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Combien de fois avons-nous eu le sentiment de n’avoir pas bien écouté l’autre, dans notre vie personnelle, à force d’avoir voulu trop interpréter, prodiguer des conseils très rapidement mais de fait, tombés à côté … Ou au travail, lorsqu’un collaborateur a dû répéter deux fois sa phrase avant que nous n’y prêtions réellement attention…Avec le risque de blesser, de mettre l’autre mal à l’aise, sans l’avoir vraiment voulu, simplement parce qu’entendre n’est pas nécessairement écouter. Faute de temps, nous entendons, mais nous avons plus rarement l’occasion d’écouter la parole, les mots de la personne en face. De se mettre à sa portée. Entre le message que l’on veut faire passer et celui qui est effectivement retenu, il y a un monde que l’écoute active permet en partie de combler !
Un concept pas si récent, né en psychologie
L’écoute attentive est plus large que l’empathie, qui tend à repérer les émotions des autres, afin de savoir les nommer. L’écoute active est un concept issu des travaux du psychologue Carl Rogers dans les années 50. Mais ni la période taylorienne, ni le leadership des années 80 n’ont bizarrement importé cette technique de communication en entreprise ! Il a fallu attendre la dernière décennie pour que l’écoute active soit considérée comme l’une des clefs essentielles à la bonne réussite d’un dialogue, la conduite de projets, la construction d’un management bienveillant.
Voici quelques conseils pour apprendre à la pratiquer.
Soyez physiquement au diapason de l’autre
L’écoute active, explique Emilie de Bueil, psychologue, coach et psychothérapeute, nécessite avant toute chose un mouvement physique, prérequis qui est souvent mal compris : « Pour qu’il y ait un être ensemble, il faut que je ressente l’énergie de l’autre, son rythme de parole, en oubliant le mien. Si la connexion est établie, alors je vais pouvoir accélérer, ralentir dans la conversation, en abdiquant mon propre rythme. » Dans une écoute active, je ne peux brusquer l’autre : si je sens que mon collaborateur souhaite exprimer une pensée, mais que cette action lui est difficile, il faut que j’aie moi-même éprouvé le fait que cette formulation lui était difficile. Si je lui dis « accélère », je passe à côté de ce que la personne tente de me donner à voir à travers plusieurs signaux. « Il faut se mettre au même niveau, ne pas s’imposer » poursuit Emilie de Bueil. Problème, l’entreprise chérit la réactivité, et repose généralement dans son organisation sur une construction hiérarchique : deux caractéristiques qui peuvent être a priori des obstacles à l’écoute active. Mais elle nécessite également beaucoup de temps et d’investissement dans la relation à l’autre. Or, un manager n’en dispose pas toujours. Elle requiert concentration et disponibilité d’esprit : par exemple, dans l’interaction, ne sous-estimez pas ce qui constitue l’une des mines d’informations première : le langage non verbal. Il est donc recommandé de beaucoup regarder la personne, en face à face, pour tenter de saisir ce que son corps dit.
Mettez de côté la culture du feedback !
L’entreprise survalorise l’expérience du feedback comme outil de progression et de performance. La réalité est que le retour, formulé par un supérieur hiérarchique, peut dans certaines situations, être mal exprimé et donc mal reçu par l’autre avec pour conséquence un risque de fragiliser la confiance de son interlocuteur. En bref, un effet contreproductif selon comment il est pratiqué. Par exemple, si un manager reprend son collaborateur sur sa technique commerciale, sa façon d’aborder son client, il y a de grandes chances pour que la personne se rétracte, voire s’inhibe. La pratique de l’écoute active invite au contraire la personne en face à prendre conscience de ses pratiques professionnelles, sans surplomb, explique Emilie de Bueil : « Je vais faire parler l’autre de sa pratique, et lorsqu’il va s’entendre penser, il va lui-même élaborer des solutions. C’est doublement actif car le collaborateur peut entendre ses propres répétitions, réaliser que sa pensée est dichotomique, ou trop pleine de résistances, mais c’est aussi très actif de la part de celui qui écoute, qui embrasse la vision du monde de son interlocuteur, ses valeurs. »
La reformulation, clef de l’écoute active
Entre ce que l’on dit, et ce que l’on croit avoir dit, ce que l’autre entend, ce qu’il n’a pas entendu, ou ce qu’il interprète, il y a souvent une très importante déperdition. La reformulation est l’un des outils concrets qui va vous permettre de contourner ce problème, source de tant d’incompréhensions. Du côté du manager, il est important de résumer en quelques idées principales ce que la personne en face vient de vous dire. Cela signifie déjà que l’on a bien écouté. Il peut d’ailleurs être très utile de s’exercer avec une personne de son entourage à cette pratique. Petit exercice pratique : vous consacrez une vingtaine de minutes à un proche ou un collaborateur, et tentez à la fin de l’échange de reformuler les idées de l’autre. Vous comprendrez ainsi rapidement si vous tombez à côté ou non. C’est la première partie du travail. « Reformuler aide à dire à l’autre que l’on a bien entendu, mais, au-delà, à faire prendre conscience à l’autre de ce qu’il dit » explique Emilie de Bueil. La deuxième partie du travail consiste ainsi à rebondir sur la reformulation proposée. Le collaborateur prend conscience de ce qu’il n’a pas dit ou mal dit. L’idée est ensuite d’avancer dans la discussion, en parvenant à faire dire à l’autre ce qu’il souhaite vraiment exprimer pour être compris. Ses arguments extériorisés et ainsi résumés par son interlocuteur, il peut ensuite passer à une étape successive de sa pensée.
