Nous avons souvent entendu cette phrase de Hobbes : « l’homme est un loup pour l’homme », signifiant que la menace et la guerre caractérisent le cœur de notre humanité. Mais qu’en est-il des femmes ? La guerre n’est-elle qu’une « affaire d’hommes » ? Ne sont-elles destinées qu’à être victimes des guerres sans pour autant avoir leur nom inscrit sur les monuments ? En quoi les droits des femmes et la paix durable sont-ils liés ? On en parle !
La guerre, une affaire d’hommes ?
Les croisades, les conquêtes, la guerre froide, le conflit en Ukraine ou au Moyen-Orient… La liste des guerres passées et présentes est longue, et l’analyse historique à travers le prisme du genre révèle que ces conflits ont presque toujours dirigés par des hommes, de leur initiation à leur résolution, en passant par leur mémoire.
Cela s’explique d’abord par un historique de monopole du pouvoir des hommes dans les sphères politique, économique, religieuse, au coeur des motifs de mener la guerre.
Il faut aussi interroger les “mythes de la virilité” avec Olivia Gazalé : quand les femmes “perdent” du sang dans l’intimité, les hommes “versent” leur sang pour la patrie nous dit la philosophe, entre autres exemples du double standard qui va positionner les hommes en combattants actifs et les femmes en positions passives.
Pourtant, les femmes font partie de la guerre. Les historien·nes ont souligné les rôles importants qu’elles ont joué dans les combats, dans les services logistiques de l’armée, au front, au sein de leur foyer, sur les tables de négociation de la paix et partout où elles sont. Pour autant les rôles des femmes en tant que combattantes, militantes pour la paix mais surtout en tant que premières victimes des guerres, peuvent être invisibilisées par l’effet de mentrification.
Les femmes, victimes des guerres
Les femmes sont massivement représentées parmi les victimes de guerre. Ceci s’explique d’abord par le fait que les crises et les conflits armés touchent environ 90% de la population civile, et la majorité de ces victimes sont des femmes ou des enfants.
Mais en plus de leur statut de civiles susceptibles d’être touchées par les combats sans aller au front, les femmes sont aussi victimes de violences de guerre spécifiques. Leurs corps sont utilisés comme des « enveloppes » pour envoyer un message à l’ennemi. En temps de guerre, les femmes sont victimes de violences, de grossesses forcées, d’enlèvements, de sévices sexuels et de l’esclavage. Partout à travers le monde et à toutes époques, le viol est une arme de guerre : « planifié par une autorité (politique, militaire, gouvernementale, clanique, etc.) le viol est utilisé de manière stratégique pour humilier, affaiblir, assujettir, chasser ou détruire l’autre ».
Cette violence de genre, déjà alarmante, s’accompagne d’un système de silenciation et d’invisibilisation des crimes commis, ainsi que des voix et des parcours des femmes. Comme le souligne la Présidente du Comité international de la Croix-Rouge, « le plus révoltant, c’est le nombre élevé de violations de leurs droits qui ne sont ni documentées ni reconnues, souvent perçues comme des effets secondaires inévitables de la guerre. » Cela entraîne pour conséquences une aide quasiment absente pour ces femmes.
Vers la résolution 1325 de l’ONU
Bien que souvent écartées des négociations officielles de paix, les femmes ont toujours joué un rôle essentiel dans la promotion de la paix au sein de leurs communautés. Toutefois, leur visibilité est cruciale pour lutter contre les violences dont elles sont victimes. C’est pourquoi elles se sont mobilisées collectivement dans plusieurs pays pour revendiquer cette reconnaissance.
En 1915 est créé la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, suivi d’un long processus de mobilisation de la part de la société civile internationale (regroupant des ONG aux groupes de femmes militantes), pour se faire entendre par la communauté internationale. Leur combat est double : inclure les femmes dans les processus décisionnels de la paix et adapter des mesures pour lutter contre les violences de genre. Il est en effet primordial qu’elles soient présentes lors des processus de paix, pour porter la voix de leurs vécus différenciés. Ces mobilisations voient leurs résultats prendre effet dans les années 1990-2000. Dans le prolongement de la conférence de Pékin en 1995, qui signe le texte international le plus important en matière en droits des femmes, la Résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité (FPS), est adopté par le conseil de Sécurité des Nations Unies, lors de l’année 2000.
