L’engagement. À l’heure où les activistes féministes et écologiques ont tendance à devenir les nouveaux influenceurs, l’engagement semble avoir le vent en poupe. Mais que signifie réellement « être engagé » ? Est-ce toujours une bonne chose ? Les combats que l’on mène lorsque l’on s’engage pour une ou plusieurs causes ne risquent-ils pas de nous perdre parfois ? À l’inverse, une personne qui ne s’engage pas ou peu dans le cadre de son activité professionnelle est-elle utile à l’entreprise et ne risque-t-elle pas de se démotiver ? Petit tour d’horizon de la notion d’engagement.
L’engagement, au fil du temps
Concrètement, c’est quoi l’engagement ? Au cours de l’histoire, ce concept a pris différentes dimensions. Le mot apparaît en ancien français au XIIe siècle et signifie « action de mettre quelque chose en gage ». Il n’y a donc pas d’engagement sans contrepartie. Un siècle plus tard, la notion d’engagement s’assouplit un peu et devient l’« action de se lier par une promesse » que l’on fait à soi-même ou aux autres.
Puis au 17e siècle, une personne engagée l’est « dans une liaison avec des obligations »… pour devenir « une personne engagée dans une situation sociale avec des obligations » quelques décennies plus tard. Enfin, au milieu du XXème siècle, l’engagement est le fait de personnes qui mettent leur « pensée, [leur] art, [leurs] actions au service d’une cause”. En quelques siècles, ce mot qui sous-tendait l’existence d’une dette envers autrui s’est peu à peu transformé pour devenir l’illustration du don de soi pour quelque chose qui nous dépasse.
Lorsqu’on évoque l’engagement, il nous vient souvent à l’esprit le lien qui unit deux personnes, dans le cadre d’une relation interpersonnelle ou amoureuse. On retrouve d’ailleurs ce terme en anglais pour signifier “fiançailles”… Il n’est pas rare d’entendre : « il ou elle a peur de s’engager » ou « ils s’engagent enfin », comme si l’engagement était une fin en soi. Pourtant, il est loin d’être une évidence et demande à celle ou celui qui se lance une certaine prise de risque requérant du courage, associée à l’acceptation qu’une part de soi-même ne peut s’accomplir qu’à travers lui. Pas si simple donc ! On peut s’engager pour soi-même, envers une cause ou encore dans une activité professionnelle.
L’engagement s’est donc immiscé dans nos vies, quitte à devenir une valeur essentielle pour évaluer la savoir être d’un individu à travers son implication. Car il ne suffit plus d’être motivé, il faut dorénavant être engagé individuellement au service du collectif et cela en ayant « la volonté de réussite et de dépasser les limites du possible. » De l’engagement docile et contraint, les différents travaux sur le management et le leadership ont permis progressivement de réfléchir à un engagement sain, autonome et plus responsable des individus autour d’un projet qui fait sens et source d’épanouissement personnel. On parle alors d’empowerment : « être soi pour pouvoir agir ».
Il y a un lien certain entre un individu et ses actes, « et plus précisément ses actes comportementaux ». Et ce lien, c’est l’engagement ! C’est ce que la Théorie de l’engagement portée par le Professeur Kiesler tend à démontrer. L’engagement vient résoudre une dissonance cognitive entre nos attitudes (convictions, opinions…) et nos comportements. Lorsqu’une situation donnée crée des contradictions, celles-ci nous poussent à agir. En d’autres termes, un individu ne s’engage que par ses actes et non par ses idées ou ses opinions, et le lien entre l’individu et ses actes est soumis à des « degrés de nuances » :
- « fortement engagé (condition de libre décision),
- faiblement engagé (condition de décision forcée),
- ou pas engagé du tout »
Le niveau d’engagement varie donc d’une personne à l’autre mais également d’une situation à l’autre ou d’un projet à l’autre, notamment dans la sphère professionnelle. S’intéresser à la notion d’engagement, c’est aussi décrire les contours du sur-engagement ou du non-engagement. En effet, quel employeur ne fantasme pas sur des collaborateurs engagés et donc plus productifs ? Quel employé n’a pas envie de s’investir pleinement dans l’activité où il passe les trois-quarts de son temps ? La question reste la délimitation de cet engagement, qui – s’il est trop fort ou trop faible – peut se révéler néfaste.
Le sur-engagement
Aujourd’hui, il n’est pas rare d’admirer une personne qui enchaîne les heures supplémentaires, les manifestations contre les violences policières et les Zooms du soir pour accompagner la transition écologique. Le sur-engagement est très valorisé, alors même qu’il n’est pas sans danger pour la personne concernée par cette implication à outrance, souvent au point de s’oublier et d’être sujette au burn-out, par exemple. Les frontières entre engagement et sur-engagement sont poreuses et il est souvent impossible de se rendre compte seul que l’on bascule dans l’excès.
Là où l’engagement est la réunion de trois facteurs : l’enthousiasme lié à son travail (et/ou à son organisation et/ou à sa mission), la persévérance et « la capacité à accepter les aspects perçus comme négatifs de son travail », le sur-engagement consiste davantage, quant à lui, à développer un « intérêt prépondérant pour son travail », à négliger sa vie personnelle et à persister de manière compulsive dans les tâches professionnelles… D’où l’importance de comprendre les motivations à ce sur-engagement, de poser les limites et de savoir faire preuve « d’égoïsme sain » afin de se protéger.
Le non-engagement
En politique, le nom composé non-engagement (politique de neutralité) est apparu en 1949. Ce concept s’oppose au sens « action de se lier par une promesse ». Qu’en est-il concrètement dans le monde du travail ? Le non-engagement, ou désengagement « se situe à la croisée d’une posture, d’un état d’esprit et d’un sentiment ». Dans les faits, cela se traduit par une « baisse progressive de l’investissement, par un manque de proactivité et par plus de passivité, aux impacts directs sur l’efficacité individuelle et collective. »
Là où le burn out ne risque pas à priori de pointer le bout de son nez, son acolyte, le bore out, ou l’ennui au travail, peut s’immiscer dans le quotidien des personnes désengagées… ainsi que le turn-over, l’absentéisme, et toute une série de risques psychosociaux associés. La faute à qui ? Ou plutôt à quoi ? La plupart du temps et selon Daniel H.Pink, si au moins une des trois grandes motivations intrinsèques des collaborateurs – l’autonomie, le sentiment de maîtrise de son activité et le sens – est menacée, l’engagement risque de fait de l’être aussi. Ainsi, comment garantir un engagement raisonné au travail ?
L’engagement raisonné
Si l’engagement idéal se place entre désengagement et sur-engagement, il s’agit de prêter une grande attention aux trois motivations intrinsèques du travail citées précédemment. Que cela soit au niveau individuel, de l’équipe ou managérial, des bonnes pratiques sont à observer comme le fait d’apprendre à dire « non » pour un salarié, ou encore d’accorder le droit à l’erreur en tant que manager.
Surtout, il s’agit de bien se connaître… et de se promettre le respect du cadre de ses propres limites, avant de se lancer corps et âme dans une quelconque entreprise, mission ou cause, ou au contraire, de s’investir dans une activité qui ne nous convient pas, au point de nous désengager totalement au fil du temps, et de négliger nos motivations au travail. L’engagement professionnel raisonné est le résultat d’une une triple responsabilité :
- celle de l’organisation dans la culture qu’elle véhicule ;
- celle de l’équipe dans la « vigilance active » qu’elle met en place ;
- celle de l’individu qui doit savoir s’écouter.