Ca commence par une ritournelle de Souchon, qui résonne dans l’amphi 11 de Sciences Po, tandis que l’on s’installe derrière les pupitres, pour la dernière conférence de la saison organisée par la chaire Présage.
Rétines et pupilles,
Les garçons ont les yeux qui brillent
Pour un jeu de dupes :
Voir sous les jupes des filles…
Mais que se cache donc sous la jupe des filles… et des garçons?
Christine Bard va nous raconter l’histoire de cette pièce à part. Une histoire économique, politique, sociale et culturelle qui dit aussi la tension incessante entre les trois fonctions de tout vêtement : la protection, la pudeur et la parure.
Où l’on se rappelle, pour commencer, que les hommes ont eu droit à la parure en d’autres temps. Mieux que ça, que la robe, comme le cosmétique ou la coiffure, les positionnait et les valorisait dans une classe sociale supérieure.
C’est à la Révolution française que le tournant a lieu : en même temps qu’ils adoptent le pantalon des classes populaires, des travailleurs pauvres et des paysans, les Révolutionnaires l’interdisent aux femmes. Pour le psychanalyste du début du XXè siècle, John Carl Flügel, c’est « la grande renonciation » : s’interdisant la parure et faisant le choix de l’égalité sociale que voudrait incarner l’uniforme, ils font en même temps celui de l’inégalité des genres, ordonnant aux femmes de rester en jupe.
La suite de l’histoire montrera qu’émancipation des femmes, avènement du prêt-à-porter et libéralisation des moeurs aidant, dans les années 1960, l’ordonnance de 1800 sera condamnée de fait à la désuétude.
Tandis que les femmes s’approprient le pantalon, tout en gardant « le droit à » la jupe, s’accordant la liberté d’alterner l’un ou l’autre, les hommes demeurent dans la « renonciation » de Flügel. Ils n’ont droit qu’une option : le pantalon, devenu le signe de la neutralité. Une neutralité, souligne au passage Christine Bard, qui a cependant pour référent un code masculin.
Mais la jupe n’a pas dit son dernier frou-frou. Au tournant des années 2000, elle devient le symbole d’un nouveau féminisme qui du manifeste des Ni Putes Ni Soumises aux slut walks en passant par le film La journée de la Jupe, dit le bon droit des femmes à investir l’espace public dans la tenue de leur choix, sans avoir à craindre ni le regard déplacé, ni le jugement, ni l’insulte, ni l’agression.
La jupe devient aussi une revendication masculine : les associations d’hommes désireux d’en finir avec « la grande renonciation » l’enfilent et défilent sous les bannières de l’égalité femmes/hommes, en insistant cependant (et de façon parfois très appuyée) sur leur identité hétérosexuelle.
La conception de la « tenue correcte exigée » dans les lieux publics se transformera-t-elle dans le sens d’une banalisation de la jupe des garçons? A suivre…
Marie Donzel, avec la complicité de Catherine Thibaux
Références :
– Christine Bard, Ce que soulève la jupe : identités, transgressions, résistances, éditions Autrement, 2010
– Christine Bard, Une histoire politique du pantalon, éditions du Seuil, 2010