Cette résolution repose sur 4 piliers :
- la protection des femmes,
- la prévention des violences de genre,
- la participation des femmes aux négociations de paix
- la nécessité d’un appui humanitaire à leur encontre lors des guerres.
Cette Résolution est perçue comme une majeure avancée et est suivie de nombreuses autres qui forment l’agenda « femmes, paix et sécurité » des Nations Unies, comme celle qui reconnait la violence sexuelle comme tactique de guerre et menace pour la sécurité et la stabilité.
Quelle place réelle pour les femmes dans les processus de paix ?
Selon les études menées entre 1995 et 2019, les femmes constituent à peine 13% des négociateurs, 6% des médiateurs et des signataires des principaux processus de paix. Au total, 7 processus de paix sur 10 ne comprennent aucune médiatrice ou femme signataire.
Selon plusieurs rapports des Nations Unies, la Résolution ainsi que son système comprennent plusieurs limites. D’abord, les chiffres nommés précédemment nous montrent que l’exclusion des femmes dans la participation à la paix est toujours d’actualité. En 2023, parmi les processus de paix les plus récents, la Directrice exécutive de l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes constatait même une absence totale des femmes en Éthiopie, au Soudan, au Kosovo, en Lybie et en Myanmar.
Ensuite, il apparait que les résultats et effets concrets sur le terrain de la participation des femmes aux processus de paix apparaissent toujours insuffisants, 24 ans après l’adoption de la Résolution. En effet l’inclusion des femmes est souvent pensée à travers une approche centrée autour d’une formation technique, tandis que l’autonomisation stratégique et transformatrice, ainsi que le développement des compétences des femmes font défaut. Cela empêche ainsi le renforcement de leur capacité d’influence en vue d’une participation significative.
Un autre obstacle majeur, analysé par la Directrice Générale d’Inclusive Peace, Thania Paffenholz, réside dans le fait que l’inclusion des femmes se fait souvent dans un volet distinct, qui n’est pas intégré aux processus décisionnels principaux. Par exemple, le Women’s Advisory Board (WAB) est mis en place en 2017 pour participer aux efforts de paix de l’ONU en Syrie. Il n’est cependant pas considéré comme un processus parallèle pour explorer les possibilités de paix et n’est pas dirigé et guidé uniquement par les femmes syriennes. Selon Paffenholz, il « ne s’est révélé être qu’un simple « ajout » à un système par ailleurs défaillant. ».
Enfin, ces limites peuvent être résumées par le caractère insuffisamment contraignant de la Résolution. En effet, adoptée dans le cadre du Chapitre 6 des Nations Unies, cette Résolution a une valeur déclarative et impose peu d’obligations aux États. Les procédures et mécanismes pour enquêter sur les violences faites aux femmes, rédiger des rapports et engager des poursuites judiciaires ne sont donc pas impératifs. Selon Camille Boutron, docteure en sociologie du genre et des conflits, cette situation entraîne un manque de reconnaissance de ces crimes et empêche leur sanction adéquate.
Quels leviers pour accélérer la participation des femmes à la paix ?
Selon le Secrétaire général de l’ONU à l’ouverture du vingt-troisième anniversaire de la résolution 1325, une contribution des pays fournisseurs d’aide publique au développement (APD) de 15% au secteur de l’égalité des genres, est nécessaire pour de réels effets de réduction des inégalités de genre au niveau international.
De leur côté, les études sur « le genre et paix », affirment que les avancées en termes d’égalité de genre ne pourront se réaliser qu’à travers une lutte systémique contre les discriminations, à tous niveaux et échelles des politiques publiques, afin d’atteindre les mentalités. Des approches gender mainstreaming doivent donc être mise en place par les États, d’autant plus en temps de paix, afin d’inciter la formation d’un système plus égalitaire et de s’assurer de sa robustesse en cas de crise.
Charlotte Foulon et Marie Donzel, pour le webmagazine EVE