La revue de web du blog EVE
L’initiative du mois : Le « Project Include » pour plus de mixité dans la Silicon Valley
Plus un mois ne passe sans que l’on ait à lire une étude ou entendre une prise de parole sur la question de la place des femmes dans le secteur hautement porteur des nouvelles technologies. Car si des travaux mettent en évidence, parfois avec un léger prisme essentialiste (supposant les femmes mieux « adaptées » à la culture 3.0 de par leur esprit dit plus collaboratif ou leurs besoins accrus de flexibilité dans l’organisation du travail), les bénéfices pour la mixité de la transformation digitale, il en est aussi pour alerter sur les risques que représente l’évolution actuelle du contexte entrepreneurial pour l’égalité.
En effet, sous-représentées parmi les étudiant.es en école d’ingénieur.es (malgré de spectaculaires progrès récents) et dans les métiers de la tech, les femmes pourraient bien subir une « massive perte de chance« , alertait il y a quelques mois le rapport « The future of jobs » du Forum Economique Mondial, qui déboucherait non pas sur une stagnation des inégalités mais sur un accroissement jamais vu de celles-ci depuis les débuts de l’ère industrielle.
Cela, car on jouerait sur un nouveau terrain, mais avec d’anciennes règles dénoncent 8 figures influentes de la Silicon Valley (dont Ellen Pao, Tracy Chou, Laura l. Gomez, Erica Joy Baker…) à l’origine du Project Include. L’initiative est simple et constructive, qui consiste à proposer une série de bonnes pratiques pour engager le monde de la tech dans sa révolution inclusive : instruire les cultures d’entreprise (en particulier pour bannir le sexisme ordinaire des rapports professionnels, via l’instauration de codes d’éthique sans ambiguïtés sur le sujet), réinvestir les politiques RH (pour penser autrement les parcours professionnels, en cohérence notamment avec les cycles de vie personnelle), revoir les critères d’appréciation de la compétence et de la légimité (pour ne plus se laisser abuser par des hâbleurs rois du faire savoir mais se mettre à l’écoute d’autres formes de valorisation des personnes et du travail), interroger ses méthodes d’évaluation dans tous les domaines, du business au sociétal.
Le coup de g*** (ou le mea culpa) du mois : Sheryl Sandberg en avocate des mères célibataires
On reste encore quelques instants en Californie, le temps d’écouter le vibrant réquisitoire de Sheryl Sandberg contre le sort réservé par la société et le monde de l’entreprise aux mères célibataires.
Indispensable texte qui (r)établit quelques vérités utiles à entendre sur la précarité des femmes qui élèvent seules leurs enfants et pour qui les règles du jeu se révèlent encore plus injustes encore que pour les femmes en couple (quand il leur est par exemple inenvisageable de prendre le temps du « networking » pour se rendre visibles dans les moments informels de la vie professionnelle), ce nouveau manifeste Sandberg pourrait bien marquer un tournant dans la trajectoire militante de la numéro 2 de Facebook.
En effet, Sheryl Sandberg et son mouvement Lean In se sont jusqu’ici beaucoup concentrés sur la question du leadership partagé et cet engagement prioritaire en faveur de l’accès des femmes aux plus hautes responsabilités lui a valu quelques critiques : élitisme, défaut de conscience des problématiques matérielles des femmes peu nanties voire déni des inégalités sociales dans une approche par trop partiale des inégalités femmes/hommes. Secundo, Sandberg revient sur une partie du discours qu’elle a tenu jusqu’ici sur les responsabilités des femmes elles-mêmes dans le plafond de verre : elle qui voulait hier botter un peu le derrière des femmes qui placent leur orgueil dans un perfectionnisme mal placé ou bien restreignent leur horizon des possibles en se laissant trop influencer par les stéréotypes, reconnait aujourd’hui qu’elle a sous-estimé le poids des injonctions (volontiers contradictoires) qui pèsent sur la majorité des femmes… Et regrette donc publiquement d’avoir pu en rajouter une couche culpabilisante.
Chapeau Sheryl, pour ce retour sur soi qui témoigne d’une volonté manifeste de voir le thème de l’égalité en dynamiques complexes et non en positions de principe définitives.
Le symbole du mois : des « emojis » pour montrer que les métiers n’ont pas de sexe
Connaissez-vous les Emojis, appelés aussi emoticônes? Comme leur nom l’indique, ce sont des petits symboles qu’on utilise dans le discours écrit pour figurer une émotion, un ressenti ou une ambiance. Le plus basique, c’est le smiley, quasiment passé au statut de ponctuation dans le langage numérique pour apporter tendresse, complicité ou ironie au propos écrit. Mais il existe aujourd’hui des milliers d’Emojis, qui sont de plus en plus sophistiqués et contribuent à une quasi-langue universelle peuplée de petits personnages caractéristiques…
Les métiers sont notamment représentés par les emojis. Mais jusqu’il y a peu, « docteur » était un emo-mâle et « infirmier » un émo-femelle. Idem pour « ingénieur » versus « secrétaire », etc. Et puis Google, qui nous aura déjà réjouit à plusieurs reprises en rendant hommage à des femmes oubliées par le récit de l’histoire dans ses doodles, a décidé de créer 13 emojis féminins figurés dans des métiers où les stéréotypes ne les attendent pas : chirurgienne, chimiste, ingénieure informatique, métallurgiste, mécanicienne… Un petit pas pour l’unicode, mais peut-être un grand pas pour l’évolution des mentalités!
Qu’on se le dise (une bonne fois pour toutes ou autant de fois qu’il le faudra) : les métiers n’ont pas de sexe!
La bonne pratique du mois : plus de données sexuées pour de meilleures politiques d’égalité
Les travaux de recherche sur le chiffrage de l’égalité que l’équipe EVE a menés avec le Comité des Sages pour aboutir au Rapport EVE & DONZEL nous ont fait mettre le doigt sur de vrais grands enjeux de méthodologie d’évaluation : chiffres manquants ou impossibles à comparer faute de dénominateurs partagés, définitions imprécises des faits quantifiés, angles morts des études statistiques… Tout un pan de l'(in)égalité reste inétudié ou mal étudié. Ce qui n’est pas sans conséquences sur l'(in)efficacité des politiques d’égalité : basées sur des données de qualité insuffisante, elles sont moins aptes à actionner les leviers du changement.
Pour la Fondation Bill & Melinda Gates, la qualité du chiffrage des inégalités de genre est un champ prioritaire d’action, Dont acte : 80 millions de dollars seront affectés pour renforcer la collecte et l’analyse des gender data. Premier défi : fournir des statistiques pour le tiers des pays de la planète qui ne disposent pas même d’indicateurs de base comme l’état civil ou la part des femmes dans la population active. Deuxième défi : « rendre visible l’invisible », selon les mots de Melinda Gates herself, en trouvant le moyen de compter la valeur du travail créé par les femmes qui échappe au calcul du PIB. Troisième défi : innover dans les pratiques de recueil des informations pour favoriser une libération de la parole qui permettra de construire des chiffres plus en adéquation avec la réalité des faits (en matière de violences sexuelles notamment, où il appert que les données disponibles sous-évaluent le nombre de victimes).
L’action collective du mois : pour des écrivaines au programme du bac littéraire!
Mme de Sévigné, Mme de Lafayette, Mme de Staël, George Sand, Colette, Marguerite Yourcenar, Nathalie Sarraute, Simone de Beauvoir, Françoise Sagan, Marguerite Duras, Annie Ernaux… Allez-vous nous croire si l’on vous dit qu’aucune de ces grandes figures des lettres françaises, pas plus qu’aucune autre écrivaine, n’a jamais été au programme du bac L?
C’est pourtant bien vrai! Et ça a fini par irriter sérieusement Françoise Cahen, professeur de lettres dans le Val de Marne qui, en plus de deux décennies d’enseignement, n’a jamais pu préparer ses Terminales littéraires à présenter au bac l’oeuvre d’une femme. Clic, clic, clic, une tribune et une pétition (rondement bien tournées l’une comme l’autre) sont lancées sur le web. 15 jours et près de 20 000 signatures plus tard, la Ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem a pris un engagement : retravailler avec les membres de la commission des programmes les critères de sélection des oeuvres soumises aux lycéen.nes.
