Cyril Augier a fondé et dirige A Nous de Jouer !, une structure à mi-chemin entre compagnie de théâtre, cabinet de conseil et centre de formation. Son pari : faire passer les messages sensibles du changement par la comédie.
Son spectacle « Madame le directeur » se joue dans les entreprises qui veulent engager avec leurs collaboratrices et collaborateurs un dialogue sur la mixité, l’égalité professionnelle et le leadership au féminin.
Le blog EVE l’a rencontré.
EVE : Bonjour Cyril, quel genre de parcours mène à créer une structure hybride comme « A nous de jouer »?
Cyril Augier : Un parcours atypique, forcément! J’ai toujours fait du théâtre, ma grande passion, mais j’ai aussi fait une école de commerce et eu une carrière en entreprises. J’ai notamment travaillé dans le domaine du handicap. Un jour, mon employeur m’a dit « Pourquoi tu écrirais pas une pièce sur le sujet?« .
L’idée m’est ainsi venue de créer une société qui proposerait à la fois des spectacles « à l’affiche » (clés en main) sur des sujets de responsabilité sociétale, de développement durable, de diversités, mais aussi des spectacles sur mesure (pour répondre à une situation particulière dans une entreprise donnée), des prestations de team-builiding et de formation (au managementet à la prise de parole en public…).
EVE : Parmi vos spectacles « à l’affiche », nous avons repéré « Madame le directeur », qui met en scène les problématiques d’égalité professionnelle et de leadership au féminin. Pourquoi ce sujet vous a intéressé?
Cyril Augier : Pour la petite histoire, cette idée a émergé lors d’un déplacement un co-voiturage avec un autre homme, que je ne connaissais donc pas. Vincent (ndlr : Nicollet, le co-auteur de la pièce) et moi nous sommes parlé très ouvertement ce jour-là, entre jeunes papas, confrontés à de mêmes questions d’articulation des temps de vie, ayant aussi chacun une compagne aux prises avec des questions professionnelles nouvelles. On a compris qu’au-delà de ses résonances dans l’actualité, le sujet de l’égalité professionnelle nous concernait tous, y compris, nous les hommes.
Alors, on s’est embarqué dans la création d’un spectacle thématique : nous avons fait de nombreuses lectures, assisté à des conférences (dont l’une d’ailleurs, organisé par KPMG à Lyon), nous avons rencontré des hommes et des femmes du monde de l’entreprise, des représentant-es des partenaires sociaux… Et nous avons pris notre temps pour écrire, nous voulions aborder ce sujet avec finesse, en évitant les clichés, puisque précisément on veut déconstruire des stéréotypes…
EVE : Quel est l’argument de la pièce?
Cyril Augier : Nous avons utilisé un procédé classique de mise en abîme. C’est toujours assez efficace pour cerner les ambiguïtés d’un sujet.
Donc, nous avons Gabrielle, une responsable Ressources Humaines, qui ambitionne d’être promue DRH, et que son DG teste en lui confiant précisément la mise en place de l’accord égalité femmes/hommes de l’entreprise. Elle va être confrontée chez elle à toutes les difficultés que peut poser son évolution professionnelle (en matière d’organisation familiale, d’équilibre dans le couple à renégocier…) et au bureau, à des interlocuteurs pas forcément faciles à convaincre et à gérer, depuis la syndicaliste militante féministe jusqu’au manager macho qui ne voit pas où est le problème.
EVE : Vous mettez l’accent sur les désaccords autour de l’accord?
Cyril Augier : Oui, avec des personnages bien plantés, mais pas caricaturaux, qui vont être capables d’évoluer.
Travailler sur les désaccords, les tensions, ça permet de sortir des guerres de position. Ca évite à chacun-e de s’enferrer dans son personnage, ça permet au contraire de montrer ses parts d’ombre et de lumière, ses forces et ses angles morts et de travailler sur la conciliation des contradictions de chacun-e.
EVE : Gabrielle est « Madame le directeur », ce titre lui-même fait débat, non?
Cyril Augier : Certaines personnes l’ont pris au premier degré, pensant que nous prenions position sur la féminisation des noms de métier, les un-es estimant que nous avions raison avec l’Académie et les autres que ce titre était sexiste en soi et disqualifiait d’office le propos du spectacle.
En réalité, c’est bien un fait exprès, car dans ce titre, nous posons déjà une question, nous engageons déjà un dialogue. Non seulement sur la féminisation des noms de métier, mais aussi et surtout la question du masculin et du féminin et de ce qu’on accepte de l’un et l’autre en soi. Gabrielle va sans doute devoir assumer une part de masculinité en elle et surtout jouer avec la porosité des positions pour exploiter tout le panel de son propre style de management.
EVE : Pensez-vous que jouer avec les stéréotypes aide à s’en défaire?
Cyril Augier : C’est l’un de nos partis-pris. Nous avons notamment une scène très emblématique : les deux personnages « antagonistes » dans la négociation de l’accord vont se retrouver à danser un tango, qui peut sembler l’incarnation même des rapports de genre marqués par la domination.
Ici, l’objectif est double : d’abord ré-interroger le postulat que l’homme doit forcément mener la danse ; ensuite opposer à la notion de lutte (entre la femme et l’homme) celle de la danse, où les deux partenaires (quelque soit la personne qui mène) s’emploient à bouger harmonieusement, sans pour autant confondre leurs rôles. La métaphore, si elle peut paraître provocante, est très propice à l’échange et à la réflexion.
EVE : Quelles réactions provoque la pièce quand vous la jouez en entreprise?
Cyril Augier : La pièce continue après la pièce, quand nous ouvrons le débat avec les spectateurs. Les réactions sont très sensibles, parfois passionnées.
Ce qui me surprend le plus souvent, c’est que les femmes sont parfois très dures avec le personnage de Gabrielle, certaines sont aussi dans une forme de déni des inégalités ou trouvent que la façon dont la pièce en parle est exagérée (alors, que pour l’essentiel, les dialogues s’appuient pour beaucoup sur des anecdotes réelles que nous avons vécues ou qui nous été racontées par les personnes que nous avons rencontrées en préparant la pièce). Je crois qu’en fait, les femmes ne veulent surtout pas des postures victimaires. Ça me semble une critique très importante à prendre en compte quand on veut communiquer sur ces sujets : encourager l’égalité femmes/hommes, ça passe sans doute aussi par le fait d’éviter de partir du principe que les femmes sont toujours en situation de devoir être aidées. Elles ont aussi besoin de dire qu’elles réussissent beaucoup de choses et qu’elles se le doivent à elles-mêmes.
Propos recueillis par Marie Donzel, pour le blog EVE
Lire aussi :
– Notre interview de Blandine Métayer, auteure et comédienne du one-woman show « Je suis top! »
– Notre interview de Sarah Vermande, co-auteure du spectacle « F/H recherchent égalité désespérément »
– Notre portrait d’Olivia Moore, auteure et comédienne du one-woman show « Mère Indigne »
– Notre rencontre avec l’équipe de la pièce « Olympe de Gouges, porteuse d’espoir »