Chaque mois, le réseau UN·E vous propose une interview d’expert·e éclairant les enjeux de l’égalité en entreprise. Ce mois-ci Anne Thevenet-Abitbol, directrice Prospective et Nouveaux Concepts chez Danone et également co-créatrice du Programme EVE, nous apporte une prise de recul sur les enseignements de ce séminaire de leadership interentreprises qui combat le plafond de verre depuis maintenant 10 ans.
Quand vous lancez le Programme EVE en 2010, personne (ou presque) ne parle encore de corrélation entre mixité & performance. Vous, c’est un angle que vous prenez d’emblée. Qu’est-ce qui vous a donné l’intuition que c’était un axe puissant pour faire avancer le sujet dans les entreprises ?
À l’époque, effectivement, la question se posait encore. Je me souviens des propos d’un patron de l’industrie automobile qui disait ne pas être contre la présence de femmes à son comité exécutif, parce qu’en plus « cela faisait joli ». Dix ans ont passé, et avoir des femmes au plus haut niveau n’est heureusement plus vu comme une question esthétique, ni même éthique, mais bien comme un critère d’efficacité. Lors de la crise financière de 2008, les médias ont commencé à s’interroger : la mixité rendrait-elle les entreprises plus performantes ? Ce changement de paradigme fut illustré par une exclamation de Christine Lagarde, alors ministre de l’économie : « si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, nous n’en serions pas là ! ». Depuis les analystes ont pointé le manque de diversité des instances de gouvernances des banques et des études prouvent que « l’homogénéité des groupes réduit notamment la qualité des processus de décision ». Et qu’au contraire, « l’hétérogénéité dans la construction sociale (des hommes et des femmes) apporte une diversité de connaissances, de compétences, d’expériences, de croyances, de valeurs, de styles de leadership qui permet d’améliorer les processus de décision ». Ce qui donc était pour moi de l’intuition, du bon sens, ou une adhésion aux valeurs de Danone qui a toujours revendiqué la diversité comme source de richesse, s’est vu depuis confirmé comme une EVE-idence ! Et si en plus ça fait joli…
Pourquoi avez-vous, dès les débuts du Programme EVE, pris le parti de l’interentreprises ? En quoi cela constitue un « booster » pour la mixité dans le monde économique ?
Si nous voulions vraiment accélérer l’éclatement du plafond de verre, ou, comme nous le disons chez Danone, refermer la gueule du crocodile (resserrer l’écart entre la courbe ascendante du nombre d’hommes au plus haut niveau et la courbe descendante de celui des femmes), il nous fallait être les plus nombreux·ses possibles. Comme le dit le proverbe africain : « tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ».
Votre vision de la performance est étroitement associée à celle d’équilibre. Entre le corps et l’esprit, entre l’inspiration et la respiration, entre les temps de vie, entre les genres et entre les générations… Pensez-vous que l’équilibre soit la clé de l’équité ?
C’est bien que vous parliez d’équité et non pas d’égalité. Il ne s’agit pas en effet de mettre tout le monde à la même enseigne, mais bien de considérer chaque individu dans sa spécificité, dans sa personnalité, dans ses besoins et dans ses demandes. Au Programme EVE, nous disons que nous nous adressons tout autant à la tête qu’au cœur et au corps. Il est important de ne pas dissocier l’intelligence rationnelle et l’intelligence émotionnelle si l’on veut être un homme ou une femme accompli·e.
L’équilibre vient de l’ancrage que chacun de nous a, dans ses valeurs les plus personnelles et les plus profondes. Plus nous sommes aligné·es avec notre vérité intérieure, plus nous sommes verticaux, bien dans notre peau et dans notre activité, et de fait porteur·euses d’une joie et d’une efficacité contagieuse. C’est le sens même du motto du Programme EVE « Oser être soi pour pouvoir agir » ; un individu fort au service d’un collectif performant, pour reboucler avec votre première question !