Un article de Forbes annonce cette semaine que les start-ups dirigées par des femmes s’en sortent mieux. C’est sur un rapport publié par Tinypulse, cabinet de consulting implanté à Seattle, que se fonde cette enthousiasmante assertion. Le webmagazine EVE est allé y regarder de plus près.
En proposant son analyse des chiffres de Tinypulse et en les croisant avec des données issues de différentes études récentes, nous pouvons confirmer l’existence d’une corrélation entre gouvernance féminine et performance des entreprises innovantes, en apportant toutefois quelques nuances d’interprétation.
Une croissance supérieure des start-ups dirigées par des femmes…
L’étude de Tinypulse révèle que 14% des start-ups dirigées par des femmes réalisent une croissance de plus de 200% quand seules 8% des entreprises dirigées par des hommes témoignent d’un tel niveau de performance.
… Mais 4,5 fois plus d’entreprises dirigées par des hommes parmi celles qui surperforment
Toutefois, le chiffre qui laisserait penser que les start-ups dirigées par des femmes sont 1,75 fois plus performantes que celles qui ont un homme à leur tête est quelque peu trompeur. Car l’étude porte sur un panel restreint de 100 entreprises, parmi lesquels moins d’une sur 7 a pour dirigeant.e une femmes.
Ce qui signifie que derrière le taux annoncé de 14% de women-drived business superperformants dans le rapport Tinypulse, il n’y a que 2 entreprises… Tandis qu’il y en a 9 qui se cachent sous les 8% d’entreprises à très haut niveau de croissance dirigés par des hommes.
Entre 9% et 15% de start-up dirigées par des femmes
Et c’est bien là qu’est tout le problème. Car même si les femmes ont, le rapport Tinypulse le confirme, manifestement tout pour mener une entreprise innovante vers la réussite, la gouvernance des start-ups reste très majoritairement masculine.
Selon les sources, la part des femmes aux commandes d’une jeune pousse prometteuse varie de 9% (EY) à 15% (European Start Up Monitor). Une proportion à peu près équivalente à la part des femmes CEO dans l’économie plus traditionnelle.
Des chiffres d’affaire plus modestes
Par ailleurs, derrière une profitabilité supérieure des entreprises dirigées par des femmes, on débusque des montants de chiffres d’affaire inférieurs. Le Rapport Vell 2017 établit que les femmes sont 7 fois moins nombreuses que les hommes aux commandes d’entreprises de la tech accomplissant entre $100 et $500 millions de chiffre d’affaire.
Les dirigeantes forment en réalité le gros du bataillon des petites structures, qui certes, croissent rapidement, mais pour atteindre des volumes d’activité et des revenus nettement inférieurs.
Un sous-accès au financement
Ce fait est pour large partie imputable au sous-accès des créatrices d’entreprises innovantes aux financements. Le récent baromètre KPMG/StartHer établit à 7% des montants levés par les start-ups la part qui va aux organisations fondées et gérées par des femmes.
L’espoir est cependant permis puisque c’est 29% de plus qu’il y a deux ans. Mais là encore, derrière les proportions, la question des montants levés interpelle : en moyenne €1,8 millions par les start-uppeuses versus 3,5 millions par les start-uppers.
Les dirigeantes « obligées » de surperformer?
Pourtant, les investisseur.es seraient bien avisé.es de miser sur les start-ups de femmes. En effet, le rapport Women Who Tech met en évidence que les start-ups dirigées par une femme dégagent 20% de revenus en plus et obtiennent 35% de ROI supplémentaire que les start-up d’hommes avec 50% de fonds en moins. La logique voudrait donc que l’on dirige l’investissement prioritairement vers ces business à très haute rentabilité.
Mais c’est une autre dynamique qui semble à l’œuvre : la capacité des femmes à surperformer en conditions de frugalité fait paradoxalement frein à l’augmentation des financements de leurs projets. Pour le dire plus crument, et avec un peu de cynisme : pourquoi leur donner plus de moyens, puisqu’elles se débrouillent très bien avec peu !
Il y a là un piège certain, comme l’explique Dunya Bouhacene, appelée à commenter les résultats de la dernière étude WomenEquity dans l’Usine Nouvelle : « si les dirigeantes font mieux que les dirigeants, c’est qu’ils y sont obligées » ! Il y va d’une pression plus forte pour innover afin de contourner les obstacles, mais aussi de la nécessité d’adopter une gestion beaucoup plus prudente, en comptant notamment sur leurs marges davantage que sur des financements extérieurs pour investir et développer leur affaire.
Quand la nouvelle économie reproduit les phénomènes d’inégalités de l’économie traditionnelle
La nouvelle serait encourageante si elle envoyait le signal d’un changement de modèle entrepreneurial global, vers plus d’économie réelle en particulier. Mais on peut aussi craindre que le paysage entrepreneurial en train de se redessiner reproduise les clivages traditionnels : aux femmes, un « slow entrepreneurship » de « small business », d’ambition modeste, aux financements restreints et à la gouvernance précautionneuse ; aux hommes, un entrepreneuriat aventureux, d’ambition élevée, plus autorisé à prendre des risques et dégageant au final des revenus supérieurs.
Face à ce spectre d’une reproduction à l’identique des inégalités femmes/hommes de l’économie classique dans la nouvelle économie, c’est la culture de cette économie d’avenir qui gagne à être challengée : quel sens veut-elle donner à la création de valeur et à la production de richesse ? Quels objectifs de société vise-t-elle par-delà sa propre performance ? Comment veut-elle investir la révolution dont elle porte le nom de changements profonds dans les façons de voir et de faire ?
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE