Dans leur best-seller Womenomics – Write your own rules of success, paru en 2009, les essayistes Claire Shipman et Katty Kay l’affirment : les femmes ont moins confiance en elles que les hommes et c’est l’une des raisons pour lesquelles elles persistent à se heurter au plafond de verre. L’année suivante, un dirigeant commente le rapport Women Matter de McKinsey en arguant que « les femmes attendent d’avoir 120% des compétences pour candidater à un emploi quand les hommes se contentent de 60% ». Cette donnée est reprise, comme « issue d’une étude » par Sheryl Sandberg dans son ouvrage Lean in ! De nombreux écrits viennent encore alimenter cette idée que ce qui plombe la carrière des femmes, c’est leur déficit de confiance en soi.
Mais d’autres voix se font entendre aussi, qui s’intéressent à la confiance en soi des hommes (peut-être pas si sûrs d’eux qu’on le croit) et surtout ré-interrogent ce qu’est la confiance en soi et le rôle qu’elle joue dans la vie professionnelle. Une féminité pleine de doutes ?
Toute une littérature sur les stéréotypes met en avant le fait que les filles sont, dès leur plus jeune âge, éduquées à une féminité toute faite de sagesse, de modestie, de discrétion, de pudeur et d’effacement… Quand les garçons sont encouragés à l’audace, à l’affirmation, au risque, à l’occupation de l’espace et à l’aplomb. De cette habituation précoce à des « rôles » de genre découleraient des structurations psychologiques portant une majorité de femmes à douter d’elles-mêmes et, en parallèle, une majorité d’hommes à avoir confiance en eux.
Une foule de données pour créditer l’idée du déficit de confiance en soi des femmes
Voilà qui fournit une grille d’analyse aisée pour lire toutes sortes de données sur les inégalités de genre. Une femme sur huit négocie son salaire à l’embauche, contre un homme sur deux (Université de Munich, 2013) : n’est-ce pas la démonstration même qu’elles n’osent pas mettre leurs qualités en avant, voire qu’elles s’estiment moins légitimes et moins compétentes ? 66% des hommes se pensent plus intelligents que la moyenne contre 54% des femmes, alors même que l’ensemble du panel s’accorde à dire que l’intelligence n’a pas de sexe (Université de l’Arizona, 2018) : n’est-ce pas là le signe qu’elles se sous-estiment tandis qu’ils se sur-valorisent ? Les femmes scientifiques utilisent 12% de qualificatifs positifs en moins que leurs confrères dans les articles qu’elles rédigent pour présenter leurs travaux (British Medical Journal, 2019) : n’est-ce pas l’évidence même qu’elles souffrent du complexe d’imposture alors qu’eux sont les rois de l’auto-promo ?
Et pourtant, elles s’estiment compétentes…
La réalité est probablement plus nuancée, car quand on interroge les femmes sur leur sentiment d’être compétentes, elles ne jouient pas les fausses modestes : 91% s’estiment à la hauteur, selon le baromètre Financi’Elles 2017. Et quand on demande aux femmes et aux hommes quel niveau de confiance ils s’attribuent, comme par exemple dans l’enquête IMS de 2012, il n’y a que 0,3 points de différences entre l’auto-évaluation des unes et celle des autres. En revanche, quand on demande aux hommes quel niveau de confiance en elles peuvent bien avoir les femmes, ils en sont convaincus : c’est faible ! En miroir, quand on demande aux femmes si les hommes ont confiance en eux, elles n’hésitent pas : c’est fort !
Est-ce qu’il n’y aurait pas, en ce cas, une part de stéréotypes de genre dans cette vision de la femme qui manque de confiance en soi et de l’homme qui a de l’assurance à revendre ?
Des expressions différenciées de la confiance en soi… Et du déficit de confiance en soi
Cette perception collective d’une confiance en soi appartenant essentiellement aux hommes et dont seraient plus ou moins dépossédées les femmes, pourrait bien trouver racine dans nos façons d’interpréter les comportements. En effet, nous associons la confiance en soi à l’assertivité, à l’affirmation, à l’appétence au risque, à la capacité à décider et à trancher, à la réactivité… Et nous rangeons dans les marqueurs du manque de confiance en soi ce qui relève du doute (perçu comme de la tergiversation), de la patience (regardée comme de l’attentisme), de la prudence (vue comme de l’indécision), de la réserve (assimilée à la timidité, de l’autocensure), le perfectionnisme (rapproché du « complexe de la bonne élève ») etc. Dans ce spectre d’interprétations des postures, on peut effectivement attribuer la confiance en soi à la masculinité stéréotypée davantage qu’aux attendus sociaux de la féminité.
La « confiance en soi » en question
Il semble donc utile de repenser la confiance en soi, par-delà la référence à des comportements qui en donnent l’impression. Or, il n’est pas si évident de donner une définition stable de la confiance en soi. Pour certain·e·s psychologues, comme par exemple William James, la confiance en soi, c’est la mise en mouvement de l’estime de soi (conscience de sa valeur). Pour d’autres, comme Julian Rotter, c’est une croyance (pas toujours éloignée de la pensée magique) de l’individu en sa capacité de maîtriser les situations qui le concernent… Ou à tout le moins d’être capable d’y faire face, comme chez Albert Bandura, père de la notion d’ « auto-efficacité » qui se rapporte aux conditions dans lesquelles un individu peut s’engager et se challenger. Parmi ces conditions, un environnement sécurisant, stimulant et reconnaissant est clé pour les théoricien·ne·s de la question qui considèrent que confiance en soi et confiance en l’autre et confiance dans le contexte et dans l’avenir sont indissociables. Les psychosociologues Johannes Keller et Dirk Dauenheimer, célèbres pour leurs expériences sur les variations des performances en mathématiques des filles en fonction des conditions d’évaluation, font partie de ce courant qui soutient la pensée d’une sorte de devoir de la société à donner à tou·te·s un égal accès à la confiance en soi.
La « psychologisation » du plafond de verre ?
Cette idée que la confiance en soi est inégalement répartie préside aux actions visant à renforcer celle de certaines populations… Dont les femmes ! Mais la mise en œuvre des dispositifs de renforcement de la confiance en soi des femmes essuie quelques critiques, notamment si l’accent est porté avec trop d’insistance sur les failles psychologiques des femmes, jusqu’à faire oublier que le plafond de verre est aussi une affaire sociale, économique et politique, concernant toutes et tous et impliquant des phénomènes discriminatoires.
Cette critique, en résonnance avec tout une pensée accusant le développement personnel de faire porter sur les individus la responsabilité des inégalités qui les touchent, entend remettre la confiance en soi à une place plus raisonnable dans la considération des « atouts » d’une personnalité. Car après tout, peut-on vraiment ranger la confiance en soi, variable chez chacun·e selon les moments et les situations, dans le champ des compétences (soft skills comprises) ? Ca se discute…
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE