Ah ! Le syndrome de l’imposteur, ce fâcheux complexe que l’on se traîne en fond de tableau et qui resurgit chaque fois que l’on doit faire valoir sa légitimité, exercer son autorité, oser se lancer dans un nouveau projet et relever des défis. Nous sommes infiniment nombreux à ressentir ce complexe d’imposture qui parfois nous bloque carrément, nous fait rater des opportunités ou nous met dans un inconfort tel que même si l’on fait bien notre boulot, c’est avec la boule au ventre, dans l’angoisse d’être « démasqué·e », disqualifié·e voire rejeté·e si l’on devait commettre la moindre erreur.
Allez, on arrête un instant de se faire des nœuds au cerveau et on adopte quelques petits tuyaux pour chasser l’idée qu’on n’est pas à la hauteur et pour repousser la peur que notre monde s’écroule s’il apparaissait effectivement que l’on n’atteint pas toujours la perfection.
Et si pour commencer, on en parlait ?
Saviez-vous que 66% des femmes, 56% des hommes et 70% des enfants de la genY déclarent souffrir du syndrome de l’imposteur ? Ça en fait du monde autour de vous qui doute de ses compétences à s’en rendre malade et serait prêt à se raconter n’importe quelle histoire pour attribuer ses succès à la chance, voire au fait de s’être approprié le travail des autres !
Faites l’expérience de confesser à quelques proches que vous ressentez le complexe d’imposture : il y a entre 5 et 7 chances sur 10 pour que l’on vous réponde « Oh ! Toi aussi ?!! Mais moi, ça me met la rate au court-bouillon, ce truc qui fait que régulièrement, je cauchemarde que je dois passer un grand oral en maillot de bain sur un sujet auquel je ne connais rien. ». Ça fait déjà du bien, n’est-ce pas, de se sentir moins seul·e ?
Avez-vous déjà fréquenté des imposteurs, des vrais ?
Vous ne vous sentez pas légitime et ça vous angoisse ? Ce n’est pas une pas si mauvaise nouvelle car cela indique que vous n’êtes ni escroc ni psychopathe. Car ces personnalités-là sont précisément sans vergogne : et qu’elles se font passer pour des peintres de génie cotant des œuvres hors de prix alors qu’elles ne sont que faussaires ; et qu’elles s’incrustent chez les people en se présentant comme des investisseurs hors pairs pour mieux vider leurs comptes sans jamais placer un de leur sou nulle part ; et qu’elles se présentent comme des médecins réputés sans avoir jamais obtenu le moindre diplôme ni jamais travaillé…
Vous vous reconnaissez dans l’un de ces profils ? Les faits divers qui narrent le parcours de ces imposteurs nous fascinent précisément car ils font résonner la crainte qui siège en chacun·e de nous de perdre un jour les pédales. Sauf qu’il y a quand même des curseurs : recycler une partie du boulot de quelqu’un·e d’autre un jour où l’on n’avait pas de jus de cerveau personnel à presser, ce n’est pas se prendre pour celui ou celle dont on s’inspire. Avoir un jour piqué une pièce dans le porte-monnaie de papa ou maman quand on était enfant ou même été tenté·e de faire quelques « ménages » au noir pour mettre aujourd’hui du beurre dans les épinards, ce n’est pas être systématiquement un voleur ou une voleuse. « Valoriser » son CV en gonflant le périmètre de ses responsabilités dans une expérience passée, ce n’est pas s’inventer toute une vie professionnelle dont on n’a aucune des compétences et expériences. Tou·te·s autant que nous sommes, il nous arrive de négocier entre la fin et les moyens, de jouer de petites transgressions ou d’arranger la réalité pour préserver nos egos. C’est humain et ça ne fait certainement pas un profil d’imposteur !
Se libérer du complexe de Möbius
Sauf que nous mettons beaucoup de morale dans l’affaire des compétences, des statuts, des responsabilités. Cela ne remonterait pas un peu au complexe de Möbius (également appelé complexe de la bonne/du bon élève), cette histoire ?
