Imaginez que vous puissiez vous glisser dans la peau d’une personne de l’autre genre aussi facilement que si vous enfiliez une combinaison ? C’est le privilège magique qu’ont les femmes de la famille de Bianca. De génération en génération, elles se transmettent secrètement une « peau d’homme », de laquelle elles se revêtent lorsqu’elles veulent accéder à ce qui n’est pas permis aux femmes. Alors, elles deviennent Lorenzo, un jeune et et charmant garçon, libre de monter à cheval, de se déplacer dans les rues à toute heure, d’entrer dans les tavernes, de parler aux « autres » hommes, de faire insouciamment la fête…
Bianca découvre l’existence de cette « peau d’homme » juste après avoir été promise en mariage à Giovanni, un riche marchand. Elle n’a rien contre ce monsieur, c’est juste qu’elle ne le connait pas. Et n’aura que très peu d’occasions d’échanger avec lui d’ici aux noces, protocole des grandes familles de la Renaissance italienne oblige. Alors, venant d’apprendre qu’elle pouvait quelques heures durant être dans une « peau d’homme », elle décide de devenir Lorenzo et d’aller à la rencontre de Giovanni. Du vrai Giovanni. Celui qui, dans les auberges, boit des chopes et rit avec les copains. Celui qui ne fait pas mystère du fait que ce mariage ne l’emballe pas. Celui qui préfère les garçons et doit s’en cacher pour éviter d’être poursuivi par les autorités religieuses et politiques. Celui qui tombe bientôt très amoureux de Lorenzo, sans savoir que sous cette « peau d’homme » si séduisant, il y a Bianca.
Et Bianca, elle découvre un autre homme que le Giovanni qui joue la comédie des bonnes mœurs avec une certaine arrogance, parce qu’il ne peut laisser voir sa vraie personnalité d’homme sensible, drôle, fantaisiste, cultivé, généreux… Elle sait maintenant qui elle va épouser. Elle sait que leur mariage sera une façade et qu’il lui appartient de ne pas se mentir sur leurs relations : elle croira en l’amitié avec Giovanni, elle saura l’importance de se respecter l’un l’autre dans un couple, elle se moquera sans éclats de l’absurdité de la norme qui écarte les femmes et les homosexuel·le·s de la société…
Servie par le trait raffiné et les couleurs sublimes de l’illustrateur Zanzim, l’histoire imaginée par le scénariste Hubert (tristement disparu peu avant la sortie du livre) donne à voir le panorama complet des enjeux des questions de genre : se conformer ou être soi, oser l’altérité ou vivre dans des mondes séparés, se faire accepter ou s’accepter soi-même et accepter les autres, s’aligner quoiqu’il en coûte ou se réconcilier avec la « diversité à soi-même » qui permet de s’aimer (et d’être aimé·e) avec ses singularités, sa complexité », contradictions…
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE
Peau d’homme, Editions Glénat, 2020.