Posez des questions ouvertes !
La curiosité ouvre les chakras. Poser des questions ouvertes à son interlocuteur l’invite à reformuler ses arguments sans les juger et prouve votre intérêt. Les questions ouvertes sont toujours mieux perçues car elles ont l’avantage de recueillir le degré d’adhésion, ou de refus à une proposition. Elles permettent de neutraliser les suspicions, effets d’interprétation qui peuvent davantage émaner des questions fermées. En entretien avec votre manager, vous formulez par exemple l’envie d’évoluer et de manager à votre tour une personne ou une équipe. Celui-ci vous répond « j’entends ta proposition ». L’idée est alors de lui demander : « Mais qu’entends-tu, que retiens tu de cette proposition ? » et ce, afin de lui faire préciser sa pensée. Au lieu de lui demander : « Penses-tu que je sois légitime à ce poste ? »
Bannissez la distance hiérarchique
Outil de bien-être au travail, l’écoute active est aussi et surtout un outil de progression dans l’entreprise. Cette pratique vise à amener chacun vers un mieux. Il ne s’agit ni de performance via des objectifs chiffrés, ni de productivité accrue, mais de progresser qualitativement, en étant à l’écoute de vos propres écueils, manquements, et de vos points forts. L’écoute active de vos supérieurs peut permettre de vous dépasser. Pourtant, difficile d’oublier que votre manager en face de vous n’a pas un agenda caché, des besoins à court terme…C’est en tout cas la petite musique que vous pourriez avoir en tête en tant que collaborateur, et qui empêchera de retirer tous les bienfaits de l’écoute active. En réalité, les intérêts des uns et des autres peuvent être clairement identifiés sans fausse naïveté. « Bien pratiquée, l’écoute active se ressent, et il n’y a plus de soupçon. A long terme, si l’écoute est purement intéressée, cela finit par se voir » décrypte Emilie de Bueil. Mais elle nécessite sans doute un ajournement de nos paradigmes peut-être assez délicat. Comme considérer son manager comme un être au-dessus des autres. « Dans l’écoute active, l’idée que l’excellence serait du côté du supérieur est totalement absente. L’excellence est propre à chaque individu. On doit simplement aider l’autre à atteindre son excellence. » explique Emilie de Bueil. Si une infirmière, un chirurgien, un forgeron, a besoin d’imiter le geste d’un formateur pour à terme se l’approprier, ce n’est que grâce à lui-même qu’il pourra finalement atteindre son excellence. Alors qu’on n’apprend finalement peu des critiques – les neurosciences ayant prouvé combien la peur inhibe l’activité des neurones – à l’inverse, une intense activité d’échange, de co-élaboration, accompagnés d’encouragements sont des agitateurs de synapses. Est-ce que je souhaite de mon collaborateur qu’il apprenne, ou qu’il exécute ? Si je souhaite qu’il apprenne, il faudra dès lors tordre un peu ma vision du monde, et pratiquer l’écoute active !
Changez de cadre
Rien de mieux que de sortir du cadre professionnel pour annihiler la distance hiérarchique entre deux personnes. Le bureau étant l’une des matérialisations de l’avancement dans sa carrière, un marqueur symbolique, il est recommandé de privilégier un endroit convivial, comme un café, même pour un échange court.
Pratiquer l’écoute active … à distance ?
Avec la pérennisation du télétravail, quid de l’écoute active ? Comment adopter sa posture et créer la relation qu’elle requiert à distance ? Les psychologues ont su adapter leur pratique en temps de confinement, et continuer leurs séances à distance. Car en réalité, l’écoute active s’avère peut-être encore plus nécessaire en ces temps de distanciation sociale, de manque de travail en équipe, de contacts interrompus. La distance peut même être une opportunité, à condition d’être conscient des limites imposées par ce cadre nouveau de dialogue. Car la visioconférence, en offrant un formidable zoom sur le visage de l’autre, peut permettre de développer son écoute active. À distance, je suis quasiment forcé d’être concentré sur les expressions de celui qui me parle, au lieu de laisser aller mon regard et mon imagination voguer dans la salle de réunion. Il faudra redoubler d’efforts pour capter les signaux faibles, mouvements d’yeux, de cheveux, changement de ton, expressions passagères… pour décrypter l’autre. Mais attention ! Ceci implique aussi de jouer la carte de l’honnêteté dès le début de l’échange. Si je fais face à un problème personnel, et que la fatigue, la mauvaise humeur peut se lire sur mon visage, il ne faudra pas hésiter à le dire en tout début d’entretien, pour neutraliser les effets d’interprétation hâtifs, en laissant penser à tort par exemple que ce visage sombre est lié à l’entretien. Deuxième contrainte, les mots choisis sont encore plus déterminants pour éviter la trop grande surinterprétation de votre interlocuteur. N’étant pas dans un moment d’échange et d’attention jointe, on peut vite analyser chaque micro-information, et chaque mot de l’autre ! Il faut compenser le manque d’informations par l’usage de mots les plus précis possibles, et par une verbalisation des éléments de son propre contexte.