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Kathrine : J’ai toujours aimé courir parce la course me permettait de me sentir bien, capable de tout. Je n’avais plus peur de rien, je devenais audacieuse, sans peur, « fearless ».
À 20 ans, en 1967, alors que j’étais étudiante, j’ai décidé de participer au marathon de Boston. Mon coach avait insisté, je m’étais inscrite. J’avais écrit mon nom comme d’habitude : « K.V. Switzer ». Les organisateurs ont dû penser que j’étais un homme, et j’ai reçu le dossard n° 261. Dans le règlement, rien n’interdisait formellement la participation des femmes. Le jour J, même si je sortais du lot, les coureurs ont été très accueillants, ils m’ont encouragée.
Passé le 2e kilomètre, les photographes, me repérant, ont commencé à mitrailler. Le directeur de la course était à bord de la camionnette de presse : furieux qu’une femme coure, il a sauté du véhicule, s’est jeté sur moi et a tenté d’arracher mon dossard. Heureusement, mon petit ami l’a écarté pour me défendre, et j’ai pu finir la course.
Malgré mon effroi, j’étais déterminée à passer la ligne d’arrivée quoi qu’il arrive. Je devais maintenant prouver que les femmes en étaient capables et qu’au minimum, nous devions être autorisées à tenter notre chance. Les photos de l’incident ont fait le tour du monde.
Pendant la course, je me sentie tout à la fois inspirée et raffermie dans mes convictions. Je savais que d’autres femmes courraient si on leur en donnait l’occasion. Je savais que toutes en étaient capables, je me suis sentie investie de la responsabilité de leur offrir cette chance. Au cours des 17 années qui ont suivi, j’ai créé des courses réservées aux femmes dans 27 pays, qui ont rassemblé des milliers de participantes. J’ai aussi obtenu du Comité international olympique que soit organisé un marathon féminin aux Jeux de Los Angeles en 1984.
Même si l’inclusion aux J.O. a été importante pour les femmes, la plupart d’entre elles restaient malgré tout exclues du sport et craignaient de participer. De fait, les exemples étaient rares et personne ne leur montrait la voie. Elles redoutaient aussi les clichés qui ont cours dans le milieu sportif : les femmes seraient plus faibles, se blesseraient davantage, auraient l’air ridicule, le sport les transformerait en hommes ou modifierait leur corps au point de les rendre infertiles. Ces mythes persistent aujourd’hui. Ils dominent, même, là où les femmes ont un accès restreint à l’éducation. J’étais plus déterminée que jamais à toucher les femmes marginalisées, défavorisées, qui vivent dans un cadre précaire, contraintes par leur culture, la tradition, la pauvreté et l’ignorance. Mais comment ?
C’est alors que, de façon très spontanée, mon vieux numéro de dossard, le 261, a été repris pour symboliser le mouvement « Fearless in the Face of Adversity » (sans peur face à l’adversité). Plusieurs personnes ont commencé à le porter, parce que courir avait changé leur vie au point qu’elles n’avaient plus peur. J’en ai parlé à mon amie Edith Zuschmann. Elle m’a convaincue que ce numéro pouvait changer l’existence de ces femmes.
Edith : C’est à partir de ce symbole très fort – le 261 – et à travers une activité à la fois peu coûteuse et facile à réaliser – mettre un pied devant l’autre – que l’organisation à but non lucratif 261 Fearless est née. Avec une petite équipe internationale, nous avons créé un cocktail unique mais détonant : un programme éducatif solide, associé à un réseau mondial de femmes qui courent ensemble et apprennent ainsi à s’émanciper. Courir transforme les femmes, tout en leur donnant le courage de sortir de leur zone de confort dans d’autres domaines de leur vie.
L’éducation, élément capital d’émancipation, est la pierre angulaire de 261 Fearless. Créé par des experts reconnus, notre programme donne des informations sur la santé des femmes, les réactions corporelles différentes observées chez elles, et sur la meilleure technique de course pour rester en forme sans se blesser. Les participantes apprennent aussi à se regrouper en réseau avec des femmes d’autres secteurs et d’autres cultures, à assumer des fonctions de leadership, à diriger un club de course voire une entreprise.
Après avoir suivi le programme de formation initiale, les participantes créent dans leur domaine d’activités un Club 261, à but non lucratif mais pouvant devenir une entreprise, pour offrir aux femmes de leurs communautés de multiples opportunités de course. Dans ces clubs locaux, des femmes de tous âges, de toutes tailles, de tous milieux et aux compétences les plus diverses se rassemblent et courent en confiance. Aucune compétition, aucun jugement, mais un fort impact social sur les communautés locales où ces femmes se rassemblent et s’acceptent mutuellement. Dernièrement, 261 s’est investi pour l’inclusion des réfugiées et pour rapprocher des femmes âgées de jeunes mères de famille. Ces relations de confiance permettent de surmonter de nombreux obstacles liés à la communication et à l’isolement.
261 Fearless, très jeune organisation, est d’ores déjà implantée dans 11 pays. Si la réussite ne vient pas en un jour, cette association à but non lucratif, avec son slogan « Be Fearless, Be Free, Be Grateful », entend se développer au profit de nombreuses femmes, pour de nombreuses générations à venir.
A propos de Kathrine Switzer
Athlète iconique, auteure, titulaire d’un Emmy Awards et défenseuse des causes sociales, Kathrine Switzer est la première femme à avoir officiellement couru au Marathon de Boston en 1967. Elle a été attaquée durant la course par un responsable, furieux, qui a tenté de lui arracher son dossard (n°261), et de l’éjecter en dehors de la course parce qu’elle était une femme. Kathrine a terminé la course d’une distance de 26,2 miles, a remporté le Marathon de NYC en 1974 et a ouvert la marche aux femmes pour participer aux jeux Olympiques en 1984. Elle a fondé « 261 Fearless », une association qui encourage l’autonomisation des femmes à travers le running. Aujourd’hui, 58% des coureurs aux Etats-Unis sont des femmes.
A propos d’Edith Zuschmann est la présidente, CEO et co-fondatrice de l’association « 261 Fearless ». Elle s’occupe de la gestion de l’association au travers de 11 pays, avec un réseau de 5000 femmes réparties sur 5 continents. Elle a travaillé en tant que journaliste sportif et sur d’autres projets sportifs divers. Elle est diplômée de l’Université de Sciences Appliquées Wiener Neustadt, en Autriche (où elle donne des conférences sur les Relations Publiques et le Sport), et est certifiée Coach Sportif en course à pied, natation et triathlon.
Nous encourageons les femmes, où qu’elles soient, à rejoindre 261 Fearless. Rendez-vous sur www.261fearless.org. À chacune nous disons : tu peux le faire.