments ?

Première piste : les textes légaux (quotas, index d’égalité professionnelle, lois anti-discrimination, directive européenne sur la transparence salariale…) produisent leur effet. La compliance est scrutée de près par les investisseurs qui ont gros à perdre quand ils sont mouillés d’une façon ou d’une autre dans une affaire de violation de la règlementation : ils peuvent y laisser leur droit à collecter et gérer l’argent des placements, perdre des accréditations et voir leur réputation dégradée dans un environnement où la confiance des parties prenantes est un actif de premier plan. Les lois en faveur de l’égalité de genre dans les entreprises ne sont pas nouvelles, mais leur application est désormais nettement plus rigoureusement observée par les pouvoirs publics, les médias et les citoyen·nes. Les investisseurs craignent-ils qu’un jour, un CoDir non-paritaire ou des écarts de salaires discriminatoires soient aussi embarrassants qu’un acte de corruption ou un délit d’initié ?

Deuxième piste : les investisseurs ont lu l’abondante documentation désormais disponible sur les liens entre mixité et performance. La mixité est corrélée à des décisions plus robustes, un potentiel d’innovation plus élevé, une gestion plus saine, des perspectives de développement plus durables etc. Pour un investisseur, c’est un programme plutôt tentant.

Troisième piste : la non-mixité est de plus en plus perçue comme un risque. Quand on est investisseur, on préfère toujours les risques maîtrisés ! Sur le marché des talents, par exemple, il semble dorénavant impossible de se passer d’une politique d’inclusion si l’on veut attirer les candidat·e·s et fidéliser les salarié·e·s des nouvelles générations. Selon un récent rapport, 76% des salarié·e·s envisageraient de quitter leur entreprise si celle-ci montrait des disparités salariales femmes/hommes injustifiées. Le même rapport indique que 25 % des femmes démissionnaires citent le manque d’engagement de leur boîte en faveur de l’égalité de genre parmi les motifs de leur décision de changer de crèmerie. D’autres risques sont pointés : le risque réputationnel au cas où une entreprise entretenant tranquillement une culture sexiste venait à être name-shamée sur les réseaux et boycottée par la clientèle ; les risques psychosociaux, effectivement plus élevés dans les boîtes souffrant d’un déficit de diversité et qui peuvent engendrer des coûts directs et indirects et durablement déstabiliser une entreprise.

L’investissement comme moteur de la mixité dans les entreprises… Jusqu’à un certain point !

La prise de conscience est là, en témoigne le chiffre frappant sorti de l’étude BCG-Sista : les start-ups qui ont des équipes mixtes à leur tête ont des chances 1,4 fois supérieures d’obtenir des financements par rapport aux start-ups dont l’équipe dirigeante est exclusivement masculine. Mais il faut y apporter deux nuances :

1/ Si l’on prend les montants totaux investis, les équipes strictement masculines captent 88% du financement. Pour le comprendre, il faut distinguer les « séries » :

– une levée de fonds en seed ou en série A permet de financer la phase d’amorçage et d’optimisation. On peut en estimer le montant entre 1M et 5M d’euros.

– une série B correspond aux premières étapes du changement d’échelle : on donne à l’entreprise les moyens de son développement commercial. Les montants avoisinent les 5M à 10M d’euros.

– en série C, on vise haut et on voit loin : l’entreprise s’industrialise, acquiert des concurrents, s’implante à l’international. Les montants de financement peuvent s’envoler.

Les équipes féminines et les équipes mixtes sont principalement représentées en seed et séries A, donc même si elles sont nombreuses, elles cumulent des montants de financement relativement faibles. En revanche, en séries B et C, les entreprises représentées par des équipes 100 % masculines sont sur-représentées. Donc, les grosses sommes partent aux entreprises fondées et dirigées par des hommes.

2/ Même si les équipes mixtes sont celles qui ont le plus de chances d’être financées, les équipes strictement masculines les suivent de près pour ce qui concerne le pouvoir de séduction exercée sur les investisseurs. En revanche, les équipes strictement féminines décrochent carrément : leurs chances de lever des fonds sont 4,3 fois inférieures à celles des équipes composées à 100% d’hommes. Autrement dit, une équipe masculine a déjà de grandes chances de convaincre les financeurs et elle peut aller chercher un peu plus en accueillant une ou deux femmes en son sein. Mais une équipe féminine accuse trop de retard dans ses capacités à séduire les investisseurs pour que rameuter un homme à la dernière minute avant le pitch lui permette de renverser la vapeur.

Le plafond de verre était d’argent

Pour comprendre la permanence d’une préférence des acteurs du financement pour les entreprises dirigées par des hommes, il faut convoquer l’ensemble des mécanismes à l’œuvre dans le plafond de verre.

Pour commencer, la question des secteurs d’activité. Les femmes entreprennent majoritairement dans des secteurs à moindre potentiel de valorisation financière. Elles comptent pour 74% des entrepreneur·e·s dans les secteurs de la santé et de l’action sociale, pour 71% dans les services aux particuliers et 52% dans les services aux entreprises. Elles ne sont que 26% dans les secteurs de la communication et de l’information et seulement 3% parmi les détenteurs de logiciels.

Ensuite, le sujet de l’ambition. Les entrepreneuses sont deux fois plus nombreuses à être auto-entrepreneuses que créatrices de sociétés. En d’autres termes, la plupart ne créent que leur propre emploi et pour 70% de celles-ci, elles dégagent un chiffre d’affaires inférieur à 50 000 €/an. Est-il utile de préciser que celles-ci ne sont pas dans le radar des investisseurs ? Pas tellement dans celui des banques non plus puisque 75% d’entre elles ont recours au financement personnel pour se lancer et à l’autofinancement pour faire tourner leur affaire. Aussi, le chiffre de 39% de femmes parmi les entrepreneuses est un peu un miroir aux alouettes : quand on le ramène à une population susceptible d’intégrer l’écosystème du financement des entreprises à fort potentiel de croissance, les femmes ne comptent plus que pour 10% à peine.

Des biais de genre chez les acteurs du financement ?

Mais tout de même, est-on sûr à 100% que les acteurs du financement sont libérés de toute forme de biais de genre ! Quand on sait que cognitivement, nous sommes toutes et tous impactés par les stéréotypes et que culturellement, nous baignons toutes et tous dans un environnement de valence différentielle des sexes, ce serait surprenant qu’ils y échappent mieux que le reste de la population !

Trêve d’ironie, le monde de la finance se conscientise de plus en plus sur les biais. Il commence par regarder la place des femmes dans ses propres rangs. 2% de banque dirigées par des femmes à l’échelle mondiale, ça déprime. 6% de CEO femmes dans le secteur de la finance, pas terrible. 9% de femmes parmi les business angels, pas génial. 23% de femmes dans les ComEx des sociétés de la finance (et 19% de ComEx du secteur qui ne comptent pas une femme), peut mieux faire. 27% de femmes dans les équipes d’investissement des sociétés de private equity, c’est trop juste.

Mais les choses bougent : France Invest a lancé en 2020 une charte pour favoriser la parité femmes/hommes dans le capital investissement assortie d’un baromètre régulier pour mesurer les progrès. La dernière édition de ce baromètre indique que 90% des dirigeants du secteur capital-investissement attendent des effets positifs de la parité. Une autre étude indique que 60% des acteurs de la fintech estiment que plus de mixité dans les métiers de la finance pourra contribuer à réduire les risques de biais décisionnels dans l’analyse des dossiers. Tous les espoirs sont permis !

Toutes les sources des chiffres à retrouver ici.

Marie Donzel, pour le webmagazine EVE

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