Le stéréotype attribue volontiers aux hommes la stature de grand capitaine dans la tempête et aux femmes de moindres capacités de résistance au stress en situation critique. Mais une récente étude de l’Institute of Labors Economics (IZA) allemand vient contredire radicalement cette intuition collective.
La rédaction du webmagazine EVE est allée y regarder de plus près.
Des universitaires sur un court de tennis
Les chercheurs Alex Krumer, Dany Cohen-Zada, Mosi Rosenboim et Offer Moshe Shapir, en pointe des travaux sur la performance au travail ont décidé de s’intéresser aux effets de la pression et du stress sur les comportements des personnes en situation de prendre des actions décisives. Pour cela, ils ont choisi un terrain d’étude privilégié : les matchs du Grand Chelem de tennis. 4 compétitions à très fort enjeu pour la carrière, la réputation et la rémunération des athlètes. Et une parité numérique quasi parfaite des matchs : 4127 joués par les femmes et 4153 par les hommes.
Quand vient le moment fatidique…
Le point d’attention que les auteurs de l’étude ont retenu est le moment fatidique d’un tournoi où le score s’établit à 4 jeux à 4. Sachant que pour gagner, il faut atteindre 6 jeux avec une avance de 2 jeux sur son adversaire. C’est donc lors de ce neuvième jeu que les nerfs des concurrent.es sont mis à plus rude épreuve et que les effets du stress sur leurs comportements peuvent changer la donne.
… Les hommes craquent, les femmes gardent le cap
Dans cette situation de forte tension, les tennismen ont été 7% plus défaillants au service (là où il y a pourtant un avantage) qu’ils l’étaient en début de match. Les tenniswomen, elles, ont montré des baisses de performance marginales, ne portant pas à conséquences sur leur sort dans la compétition.
En d’autres termes, quoique sujettes au stress et bel et bien perturbées par celui-ci, les sportives l’ont mieux surmonté, gardant le cap de leurs objectifs finaux avec endurance. Les hommes, eux, ont été plus déstabilisés, accumulant les erreurs quand leur concentration était troublée et/ou modifiant leur comportement de jeu quand l’enjeu leur semblait appeler davantage de prises de risque.
La faute aux hormones ?
Pour l’équipe de l’Institute of Labors Economics, la raison est à aller chercher du côté d’une hormone : le cortisol, dont le taux augmente plus rapidement chez les hommes que chez les femmes en conditions anxiogènes. Ce stéroïde glucocorticoïde sur-sécrété en situation de stress permet de libérer de l’énergie à partir des réserves de l’organisme. Ce pourrait être un atout quand il faut donner un bon coup de collier, sauf qu’à dose excessive, il a aussi des effets délétères sur le système cognitif.
En l’occurrence, trop de cortisol entame les capacités des individus à comprendre les situations et à prendre les actions adéquates. Des études menées sur des populations d’enfants en situation d’insécurité ont ainsi montré des retards de développement, portant notamment atteinte aux capacité à raisonner et à (inter)agir avec bon sens, corrélés à une succession de montées rapides et élevées de cortisol dans l’organisme. D’autres travaux, conduits sur des populations de personnes âgées soumises à un traitement à base de cortisol, ont révélé qu’un surdosage tendait à renforcer les mécanismes de perte de la mémoire de court terme et les comportements erratiques.
Si on en revient à nos tennismen, la plus forte propension de l’organisme masculin à produire l’hormone du stress, leur ferait tout simplement perdre en partie la raison, et cela malgré eux.
Que dit la nature sans la culture ?
Si les auteurs de l’étude portent l’accent sur le rôle du cortisol, ils invitent néanmoins à considérer la réaction différenciée des femmes et des hommes au stress dans sa globalité. En effet la psychologie cognitive humaine est une discipline plus sophistiquée que la seule observation de réponses comportementales à des stimulis biologiques. Elle demande qu’on croise des facteurs de différents ordres pour bien cerner ce qui motive les façons d’agir.
En l’espèce, les chercheurs de l’IZA n’excluent pas que les stéréotypes de genre contribuent, en même temps que l’hormone fait des siennes, à encourager les prises de risque et les réactions impulsives chez les hommes tandis que les attentes sociales adressées aux femmes d’être « sages » et rester concentrées (voir le fameux « complexe de la bonne élève ») les renforcent dans leur endurance au stress.
Au boulot comme sur la terre battue ?
Les conclusions de Krumer, Cohen-Zada, Rosenboim et Shapir sont-elles transposables à d’autres terrains que celui de leur étude, et en particulier à celui du travail ? Les chercheurs eux-mêmes invitent à la prudence sur ce point. Car si l’on peut comparer les niveaux de stress sur un court de tennis où se challengent des athlètes de condition équivalente et dans une phase de la compétition qui leur est communément critique, il est nettement plus improbable que nous soyons jamais au travail dans une même configuration de symétrie des états.
Prenons l’exemple d’une prise de parole en public : pour la majorité d’entre nous, c’est source de trac ; pour autant, celui ou celle qui est rompu.e à l’exercice n’est pas dans le même état émotionnel que celui ou celle pour qui s’exposer devant une assemblée est (plus) exceptionnel. Sans compter le poids des enjeux pour les un.es ou les autres : si vous êtes déjà perçu.e comme légitime dans la position de l’orateur/oratrice, vous n’appréhendez pas de la même manière votre mise en lumière que si, par exemple, vous y jouez la reconnaissance de votre valeur auprès d’un public qui ne vous attend pas (voire qui vous attend au contraire au tournant).
L’environnement professionnel plus stressant pour les femmes ?
Même si femmes et hommes sont inégaux face à la montée de l’hormone du stress, et cela au détriment des seconds, l’environnement de travail n’est cependant pas également stressant pour les deux sexes. Une étude de l’université de l’Indiana publiée en 2016 et s’intéressant également aux taux de cortisol dans les organismes, démontre spécifiquement que quand le milieu professionnel est peu ou non mixte, il est source de stress puissant et chronique chez les femmes, avec des conséquences parfois dramatiques sur leur santé. L’inverse n’étant pas vrai pour les hommes qui se sentent en sécurité aussi bien dans des environnements majoritairement masculins que majoritairement féminins.
En conclusion, on peut dire, en s’appuyant sur les travaux de l’Institute of Labors Economics, que les femmes ont tout pour être des championnes sur le terrain sportif comme sur le terrain professionnel, pourvu que l’on garantisse que ces espaces d’exercice de leurs capacités ne leur soit ni plus ni plus moins oppressants, angoissants et stressants qu’ils le sont pour les hommes.
Marie Donzel, pour le webmagazine EVE
Comments 1
Merci pour cet éclairage très intéressant. Je travaille pour ma part sur les relations professionnelles et personnelles, sur la base de l’analyse de personnalité Ba Zi, qui offre des milliers de profils différents et permet d’avoir une cohérence précise avec la (les) personne(s) concernée(s). Et il est flagrant qu’en dehors de certaines dispositions « civilisationnelles », certains caractères supportent mieux la pression que d’autres, qu’on soit homme ou femme. Si on utilise une métaphore asiatique simple, le côté Yang majoritaire chez la plupart des hommes renforce une priorité à l’action, qui peut être précipitée en cas de stress. De l’autre côté, le côté Yin est lui plus porté sur l’observation, ce qui peut éviter un surcroît de stress, atténué par les dixièmes de seconde supplémentaires pour faire un choix… L’un et l’autre de ces caractères pouvant se trouver en plus ou moins grande mesure chez un homme comme chez une femme…