Certains stéréotypes ont le cuir épais… Tel celui qui veut que les « ambiances de nanas » au boulot soient un enfer, qu’on s’y tire les couettes et que des « reines des abeilles » s’y comportent encore plus mal que des mecs.
Mais une étude parue en octobre 2018 dans le Journal of Happiness Studies bat sérieusement le cliché en brèche en objectivant que les femmes trouvent du bien-être à travailler avec d’autres femmes…
Objectiver les effets de la mixité et de la non-mixité sur le bien-être au travail
Wen Fan, professeure de sociologie à l’Université du Minnesota et Yue Qian, docteure en anthropologie du campus Vancouver de l’Université de Columbia ont adressé à un panel de près de 4500 employé·e·s exerçant leur activité dans des environnements mixtes, plutôt masculinisés ou plutôt féminisés, un questionnaire sur leur sentiment de bien-être au travail.
Les femmes (et les hommes aussi) en mal-être dans les univers surmasculinisés
Les femmes travaillant dans des univers comptant plus de 90% d’hommes expriment 52% plus souvent de sentiment de malaise au travail que celles qui travaillent dans un contexte comptant moins de 10% d’hommes. Impression d’avoir davantage à faire leurs preuves, crainte de ne pas être prises au sérieux, réflexes d’autocensure voire anxiété à la perspective de subir des agissements sexistes, les femmes qui travaillent avec une large majorité d’hommes ne se sentent pas en confiance.
A noter que le sentiment de bien-être au travail des hommes décroit aussi à mesure qu’augmente la proportion d’hommes dans leur contexte professionnel… Tandis que ce sentiment de bien-être/mal-être est peu affecté par le fait de compter parmi les rares hommes d’un environnement féminisé.
Les hommes plus heureux dans des environnements féminisés ?
Les autrices de l’étude n’en tirent pas l’essentialisante conclusion que les environnements féminisés seraient par nature plus accueillants pour tout le monde ! Elles soulignent que, même dans les secteurs-métiers qui comptent majoritairement des femmes, les hommes sont généralement à des positions relativement confortables de responsabilités en même temps que leur « rareté » leur vaut d’être traités avec certains égards. On a un homme dans le personnel de la crèche, dans le staff de sages-femmes, dans l’équipe d’assistant·e·s de direction, c’est une vraie chance, on va en prendre soin du monsieur !
La culture « viriliste » de la performance, pour tou·te·s source de souffrance
Cette prime à l’exceptionnalité, voilà qu’ils la perdent, dans des environnements masculinisés. Mais cela suffit-il à expliquer qu’ils s’y sentent moins bien qu’en mixité ? Il faut plutôt aller chercher, selon Fan et Qian, du côté de l’exacerbation des valeurs « virilistes » dans les collectifs où le masculin l’emporte trop massivement sur le féminin.
Les hommes ne se retrouvent pas dans cette culture qui les oblige à se comporter en « hommes, des vrais » au mépris de leur singulière personnalité et de la diversité à soi-même que la norme trop rigide empêche de faire valoir.
Pourquoi les hommes sont-ils plus demandeurs de mixité au travail que les femmes ?
Aussi, les plus demandeurs de mixité, ce sont les hommes… Davantage que les femmes, démontre l’étude conduite par Fan et Qian. Elles ne sont pas si mal entre elles, vivant naturellement une saine sororité faite, comme l’est la fraternité, de moments de complicité mais aussi de temps de conflictualité qui n’appellent pas spécialement l’intervention d’un homme pour siffler la fin de la récré mais demandent, comme dans tout collectif, des process de régulation des relations.
Par ailleurs quand elles sont entre elles au travail, les femmes sont moins directement confrontées aux inégalités fondées sur le genre, source avérée de souffrances, comme l’attestent les recherches de Joséphine Bertrand conduite pour le think & do tank européen pour la solidarité.
Quand la mixité rend le quotidien professionnel des femmes parfois plus difficile
L’étude récemment parue dans le Journal of Happiness Studies vient compléter les résultats des travaux de recherche menées en 2009 par Getinet Haile, professeure d’économie à la Business School de Nottingham sur les effets de la mixité sur la qualité de vie au travail. Au moment même où étaient fortement médiatisées des études établissant une corrélation entre mixité et performance économique et sociale, l’universitaire britannique mettait le doigt sur une réalité plus nuancée : une mixité sans transformation des codes culturels des organisations rend le quotidien professionnel des femmes plus pénible que l’évolution dans un entre-soi féminin.
La mixité, source de performance à condition de construire et entretenir une culture de l’inclusion
Les travaux d’Haile ont semé les prémices d’un nouveau paradigme de la diversité : l’inclusion. Une vision de la mixité (de genre, mais aussi sociale, interculturelle, intergénérationnelle…) qui a non seulement besoin d’une masse critique de « différent·e·s » pour peser en tant que « minorité active », ce qu’indiquait déjà le psychosociologue Serge Moscovici dès la fin des années 1970, mais aussi d’un environnement ouvert au changement des mentalités, des codes de légitimité, des règles du jeu…
Alors, dans ces conditions, la mixité devient profitable au plus grand nombre, même si au cours de cette transformation culturelle, certains peuvent éprouver une sensation de « disempowerment » induite par la mise en cause des modèles traditionnels.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE