Rencontre avec Olga Damiron, DRH du Groupe Keolis
Olga Damiron est DRH du Groupe Keolis. Pour les lectrices et lecteurs du blog EVE, elle témoigne de son parcours et livre sa vision de la fonction RH, de l’égalité professionnelle, du leadership d’avenir et de l’entreprise citoyenne.
Eve le blog : Bonjour Olga. Accepteriez-vous de nous raconter votre parcours. Quel chemin mène au poste de DRH du Groupe Keolis ?
Olga Damiron : Adolescente, je voulais être prof de latin-grec. Avec le recul, j’attribue cette vocation en apparence un peu austère à deux valeurs fortes qui me fondent : premièrement, le besoin de connaître le passé pour construire son présent et préparer l’avenir ; deuxièmement, l’importance de transmettre, de partager la connaissance et d’en donner le goût et le sens au plus grand nombre.
Finalement, après le bac, j’ai fait du droit puis intégré un cabinet d’avocat. Une expérience qui ne m’a pas laissé que de bons souvenirs, car ce n’était pas fait pour moi, mais qui m’a permis de forger une conviction : le contentieux ne doit être une solution que quand toutes les autres ont été épuisées. Et les autres, pour moi, sont celles qui sont le plus créatrice de valeurs : la création de conditions équitables, le dialogue et la négociation, la capacité de transformer les organisations avant qu’elles ne s’essoufflent et produisent de la souffrance au travail…
Dans mon job suivant, au sein d’une filiale de France Câbles et Radio (ndlr : entité de France Telecom), j’ai été amenée à donner un coup de main au recrutement et au bout de deux ans, on m’a confié la direction des ressources humaines. C’est à cette époque que j’ai trouvé ma voie : j’ai ensuite exercé des fonctions RH chez Esi, Honeywell, dans le groupe Algeco, avant d’être appelée en janvier 2014 à ce poste de DRH du Groupe Keolis.
Eve le blog : C’est un parcours assez multi-sectoriel… Vous avez vu des environnements très différents. C’est un atout dans vos fonctions ?
Olga Damiron : C’est un parcours multi-sectoriel et multi-culturel : j’ai travaillé dans des entreprises de toutes tailles, en France et à l’étranger, dans les biens et dans les services… Je pense qu’effectivement, cela a entretenu ma curiosité. Et je crois que la curiosité est bien la première qualité d’un DRH : pour faire ce métier, il faut voir large et savoir où chercher.
Cette diversité d’expériences m’a aussi permis d’écrire mon propre « livre de recettes » : je ne suis pas là pour appliquer des systèmes, je suis là pour proposer des pratiques qui vont faire la différence, faire sauter des freins, impulser des changements.
Eve le blog : Quelle vision de la question de l’égalité professionnelle avez-vous bâtie, au cours de votre expérience de DRH ?
Olga Damiron : J’ai travaillé dans des environnements très féminisés (centres d’appel, sous-traitance de standard) et des milieux très masculins (équipementier automobile, construction). Dans les deux cas, je me suis fait la remarque que ces milieux auraient eu intérêt à plus de mixité. Il est manifeste que le tout féminin comme le tout masculin sclérosent une organisation, créent des formes de tension pas toujours constructives et ne permettent pas aux individus de pleinement faire valoir leurs qualités et leurs différences.
Je vous dirais donc que j’ai très tôt été sensibilisée à cette question, dans le cadre de ma fonction RH. Mais quand j’ai commencé à travailler, il y a 25 ans, c’était essentiellement abordé sous l’angle réglementaire, et on avait du mal à faire avancer ce qui était vécu par tout le monde comme une contrainte. J’ai vu avec enthousiasme arriver les premiers travaux de recherche établissant une corrélation entre mixité et performance, car cela a vraiment permis de renverser le paradigme de la mixité : aujourd’hui, c’est regardé comme une plus-value, quelque chose qui apporte beaucoup à l’entreprise.
Eve le blog : On établit effectivement une corrélation entre mixité et performance des entreprises. Mais on n’explique pas encore très bien les raisons qui font de la mixité un levier d’amélioration de l’entreprise. Quelles sont celles que vous observez?
Olga Damiron : Je vais vous répondre en citant un exemple intéressant : quand nous avons féminisé le recrutement des chauffeurs de bus, nous avons vu baisser immédiatement les agressions, et plus globalement, la relation aux voyageurs s’est pacifiée. Je ne tire pas de conclusions philosophiques de cela, je ne saurais dire si c’est pas le fait que, même si c’est un stéréotype, les femmes sont plus calmes ou plus conciliantes que les hommes, ou si ça tient au fait que les voyageurs, en ayant un autre interlocuteur qu’à l’habitude, basculent dans d’autres modes relationnels. En tout état de cause, le fait est là et c’est une bonne nouvelle.
Ensuite, cette volonté de féminisation des effectifs chauffeurs nous a obligé-es à nous poser plein de bonnes questions : pourquoi ce métier n’attire pas les jeunes filles ? Est-ce que c’est l’image de marque des transports publics qu’il faut faire évoluer ? Est-ce que tout simplement les jeunes femmes ne connaissent pas nos métiers et ne peuvent donc s’y projeter ? Alors, allons à leur contact pour leur raconter nos vies professionnelles, comme le Groupe le propose chaque année au moment du Girls’Day. Et puis pourquoi les femmes qui entrent dans la profession en partent au moment où elles deviennent mères ? Bien sûr que les horaires décalés sont en cause, mais n’a-t-on pas aussi des jeunes pères à qui ça pose problème et qui ne se permettent pas de l’exprimer ? Alors, nous avons créé, par le dialogue collectif, nos solutions en local : ici, une grille d’horaires avec des points de priorité en fonction des contraintes personnelles des un-es et des autres, là une bourse d’échange en ligne pour pouvoir se faire remplacer en cas d’imprévu familial, là encore, des crèches d’urgence ou un partenariat avec un réseau d’assistantes maternelles et baby-sitters…
Eve le blog : Il se dit aussi beaucoup que le leadership est transformé par la mixité. Partagez-vous ce sentiment ?
Olga Damiron : Je partage ce sentiment que le leadership est transformé par la mixité pourvu qu’on ne se contente pas de mettre des femmes et des hommes autour d’une table en attendant qu’une baguette magique fasse le travail. Le leadership se transforme, de façon globale, au delà du seul sujet de sa féminisation, quand il est ouvert, flexible et prêt à se remettre en question.
Le leader d’avenir, c’est celui qui donne un cap clair et compréhensible tout en sachant mettre les troupes devant lui. Celui qui donne de bonnes raisons d’avancer ensemble et celui qui inspire une vraie confiance dans les moments où l’on a du mal à avancer.
Ce ne sont pas les mêmes qualités que celles qu’on demandait aux leaders d’hier : le leader n’est plus forcément le directeur statutaire ni le sachant expert. Alors, tout l’enjeu, c’est d’identifier les nouveaux leaders, sachant que par définition, comme on cherche des personnes plus humbles, elles sont souvent aussi plus discrètes et donc moins immédiatement repérables. Il va aussi falloir donner un cadre à ce leadership d’un genre nouveau, qui ne s’incarne pas forcément dans le seul management de grosses équipes. On aura des leaders de projets, des leaders transverses. D’après moi, ça n’abolit pas la verticalité, car la matrice de l’organisation reste nécessaire, mais on y ajoute de nouvelles dimensions. Et avec cela, on peut ouvrir de nouvelles voies d’accès aux responsabilités et proposer de nouveaux types de parcours-modèles.
Eve le blog : Vous êtes une femme engagée, membre de plusieurs networks féminins (dont Féminin Pluriel qui vous a eu pendant 10 ans pour trésorière) et du Cercle de l’Excellence RH, qui a fait paraître avant l’été un audacieux manifeste pour le rapprochement entre le monde économique et le monde politique. Ne vous heurtez-vous pas ici à un vieux tabou français ?
Olga Damiron : Un tabou, je ne sais pas. Une séparation des mondes, sans aucun doute. Et qui est préjudiciable aux deux univers : les politiques et les ministres ne comprennent pas ce qu’est l’entreprise et les dirigeant-es se font une fausse idée des préoccupation des élu-es. C’est caricature contre caricature et rien ne bouge, alors même qu’on a les mêmes objectifs : la croissance, la compétitivité, l’innovation, l’emploi.
Notre manifeste est avant tout une invitation à la rencontre et à la discussion. Il faut que nous parvenions à créer un vocabulaire commun et que nous nous mettions au diapason pour donner un rythme cohérent aux transformations dont le pays a besoin.
Nous avons sorti ce manifeste cette année, et nous espérons que des candidat-es aux prochaines élections s’en emparent pour en faire plus qu’une déclaration d’intention, mais une vraie ligne dans leur programme.
Eve le blog : Au moment où ce manifeste est sorti, les Echos ont titré « les DRH suggèrent l’engagement des salarié-es en politique« . Pour nous, cela fait écho aux propos que Pierre Deheunynck nous tenait il y a quelques semaines : il déclarait vouloir des militant-es dans l’entreprise, pour la faire bouger. Vous aussi, vous espérez attirer des activistes et des révolutionnaires ?
Olga Damiron : Des militant-es pour des militant-es, non. Surtout pas si on associe l’idée de militantisme à celles de dogmatisme ou de prosélytisme. En revanche, on cherche assurément des personnes passionnées et engagées. Des gens qui sont habités par quelque chose, par une énergie, par des envies, par des projets qui les dépassent.
Il n’est pas question de politiser l’entreprise : il est dans son éthique de tendre vers la neutralité. Et je reste convaincue que cette neutralité est la voie privilégiée de l’inclusion des diversités. Je ne prône donc pas l’entreprise politique, mais je veux l’entreprise citoyenne. Celle qui crée de la valeur (et pas qu’en chiffre d’affaire) et participe à des missions d’intérêt général. Dans notre secteur, les transports publics, c’est une culture à préserver et à valoriser : nous sommes là pour rendre les territoires accessibles et pour fluidifier l’économie. Le dire comme ça, c’est ramener le sens au cœur de l’activité, et je crois que tout le monde en a besoin pour avancer.
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE. Avec la complicité de Marine Ponchut (Keolis) et de Catherine Woronoff-Argaud (SNCF).
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