Rappelons ce dont ce complexe procède : la confusion entre bien travailler et être une bonne personne. Quand on s’est tenu·e bien sage en classe, on a intégré l’idée que donner satisfaction, c’est ne pas perturber le professeur, sauf pour faire preuve du juste esprit critique qu’il entend m’enseigner. Quand les parents nous ont félicité·e·s pour nos bonnes notes, on a eu le sentiment de mieux mériter leur amour mais on a ressenti qu’être un « petit chien savant » ne suffirait pas à les charmer. Et cela nous poursuit longtemps, longtemps… Ce qui fait que lorsque, dans le monde du travail, empreint d’injonctions paradoxales, d’ambiguïtés sur les attendus, de hiatus entre la demande formelle et la raison informelle, il n’est pas rare que l’on se heurte au dilemme décisionnel, voire carrément au conflit de loyauté. On m’incite à avoir de l’ambition ; on me dit que ce qui compte, c’est davantage le potentiel que les acquis ; on valorise mon esprit d’initiative et ma capacité à me challenger…
Je suis donc docile (dans l’indocilité) et je candidate pour un poste pour lequel je n’ai pas (encore) toutes les compétences, je prends la parole sur un sujet sur lequel je ne suis pas complètement certain·e de mon expertise ; j’ose des choses nouvelles puisque c’est bien pour secouer le cocotier que l’on m’a missionné·e. Sauf que le soir venu, devant mon miroir puis dans mon petit lit, j’ai le vertige : jusqu’où vais-je trop loin ?
Positionner le curseur du « jusqu’où aller trop loin »
Tel qu’il est construit (au moins dans nos sociétés), le parcours professionnel appelle une certaine prise de risque : il faut oser prendre son élan, bondir sur le tremplin et faire confiance en son agilité en même temps qu’en sa volonté pour passer d’une étape à l’autre. L’expérience est stimulante.
Mais elle inspire également une légitime peur de se vautrer. Une peur fichue de s’insinuer à chaque moment clé : refus de prendre le départ (« de toute façon, je n’y arriverai jamais, autant déclarer forfait »), perte de vitesse dans la course d’élan ( « Misère, dans quoi je me lance… Il faut que je ralentisse la cadence »), méprise du tremplin (« Hop, je fais un petit bond de rien du tout, du bout des doigts de pied, histoire de dire que j’y suis allé·e et retour au vestiaire et à ma zone de confort » ou « Oh ! My god, je ne savais pas que les ressorts étaient si puissants, je suis monté·e tellement haut tellement vite que je vais assurément me gameller à la réception ») et atterrissage incertain (« Nom d’un chien, je l’ai fait ? Ce n’était pas vraiment moi, je n’en étais pas cap’ » ou « Zut, alors, j’ai tout fait bien jusque-là et au dernier moment, j’ai vacillé, paf, tombé sur mon derrière, les jambes en l’air, tout le monde a rigolé, je me suis savamment ridiculisé.e »
La clé : négocier les conditions de l’audace
La métaphore gymnique nous permet d’appréhender le complexe d’imposture sous l’angle de la négociation des injonctions à l’audace. On nous demande de nous dépasser ? Ok ! Mais pas sans garanties. Primo, on fait le point avec lucidité sur ce que l’on a de compétences acquises, de potentiel à développer et de failles à combler. Que celles et ceux qui nous encouragent à aller de l’avant soient au courant de qui l’on est vraiment va nous aider à faire valoir nos expertises sans nous sentir attendu·e·s au tournant de nos faiblesses. Bref, on partage la responsabilité du risque, sinon d’échec, en tout cas de controverses. Ça rassure.
Ensuite, on s’entraîne. Idéalement accompagné·e d’un·e coach bienveillant·e et challengeant·e qui nous permet de définir le plus précisément possible ce dont on se sent capable hors de sa zone de confort, et dans quel timing.
Puis, on va chercher des sponsors : pas question de se faire valoir sans bénéficier de soutiens qui croient en votre valeur… Et seront prêts à la promouvoir mieux que vous si d’aventure le doute devait vous assaillir. Identifiez autour de vous les indéfectibles : celles et ceux qui savent que vous n’êtes certainement pas la brelle que parfois vous pensez être, qui savent aussi calmer vos ardeurs quand le sentiment de toute-puissance vous guette, qui vous gardent dans la course quand vous flanchez, qui remettent les pendules à l’heure quand votre confiance en soi est entamée.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE