Oulimata Sarr est conseillère régionale d’Onu Femmes, chargée de l’Afrique de l’Ouest et du Centre pour l’autonomisation des femmes. ONU Femmes est l’entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Avant l’ONU, elle a passé dix ans à la International Finance Corporation (SFI), une institution membre du World Bank Group.
Loin de cette image vulnérable qui leur est souvent associée, les femmes sont avant tout des agents de changement. En Afrique, en tant que responsables de l’économie familiale, elles ont toujours été les premières gestionnaires et ont toujours fait preuve de créativité pour assurer leur autonomie sur le plan économique. Il est important de le leur rappeler et de faire en sorte de renforcer ces qualités qu’elles possèdent déjà. En effet, les femmes représentent la moitié de l’humanité et l’autre moitié, les hommes, doit nouer un partenariat avec elles. Réussir l’autonomisation économique des femmes, c’est faire émerger le continent parce que les femmes font partie de la solution.
L’autonomisation économique des femmes, désignée en anglais par « economic empowerment », renferme la notion de pouvoir. Dans sa traduction en français, cette idée n’apparaît plus alors qu’elle est essentielle pour bien comprendre cette expression. Par l’autonomisation économique des femmes, il s’agit de donner, ou plutôt de redonner, le pouvoir économique aux femmes. Pour ce faire, diverses stratégies sont mises en œuvre impliquant d’une part, les décideurs, et d’autre part, les femmes elles-mêmes.
- La responsabilité des gouvernements, le rôle du secteur privé
En élaborant différents programmes, pensés, conçus, définis et exécutés pour atteindre cet objectif, les gouvernements sont d’abord mis à contribution. Néanmoins, les programmes proposés ne peuvent être appliqués que lorsqu’ils sont portés par une volonté politique forte. Les Etats peuvent faire en sorte d’impulser les changements nécessaires pour asseoir les bonnes stratégies permettant de rompre avec les facteurs bloquant la bonne exécution des projets et programmes et influencer positivement les politiques publiques.
De plus, l’autonomisation économique des femmes passera par un certain nombre d’actions concrètes parmi lesquelles la représentativité des femmes dans les instances de décision. A l’instar des femmes en Afrique anglophone, qui semblent avoir une certaine longueur d’avance par rapport aux femmes en Afrique francophone, parce qu’elles ont déjà cette culture d’intégration des conseils d’administration. Cependant, cette avancée est en train d’être résorbée, à un rythme soutenu, par les Francophones. Il est ainsi essentiel de nouer des partenariats avec le secteur privé car c’est le secteur qui domine l’économie dans beaucoup de pays et celui-ci peut servir également de levier pour accroître la représentativité des femmes dans les sphères de décision.
Des actions délibérées peuvent être menées, en instaurant par exemple des quotas, pour mieux favoriser l’implication des femmes à tous les niveaux. Il s’agit d’appliquer notamment des standards mondiaux, comme la certification « EDGE », (Economic Dividends for Gender Equality) qui consiste à faire intervenir une tierce partie pour évaluer, dans une entreprise, le niveau d’application de l’égalité des genres, etc. Une méthode qui permet de mesurer le niveau d’engagement d’une entreprise en faveur de l’égalité hommes-femmes et qui pourrait être appliquée par le secteur privé.
Le secteur privé est également mis à contribution pour créer des opportunités en faveur des femmes, à tous les niveaux. Les femmes doivent être présentes aux conseils d’administration, occuper des postes de direction, créer et diriger leurs propres entreprises. Faire en sorte de mieux impliquer et associer les femmes comme force de travail, comme segment de marché et comme membres à part entière de la communauté, car tout le dialogue doit se faire avec elles.
- La transformation du rôle des femmes dans des secteurs clé
Les partenaires au développement accordent d’importants financements aux programmes définis notamment dans le secteur de l’agriculture. Il est important de transformer le rôle de la femme dans ce secteur qui constitue un levier de développement dans beaucoup de pays émergents. Sur le plan de la croissance économique, le secteur agricole est l’un des moteurs de l’émergence en Afrique.
Au-delà des politiques publiques à redéfinir, il est également nécessaire de promouvoir et de faciliter l’accès à la terre pour les femmes, mais également de renforcer leurs capacités, dans plusieurs domaines, notamment en techniques de production et de gestion d’une exploitation agricole. Les femmes ont toujours été des pionnières dans l’agriculture, l’horticulture, le maraîchage, l’aviculture, la production laitière, etc. Ce rapport à leur terre nourricière que les femmes ont toujours entretenu doit être développé, pour qu’elles produisent mieux, en plus grande quantité et surtout de façon plus adaptée aux changements climatiques, un des défis du siècle.
- Sortir de la microfinance pour aller vers l’entreprenariat
L’accès aux financements est également non négligeable. A ce niveau, il ne s’agit plus de micro financements mais plutôt faire bénéficier aux femmes d’instruments financiers plus importants. Sortir les femmes de la micro finance, tel est le crédo. Pendant très longtemps celles-ci ont été confinées à la micro finance. L’autonomisation économique des femmes passe par l’accès aux financements certes, mais les exigences de viabilité économique font appel à toutes sortes d’instruments financiers. Des lignes de crédits plus importantes, des fonds de garantie, de capital-investissement ou « private equity », de location avec option d’achat pour leur permettre d’avoir accès aux outils de production. Tout un spectre d’instruments financiers dont les femmes doivent pouvoir bénéficier pour développer l’entreprenariat féminin.
- Construire des réseaux de soutien entre femmes
L’autonomisation économique des femmes s’effectuera également en créant une forte cohésion entre les femmes. Il est essentiel que les femmes partagent leurs expériences et qu’elles mettent en place des réseaux où elles peuvent se retrouver en toute confiance, pour élaborer ensemble un agenda commun. Que chacune parle de son expérience pour faire éviter à l’autre de commettre les mêmes erreurs ou de se heurter aux mêmes obstacles.
Dans cette optique, les femmes africaines leaders ont un rôle à jouer. Elles doivent être magnifiées, servir de modèle et inspirer la jeune génération. Elles doivent être invitées à s’exprimer, à se connecter et à se connaître, à travers des plateformes à mettre en place. Il s’agit de créer une masse critique de femmes qui vont inspirer les autres femmes et les persuader qu’elles peuvent s’accomplir.
Article de Oulimata Sarr pour le Programme EVE