Prochaine étape, peut-être : envisager d’innover dans la façon de concevoir les manuels d’histoire qui à l’heure actuelle, selon les données produites par le Centre Hubertine Auclert, rejettent les femmes dans leurs marges, avec pas plus de 3,2% de personnages historiques qui ont porté la culotte plutôt que le slip!
La boss du mois : Fatma Samoura, 1ère femme Secrétaire Générale de la FIFA
Longtemps à la traîne en matière de mixité, le mouvement sportif serait peut-être bien être en train de faire sa révolution accélérée.
On pourrait s’arrêter sur la Une historique du journal L’Equipe qui, a titré en pleine page sur des footballeuses, au lendemain de la victoire des lyonnaises en Ligue des Championnes.
On pourrait aussi évoquer les signes d’une libération de la parole des sportives où il n’a pas toujours fait bon se plaindre de sexisme, quand par exemple, la sélection américaine de soccer menace de boycotter les JO de Rio si leur demande de rattrapage salarial n’est pas entendue (elles gagnent en moyenne 40% de moins que les hommes dans un pays qui n’a pas de « stars du ballon rond » aux rémunérations astronomiques comme en Europe ou en Amérique latine).
Mais on va zoomer surtout sur la nomination de Fatma Samoura au poste de Secrétaire Générale de la FIFA. Cette diplomate aux Nations Unies, figure exemplaire du monde humanitaire, qui a tout particulièrement oeuvré dans le champ de la lutte contre l’insécurité alimentaire et en faveur du développement économique de l’Afrique, a été nommée le 13 mai au poste le plus stratégique de l’association organisatrice de la Coupe du Monde.
Le Président Gianni Infantino, lui aussi fraîchement élu après les turbulences de la fin 2015, a fait savoir qu’il plaçait une grande confiance en cette femme d’expérience, qu’il sait capable de gérer de grandes organisations et dont il espère qu’elle apportera un élan neuf à la Fédération.
By the way, puisqu’on parle FIFA : le Mondial Féminin se tiendra en France en 2019 et cette fois-ci, les chaînes de télé se sont battues pour en acquérir les droits de diffusion. C’est finalement TF1, leader de l’audience dans l’hexagone, qui a emporté le morceau.
Le débat du mois : les talons hauts, emblème du sexisme ?
Un détail ne vous aura sûrement pas échappé lors de la montée des marches à Cannes, cette année : Julia Roberts a foulé le tapis rouge déchaussée. Mais que s’est-il passé? Valises faites à la va-vite et pénurie de souliers chics dans les boutiques de la Croisette? Que nenni! Le geste n’a l’air de rien mais il est hautement politique : c’est en réplique à la polémique cannoise de l’année passée qui avait vu des femmes en chaussures plates se faire interdire d’entrée au Palais des festivals et en soutien à la britannique Nicola Thorpe, purement et simplement virée de son job d’hôtesse pour avoir refusé de porter des talons hauts au boulot que la star hollywoodienne a posé les pompes.
Commentaires désobligeants, évidemment, dans la presse people qui s’émeut de la perte des valeurs du glamour et branle-bas de combat dans la fashionistasphère qui s’alarme de ce que le combat pour l’égalité pousse la pédale trop fort en faisant du talon aiguille l’emblème du sexisme. En réalité, ce que veulent les femmes qui marchent pieds nus pour provoquer la réaction, ce n’est pas tant la fin du brodequin haut perché que l’abolition de la peine de cors (imputables aux chaussures mal faites pour marcher) et le bon droit à se vêtir et se chausser à leur guise, sans se voir interdites de certains lieux ou jobs parce au seul motif qu’il leur manquerait quelques centimètres d’artifice pour être réputées « féminines ».
Next step : que les hommes se libèrent à leurs tours des injonctions vestimentaires qui font que par exemple, l’entrée dans l’hémicycle à l’Assemblée nationale soit conditionnée au port de la cravate.
Actualités sélectionnées et commentées par Marie Donzel, pour le blog EVE.